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Billet de blog 11 avril 2025

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Lettre à un « barbare de mots »

Pas la moindre goutte de sang sur vos mains. Rien à voir avec l'image habituelle du barbare. Même si certains synonymes de ce terme conviennent à votre intervention. Mais indéniable que dans votre cas, il n'y a pas la moindre violence directe sur autrui. Pourquoi alors vous qualifier de « barbare de mots »?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« L'absurdité des batailles qui sont des batailles de mots, mais qui tuent des hommes de chair.»

Boris Vian

          Pas la moindre goutte de sang sur vos mains. Ce n’est pas tout à fait exact. Sans doute du sang dû à des écorchures et blessures. Comme la majorité d’entre nous depuis l’enfance. Néanmoins, une chose est exacte dans cette amorce de votre portrait : vous n’avez tué ou blessé personne. En tout cas, ce n’est pas écrit sur votre page Wikipédia. Rien à voir avec l'image habituelle du barbare. Même si certains synonymes de ce terme conviennent à votre intervention. Mais indéniable que dans votre cas, il n'y a pas la moindre violence directe sur autrui. Pourquoi alors vous qualifier de « barbare de mots » ?

          C’est en vous écoutant. Mais aussi en observant votre regard et gestuelle. Une extrême fureur émanait de votre corps et parole. Cet homme est comme un barbare de mots, me suis-je dit. Bien sûr, toutes proportions gardées. Il n’y a pas mort d’homme. Et c’est la liberté d’expression. Comme le droit de caricaturer et de blasphémer. On ne reviendra pas là-dessus. Libre donc à vous de pouvoir vous exprimer. Même avec des yeux injectés de sang. De plus, personne ne m’a contraint à vous écouter. Libre à moi d'assister ou non à travers un écran à votre barbarie verbale. Semblable à d’autres. Quand la parole n’est plus que haine. Sans une once d’empathie. Ni la moindre hauteur de pensée. Que des éructations.

           Loin d’être le seul à éructer. On croise partout des «  barbares de mots ». Du bistrot au bureau en passant par les transports en commun. Des hommes crachant leur bile sur les femmes, les Noirs, les Arabes, les Juifs, les Musulmans, les PD, etc. La barbarie verbale ne se conjugue qu’au masculin ? Le plus souvent. Comme d’ailleurs la barbarie avec violences physiques. Très peu de blessures et homicides qui sont dus à des femmes. Combien de meurtres et guerre en moins si les hommes n’avaient pas eu le pouvoir depuis la naissance de l’humanité ? Néanmoins, il y a aussi des femmes barbares verbalement. Pour revenir à vos propos ; ils ne sont pas nouveaux. Des mots vieux comme la haine. Mais une des différences avec la bile d’autres est la situation de votre crachoir.  Il se trouve en hauteur et très visible.

          Le barbare de proximité ne disposera pas de votre force de frappe. Et son crachat n’ira pas très loin. Il n'atteindra que quelques cibles de proximité. Soit elles réagirons verbalement, avec force polémique, voire même des insultes. D’autres emploieront des arguments avec une ponctuation au bout des bras ou sur le front. Certes, depuis quelque temps, le barbare de proximité peut élargir avec le numérique le champ d’action de son crachat. Mais, sans être médiatisé, il n’atteindra pas beaucoup de gens. Contrairement à vous. Une personnalité publique. Et qu'on pourrait qualifier de citoyen éclairé. Pour le moins qui, comme d’autres, se revendique du siècle des Lumières. Contre tous les obscurantismes.

         Visiblement pas un éclairage de l’intérieur. Désolé de cette pique d’humour noir. Mais raccord avec votre prestation. Et capacité à débiter une dose incroyable de haine et de non-sens en a peine quelques minutes. Vous êtes en colère ? C’est vrai. Une colère légitime ? C’est vrai aussi. Mais nulle obligation de nier l’humanité de vos semblables. Comme d’autres l’ont fait au siècle précédent. Et bien avant. Des exemples de négations de l’humanité ? Suffit d’ouvrir ou rouvrir des livres d’histoires, se plonger ou replonger dans des documentaires, pour croiser les regards de déshumanisés - partout sur la surface du globe. Avec les mêmes ombres de l’abominable entre les paupières. La vitrine de solitude de tout être déshumanisé.

          Vous ne savez pas tout ça ? Si, bien sûr. Vous avez appris tout ça à l’école. Comme la majorité d’entre nous. Une école qui nous a fait lire un certain Paul Éluard : Si l’écho de leur voix faiblit, nous périrons. De plus, vous évoluez depuis des décennies dans un milieu culturel, avec un grand nombre de rencontres de toute sorte, en France et sur la planète. Vos propos ne sont donc pas ceux d’un homme avec peu de bagages social et culturel. Vous savez exactement ce que vous dîtes. Et ce que veut dire la négation de toute humanité. Vous avez les outils de compréhension du monde. Ce qui n’empêche pas que vous ayez le droit au dérapage. Et que vos propos - submergés par une émotion trop forte  ? - dépassent votre pensée. Un mortel imparfait comme nous tous et toutes. Ce qui n’empêche pas une interrogation.

         À quoi servent la culture et l’intelligence ? La question que je me pose à chaque fois que j’entends ou lis des barbares verbaux. Rien de dangereux puisqu’il s’agit de mot ? En effet, jamais de sang sur la parole. En tout cas, pas indirectement. Mais comme vous le savez, les mots peuvent mener au pire. Pas une seule langue n’y échappe. Que ce soit un assassinat ou un génocide, rares quand tout n’a pas débuté par des mots de haine et négation de l’autre. Revenons à la question. En vous entendant, vous et d’autres dans le même registre de haine, je me suis surpris à penser que ça ne servait à rien. Ces livres lus, tous ces films vus, tous ces spectacles vus, tout le travail d’une pensée… Tout ça pour ça. Grosse déception.

          Comme souvent en écoutant des barbares cultivés. Chaque fois à me dire que même les êtres dits éclairés peuvent être des sacs à obscurité. Depuis des années, nous assistons au naufrage de certains en direct sur les écrans. Mais pas que dans les milieux médiatisés et ou culturels. Parmi aussi certains membres de sa famille et d’autres de ses proches. Se rappeler le Covid. Pareil pour d’autres événements où les émotions - légitimes- ont phagocyté certains cerveaux, jusqu’à les transformer en boule de haine ; incapable de la moindre écoute ni empathie avec d’autres souffrances que la leur. Parfois un naufrage sous son propre crâne ? Difficile à déceler. Dans ce cas, il faut compter sur des amis capables de vous secouer mentalement. Ou arriver à penser à rebrousse-certitudes. Revenir souvent à la case doute. Inutile dans un monde entre les mains de grandes gueules ?

            En effet, penser contre soi n’aura aucun écho. Si ce n’est dans son entre-soi. Mais, même si ça n’aura aucun effet sur la réalité, c’est toujours bon pour sa tête. Et l’animal qui vit sous sa poitrine. Un très grand bénéfice pour son histoire. Et la qualité de la relation avec son miroir. Pour essayer de ne pas devenir ce que vous êtes devenu. Autrement dit, tout faire pour ne pas se transformer en  barbare verbal. Et même en colère aussi légitime soit-elle, résister à son pire. Très souvent difficile le bras de fer avec sa propre émotion. Mais pas d’autres solutions pour rester sur la bonne rive. Ne jamais basculer dans la déshumanisation de l’autre. Qu’il s’agisse d’un semblable ou de tout un peuple de semblables. Rester sur la rive de notre humanité.

         Sans doute que vous ne lirez pas cette lettre. En fait écrite en partie pour essayer de comprendre. Peut-être même chercher en moi ma part de « barbarie de mots » et ce que je reproche à d’autres. Et si vous tombez par hasard (que des rendez-vous, selon la citation attribuée au même poète exhortant à ce que certaines voix du passé ne faiblissent pas) sur ce courrier, vous ne vous reconnaîtrez pas. Pourquoi ? Comment vous imaginer dans le rôle du barbare, même verbal ? Impossible que ce soit moi. Je ne peux pas être une boule de haine sans cerveau. Pas moi. Je suis un homme qui pense et capable de débattre. Même un débat rugueux. Je ne peux pas être un tel «  barbare de mots ». Si, malgré tout, vous vous reconnaissiez dans ce portrait ; pas sûr que ça vous donne le désir de vous remettre en cause. Ne serait-ce qu’un instant, au mitan de votre solitude. Mais tout ça n’est qu’hypothèse.

          Et des mots passagers. Avec toutefois une ambition. Laquelle ? D’interroger un jeune siècle qui essaye d’imiter ses prédécesseurs. De quelle façon ? En investissant lui aussi sur l’obscurité dans un grand nombre de cerveaux. Du bas en haut de l’échelle planétaire. Toutefois, une différence avec le siècle dernier. Cette fois, la chape d’extrême-nuit ne tombera pas que sur l’Europe. Les intégristes de l’identité et de Dieu sont disséminés partout sur la surface du globe, alimentés en plus par une poignée de grands magnats de la haine et division. Certes pas un scoop. Mais important de le rappeler. Sans oublier non plus que notre siècle, c’est nous. Et qu’il ne peut être qu’à notre image. Un siècle à huit milliards de faces.

          Comment conclure toutes ces digressions ? En revenant à vous, le destinataire de ce courrier. Dévoiler votre identité ? Ce n’est pas elle qui compte. Mais vos propos. Les mêmes sortant de bouches d’autres personnalités publiques. Mais aussi sur des lèvres d’inconnus. Sans oublier la déferlante haineuse - de tout bord - sur la toile et les réseaux. Dans un contexte où des digues tombent une à une. Ici et là, des petites mains les remontent. Mais la tâche est dure de nos jours. Pas facile de colmater un raz-de-marée virtuel. Sans ces petites mains, ce serait pire. Pour qui ? Pour tout le monde.

             En fait, cette lettre n’est pas adressée uniquement à vous. Même si elle a été inspirée de vos propos. Et à qui d'autres est-elle adressée ? Tous les barbares potentiels qui sommeillent en chacun de nous. Nul n’est à l’abri de basculer. Même de très grands penseurs, des artistes, ont apporté leur contribution au moulin de la barbarie. Dans une eau plus ou moins teintée de sang. Quel serait alors le but de ce  courrier?   Une sorte d'appel à la vigilance. Pour ne pas ressembler aux pires ennemis de notre humanité. Ne pas devenir ce que nous dénonçons à juste titre. Comment être vigilant pour ne pas basculer ?

        Un des chantiers de son miroir.

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