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Billet de blog 12 mai 2016

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Dans ma tour d'ego

«L'humour est-ce une façon de chialer sans déranger les larmes?» Une fiction inspirée de ce très intéressant article de Jean-Claude Guillebaud. Son point de vue sur la tyrannie de l'humour et du rire.Je suis d'accord en grande partie avec le texte. Sauf le passage sur l'humoriste du 7/9 qui me fait beaucoup rire chaque matin.

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Illustration 1
© Photo: 1990 Rex Features

«L'humour est-ce une façon de chialer sans déranger les larmes?»

 Payé pour faire rire. Sur la radio publique. Mon rêve de gosse réalisé. Pourtant c'était mal barré. Fils de petit paysan, titulaire d'un CAP de chaudronnerie. Mes premiers pas de comique se déroulèrent dans les fêtes familiales. Puis au sein de l'atelier théâtre du foyer rural du village. La prof, une postière à la retraite, m'encouragea. A l'internat, je fus plus assidu au club théâtre qu'en cours. Mon diplôme en mains, j'entrais à l'essai dans une usine de roulements à billes. Un essai qui se termina trois mois après dans un train pour Paris. Sur le quai, ma mère, cachant son inquiétude derrière un sourire crispé, me faisait des grands signes. Tandis que mon père, les yeux dans le vague, bavardait comme d'habitude avec sa clope. En colère contre son fils unique. Dans mes bagages, le discours habituel: beaucoup d'appelés, peu d'élus.J'avais quelques adresses en poche.Ma carrière démarra sans vaches maigres.Très vite devenu un professionnel du rire.

Je suis assis dans ma bagnole. Les courbes de la Maison ronde se profilent dans la nuit. Le texte de ma chronique dans mon sac. Je mets la main sur la poignée de la portière. Soupir. Je me renfonce dans le siège. L'impression de peser une tonne. Que se passe-t-il ? Pourtant réveillé en grande forme. L'un des journalistes politiques de la tranche où j'officie se dirige vers la porte d'entrée. Le jeune nouveau arrivé dans la bande. Une bande qui s'entend bien. Même si, ne soyons pas naïf, les sourires et embrassades matinales cachent des guerres de territoire. Chacun défend sa place, ou en lorgne une meilleure. Toutefois, contrairement à d'autres rédactions, les grosses têtes et chevilles enflées arrivent à cohabiter. Rien de nouveau sous le ciel des médias. Pareil aussi dans d'autres corporations. Guerre d’ego habituel.

Ces pratiques ne me gênent plus. Je suis un des crabes du panier. Ni meilleur, ni pire que mes collègues. Même plaisir et coups de pinces en haut et en bas du panier. En tout cas, la plupart des collègues ont une conscience professionnelle. Des foudres de boulot. Perfectionnistes, à la limite de l'obsessionnel. A mes débuts, j'avais été stupéfait que la majorité de mes collègues soit issue des mêmes quartiers et écoles. Ils rient aux mêmes vannes et ont souvent des réflexes identiques sur l'actu et tout le reste. Quasiment plus aucun journaliste autodidacte comme à l'époque de Claude Villers -ancien catcheur- et d'autres non filtrés par Sciences Po ou une école de journalisme. Autre temps, autres mœurs. Cela dit, quelles que soient leurs origines sociales, mes collègues sont compétents. Le carnet d'adresses ne suffit pas. Tous triment comme des dingues.

Très étrange de repenser à ça. Pourquoi toutes ces interrogations remontent subitement à la surface ? Longtemps que j'ai évacué ce genre de sujet. Sûrement par peur de me sentir écartelé entre deux mondes, traître à l'un ; jamais en totale osmose avec l'autre. Aucune envie de me perdre dans des débats à rallonges sous mon crâne. Surtout que je ne peux pas apporter de solutions. Juste constater ce qui ne va pas, sans pouvoir améliorer. A quoi bon pisser dans un violon si on en joue pas ? En plus, la vie est trop courte pour ne pas d'abord penser à moi. Trop peu de place en moi pour m'occuper des autres. Pourquoi perdre mon temps à gamberger sur la lutte des classes ? Je sais que, malgré quelques batailles gagnées et espoir entretenues par des promesse-leurres, elle finit par être perdue. La défaite toujours pour les mêmes. Ceux de mon ancienne classe. Éternels perdants ?

A vrai dire, je ne suis qu'une sorte d'arnaqueur. L'humoriste vaseline pour faire passer la pilule d'une arnaque géante. Riez brave gens pendant qu'on vous encule à coup de 49-3, de discours humanistes, ou « Des citoyens sont morts pour le droit de vote. Si tu ne votes pas, tu aides le FN». Un dispositif très au point, dont je suis l'un des clowns anesthésistes. Qu'est-ce qui se passe ce matin ? Voilà que je me mets à cracher dans la soupe. Faut te ressaisir mon vieux; ton public chéri t'attend. Pas à me plaindre. Ma chronique est très écoutée. Mon site et mon compte tweeter croulent sous les compliments. Quelques messages négatifs parmi ce flot quotidien. Chaque jour, je sélectionne les tweets les plus laudateurs pour les retweeter. Les personnages publics n'ont pas le monopole de ce petit jeu en solitaire. Une très grande partie de la population joue à la compta du pouce levé. Qui n'aime pas être aimé ? Sûrement peu de gens. Mais être aimé ne suffit pas ; il faut que les autres sachent combien vous êtes liké. Tous équipés de nombrils numérique. Une époque avec des miroirs dans sa poche ou son sac, parfois au bout d'une perche. Tous préoccupés de son maquillage virtuel. Aimé combien de fois ce matin ? Chacun dans sa tour d’ego.

C'était mieux avant. Les gens moins égoïstes que de nos jours. La solidarité n'était pas qu'un mot. On se parlait plus qu'aujourd'hui avec ces putains de portables et ordis. Qui n'a pas entendues un jour ces affirmations ? L'avant tel un paradis perdu – transmis de génération en génération. Persuadé que le présent, surtout celui des plus jeunes, ne peut égaler ce qu'on a vécu. Pourquoi ce regard aimanté par hier ? Frustration personnelle ? La trouille du temps qui file ? Pare-brise ou rétro ? Les deux ? Pour ma part, je préfère le pare-brise. Aucune nostalgie pour mon passé. Ni le moindre déni. Un passé avec plus de bons moments que de mauvais. Ma mémoire, peut-être une protection, ne garde que les belles choses. Mais ce qui est fait n'est plus à faire. Et j'ai besoin de faire.

Mais pas ce matin, où je n'ai qu'une envie : fuir. M'éloigner de cette Maison ronde qui a fait ce que je suis devenu. Grâce à elle que mon regard s'est élargi. Entre ses murs, tant de rencontres qui m'ont ouvert sur d'autres univers que ceux auxquels j'étais dédiés. Des univers, pas plus intéressants que celui de la ferme et du village, mais qui convenaient le plus à mon appétit de nouveautés. Alimentant mon éternel cavale contre la lassitude. Pourtant aujourd'hui, je voudrais être n'importe où ailleurs que dans un studio radio. Seul. Comme si, d'un seul coup, la magie n'opérait plus. L'euphorie remplacée par la lucidité. Une lucidité éclairant sans indulgence le château de vanités; les miennes et celles des autres. Tous à s'agiter dans la même toile, gonflé de la prétention de se croire important. Péter plus haut que son micro.

La majorité des journalistes, animateurs d'émissions «sérieuses» ou de variétés, humoristes, prêts à tout pour ne pas être éjectés du manège médiatique. Chacun essayant d'attraper le Mickey qui plaira le plus au patron de la chaîne ou à l'actionnaire. Pour préparer chaque jour un cocktail d'informations ; la misère sociale, les migrants, et tout ce qui peut déranger, noyés dans un cocktail à base de buzz et de rires. Des rires gras ou cyniques. Difficile pour la moindre pincée de sens de surnager dans ce genre de mélange. N'importe quel borborygme d'une poitrine sculptée pour la télé-réalité a plus d'écho que la réflexion d'un cerveau pensant. De nombreux politiques ont été avalés aussi par la télé-réalité, sourires crispés entre deux peoples. La pensée et la culture ( pas celle des habituels et parfois talentueuses créations dites populaires) ne font pas le poids dans ce combat. Trop fragiles pour l'univers impitoyable de l'audimat-si souvent pitoyable. L'esprit condamné à avancer dans le silence ?

Usé. Suis-je devenu usé? Plus drôle du tout. Juste bon à ratiociner. Quelle connerie de vouloir embarquer tout un milieu dans mon brouillard matinal. Pour ne pas me sentir seul avec ce nœud au ventre. Mes interrogations ne regardent que moi. Je ne suis pas représentatif de tous les humoristes et médias de France. Facile de venir pointer du doigt ce monde dont je vis depuis des années. Sans oublier que j'alimente allègrement cette machine que j'accuse de décérébrer. Personne ne m'oblige à venir débiter mes vannes à l'aube. Bien sûr, mon humour est plus haut que la ceinture. Plus près du cerveau que des couilles. Le haut du pavé de la rigolade. Sans doute trop sévère envers les médias et moi. Pas que nous qui sommes responsables de ce merdier contemporain. Ni du décervelage national qui, après avoir laissé l'obscurantisme d'une poignée d'intégristes bouffer la tête de certains jeunes, nous mène droit dans les bras d'une sirène carnivore- pire que ses concurrents. Des politiques, avec leurs promesses non tenues et leur indécence, sont autant responsables que nous. Si ce n'est plus. Mais plus facile de cogner sur les médias que sur le reste de la population. Tous acteurs du spectacle pathétique de notre époque?

Qui peut m'appeler à cette heure ?Un texto de l'assistante de production. Pourtant je ne passe que dans une demi-heure. Sans doute inquiète car je suis toujours le premier arrivé de l'équipe. Je m'entends bien avec elle. C'est une gamine de la campagne. Mais, en tant que technicienne, elle n'a pas eu besoin de camoufler le roulement rocailleux de sa langue d'origine. Rares ceux qui font carrière à au micro avec un accent hors Paris. C'est pareil pour les quelques journalistes, issus de l'autre côté du pérife, obligés d'effacer leur accent de cités de banlieue. Tous les journalistes radio et télé, contrairement aux humoristes, doivent avoir la même voix et phrasé bien calibré. A quelques exceptions près, que des clones qui parlent dans les micros de Radio-France. Bon; assez perdu de temps en interrogations parasites. Un boulot à faire. Je sors de la bagnole.

Quelques miettes de ciel clair au dessus de Radio France. Le moment où, avec mon père, nous allions relever les cordeaux. Souvent après les nuits rousses,favorables à notre braconne de bord de Loire. « Plus comme avant. Y a plus d'anguilles dans les rivières. Finie la belle époque. ». Aucun cours d'eau près de sa maison de retraite. Gosse, c'était moi qui l'écoutait me raconter ses histoires d'anguilles géantes, si bonnes revenues avec de l'ail et du persil. Désormais, à peu près à l'heure où nous péchions, je lance un cordeau sur les ondes. « Avec quoi tu appâtes fiston ? ». Il m'écoute chaque matin. « Avec des mots, Papa. ». Mais les hameçons sont inoffensifs. En apparence ? Cela dit, personne n'est obligé de s'y accrocher. Ni moi de continuer à pêcher dans des eaux qui commencent à me troubler. Mais pas d'autres perspectives, pour l'instant. Bon qu'à faire rire.

Clown des ondes.

NB) Une fiction inspirée de ce très intéressant article de Jean-Claude Guillebaud. Son point de vue sur la tyrannie de l'humour et du rire.Je suis d'accord en grande partie avec le texte. Sauf le passage sur l'humoriste du 7/9 qui me fait beaucoup rire chaque matin.

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