Mouloud Akkouche (avatar)

Mouloud Akkouche

Auteur de romans, nouvelles, pièces radiophoniques, animateur d'ateliers d'écriture...

Abonné·e de Mediapart

1810 Billets

0 Édition

Billet de blog 11 octobre 2024

Mouloud Akkouche (avatar)

Mouloud Akkouche

Auteur de romans, nouvelles, pièces radiophoniques, animateur d'ateliers d'écriture...

Abonné·e de Mediapart

Parole gelée

La machine à mots ne s’arrête jamais.Partout sur la planète virtuelle.« Je t’aime. Je te hais. Oublie pas le pain. Sale Juif ! Tu me rejoins chez le chinois. Sale musulman. Tu vas chercher les gosses à l’école. Sale PD. Je serai là dans douze minutes. Sale gouine. Je reviens vers vous pour la réunion.»Une avalanche planétaire de mots.Pour le meilleur et le pire des échanges.

Mouloud Akkouche (avatar)

Mouloud Akkouche

Auteur de romans, nouvelles, pièces radiophoniques, animateur d'ateliers d'écriture...

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Les deux faces de la tablette de Kish

                  La machine à mots ne s’arrête jamais. Partout sur la planète virtuelle. Du matin au soir. Je t’aime. Je te hais. Je te quitte. Oublie pas le pain. Sale Juif ! Tu me rejoins chez le chinois après le taf. Sale musulman. J'ai presque plus de batterie. Suce-moi, sale pute. Tu vas chercher les gosses à l’école. Sale PD.  Je serai là dans douze minutes. Sale gouine. Je reviens vers vous pour la réunion de la semaine prochaine. Sale blanc. Mon bus a du retard. Une avalanche planétaire de mots. Pour le meilleur et le pire des échanges. Sans doute un des siècles où le mot a eu une telle importance. La lecture et l’écriture sont devenues très importantes de nos jours et nuits. Un paradoxe dans une époque submergée par les images. Mais c’était sans compter sur l’arrivée d’un outil sur le marché des échanges humains. Transportable dans sa poche. Utilisable du bout des doigts. Et à tout moment.

              Le texto. Ce n’est pas de l’écriture, me disait une universitaire très érudite en littérature. Et adepte , du « c’était mieux écrit avant ». Néanmoins, elle n’a pas tort : la majorité des texto n’est pas de la littérature. Sûrement pas la prétention des textoteurs et textoteuses. Mais, que ça plaise ou non, c’est tout de même de l’écriture. Avec jamais loin sa sœur l’écriture. Les Hiéroglyphes égyptiens ou crétois étaient-ils de la littérature ? La Tablette de Kish ( l'écriture la plus ancienne connue) est-elle un chef d'œuvre littéraire ? Je ne suis pas un connaisseur. Mais, à mon avis (peut-être balayé de quelques mots par des spécialistes), il n’y avait pas que des grands auteurs et autrices. Comme aujourd'hui, tous les auteurs et autrices de textos ne sont pas tous et toutes de grandes pointures de la littérature. Toutefois, une chose est sûre : l’écriture et la lecture ne devaient pas être aussi répandue qu’aujourd’hui. Avec un point en commun : sans doute les mêmes banalités que nous nous échangeons au quotidien. Juste la forme des tablettes qui a changé. Et l’index transformé en virgule d’écran.

             Les mots circulent sans cesse. Mais le plus souvent uniquement pour tous les échanges pratiques au quotidien. Et c’est très important. Tous ces petits mots ne sont pas si anodins. Mis bout à bout, ils constituent une histoire. La sienne. Celle de ses proches et de ses lointains. Ne jamais négliger le banal qui occupe une très grande part de nos trajectoires de passagers du globe. Et collectionneurs d’éphémères avant la route sans retour. Mais pas que du banal dans nos échanges. Les mots de la passion amoureuse, de la haine, de la guerre, de la philosophie, de la poétique, de la politique, de la com… Certes pas, contrairement à ce qu’elles font croire ; des paroles nécessairement des essentielles et profondes. Parfois creuses et moins intéressantes que tel ou tel propos banal. Sans oublier la manipulation et le blabla cache-misère de sens (les mots de la com et de certains politiques sans la moindre parole politique ?). Tout ça, c’est ce qui se dit. Avec plus ou moins d’intérêt. Et tout ce qui n’a jamais pu se dire ?

              La parole tue. Ne pas confondre avec le silence volontaire. Pour se mettre à l’écoute de l’autre ou parce qu’on a rien à dire d’intéressant. Savoir se taire est un des derniers luxes de notre siècle ? La question ne se posera qu’après un très long moment de silence. Revenons à cette parole en réalité tuée. Par qui ? Plus fort que soi. Que ce soit par la force physique d’une dictature. Tuant souvent d’abord la parole des intellectuels et des poètes. Des mots pouvant être aussi écrasés par un individu avec peu de muscle sous le crâne et beaucoup de biceps. Le fameux mot de Michel Audiard : Quand les types de 130 kilos disent certaines choses, les types de 60 kilos les écoutent. Sans pour autant prendre leur parole pour argent comptant. Les types de 60 kilos n'écoutent peut-être pas. Se contentent juste d'entendre d'une oreille. Et penser de l'autre.

             D'autres poids lourds de la parole occupent le terrain de nos oreilles. Sans peser 130 kilos. Notamment certains ( pas tous et toutes pourries) de ceux et celles - souvent élus par nous - qui finissent par confisquer la parole de la majorité. De quelle façon ? Surtout avec des éléments de langage com et une forme de mépris plus ou moins affiché. Le haut du panier, élevé dans les mêmes grandes usines à manier la langue, persuadée que sa parole est d’autorité et en plus fine et intelligente. Confondant instruction et intelligence. Avec des mots et formules vide de sens, mais qui en jette dans la vitrine. Confondant aussi briller comme un lampadaire et éclairer comme un phare. Ce sont des tueurs de parole avec sourire mécanique. Des hommes et des femmes bien élevés en apparence ; sous les tapis de luxe, la même noirceur et connerie humaine que dans le bas du panier. Retour à la parole tuée. Quels sont ceux contraints de « ravaler leurs mots » depuis la nuit des temps ?

           Les plus pauvres. Quelle que soit leur couleur de peau. Certes les colonisés ont sans doute eu plus à ravaler leurs mots que la majorité de la population. Une des missions de l’occupant étant de « prêcher la bonne parole » aux indigènes. Avec plus ou moins de violence. Certains missionnaires persuadés d’être dans le vrai et dans la bienveillance. Et quelle était cette bonne parole ? Évidemment celle du plus fort. Toutefois, ne pas oublier que la majorité des blancs sont colonisés de l’intérieur par des blancs comme eux. Certes avec un système d’écrasement moins visible et violent que celui adopté dans les colonies. Avec néanmoins certains points en commun. Des colonisateurs prêchant aussi leur bonne parole. Avec une grande puissance d’infantilisation d'une grande partie de la population. Nous enjoignant à penser dans les clous des médias et courir la trouille au ventre dans un isoloir. Bien sûr, il y a la liberté d’expression. C’est indéniable. Même si certaines paroles, plus près de la machine à fric, se vendent nettement mieux que d’autres propos intéressants et avec du sens, mais sans moyens ni carnet d’adresses. Guère un scoop tout ça. Néanmoins préférable de vivre en France ou des pays du même genre que dans des dictatures. Ce qui n’empêche pas de conserver son esprit critique. Même avec sa famille de pensée. Continuer de douter et penser contre soi. Comme s’interroger sur entre autres la parole tuée.

            Quels sont ceux contraints de « ravaler leurs mots » depuis la nuit des temps ? La question au paragraphe précédent pose une autre question ?  Sur le « ceux ». Car, en réalité depuis la nuit des temps, ce sont surtout celles qui ont été obligées de « ravaler leurs mots ». Des oppressions de leur parole très différentes les unes des autres. Violentes ou plus pernicieuses. Depuis quelque temps, les «  celles » prennent la parole. En fait, elles reprennent la parole qu’on leur a volée depuis si longtemps. Récupérant leurs mots spoliés par les colonisateurs. Une récupération plus que légitime.  Sa parole comme un avoir gelé depuis trop longtemps. La réparation d'une des plus anciennes injustices et spoliations. Même si, nous les mecs, on en prend souvent plein la gueule en ce moment. Parfois d’une façon injuste et  stupide. L’homme, colonisateur ou non, se trouvera dans la cible. La balle est dans le camp des décolonisatrices. Pour ne pas mettre tous les mâles dans le même sac à paire de couilles sans cœur ni cerveau. Ne pas confondre le plus vieux système de l’humanité et chaque homme. Aussi inepte que de dire que tous les blancs sont racistes et dominants, ou tous les sont des.... Bon, j’arrête de faire la leçon. Encore trop parlé pour ne pas dire grand chose. Place à la conclusion.

          Qu’on le veuille ou non, ce siècle sera celui de l’émancipation de la plus ancienne colonie du monde : la femme. Des milliers d’années de colonisation ( un terme peut-être excessif et caricatural mais parlant) d’un corps et sa parole. Avec bien souvent la bénédiction de toutes les religions. Important donc - en tout cas pour les humanistes de tout bord - d’être du côté des colonisées. Sans leur couper sans cesse la parole. Ni prendre toute la place au micro ou à une conversation à table. Savoir l’ouvrir sans verrouiller la parole de la femme. Une gageure pour certaines grandes gueules dont je fais sans doute partie. Néanmoins, il y a eu des évolutions. Ne pas cracher sur le positif quand il y en a. Les femmes, notamment dans les démocraties, ne sont plus autant assujetties à l’homme. Elles ont combattu et obtenu des victoires. Même si tout n’est bien sûr pas gagné. Encore moins en Iran – pays de résistantes et de décolinisatrices forçant le respect- et ailleurs sur la planète. Ne pas oublier non plus la vague anti-IVG au pays de la statue de la liberté. Encore beaucoup de boulot.

       Dans les textes de loi et les cours de justice. Mais aussi sous les crânes, des hommes et de certaines femmes. Affaire à suivre et ne pas lâcher des yeux. Toutefois  indéniable que, partout dans le monde ; ce jeune siècle a lancé un vaste chantier. Une entreprise colossale. Quel est ce chantier du siècle ? L’écoute de la plus vieille damnée de la terre.  Et surtout prendre en compte ses mots gelés depuis trop longtemps. Tant de paroles réprimées. La glace du silence a été brisée. Plus rien ne sera comme avant. Depuis que coulent des fleuves de mots de femmes. Celles des vivantes et de toutes les absentes. Des mots pour les femmes d'hier et d'aujourd'hui. Et toutes celles à venir. Quel est le but de cette parole sortie de sa glaciation de silence ? Réaliser la décolonisation de la moitié de l’humanité.

            Et le réchauffement de nos relations humaines.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.