Lettre à Fascisme

              Votre arrivée n’est plus imminente. Déjà présent. En tout cas, beaucoup de gens l’affirment. Votre présence dans l’espace public et les têtes. On parle très souvent de vous. Souvent d'ailleurs en employant l’adjectif « facho ». Avec des pics à chaque élection. Quand les bulletins de vote deviennent des grenade dégoupillées dans les urnes. La colère solitaire explosant en de millions d’impacts partout en France; surtout dans les petites villes et zones rurales. Le plus souvent des explosions aux couleurs d’un seul parti. Certains disent qu’il est fasciste : un groupe né entre autres d’un ancien SS et un important terreau antisémite. D’autres prétendent que ce parti a changé. Plus du tout l'extrême droite à la Papa ? Qui dit la vérité ? À mon avis, de ce parti perdure une part de passé antisémite, raciste, sexiste, homophobe… Je ne parle pas de la majorité des militants et des votants. Ni de tel ou telle élue. Mais de certains cadres et de la structure. Nombre d'exemples nous rappellent que le cordon ombilical avec le passé n'est pas coupé. L'arrière-boutique pas si propre que ce qu'affiche la façade ?

           Paraît que vous avez un nouveau visage de nos jours. Lequel ? La face du damné de la terre. Autrement du fascisme basané. Avec bien sûr en fer de lance les islamistes et autres intégristes. C’est une minorité, répètent certains. Et à juste titre. Comme tous les millions de grenades-bulletins ne sont pas tous et toutes des racistes, antisémites, homophobes… Mais très difficile d’ignorer la minorité. Surtout quand elle commet le pire. Comme celle des islamafaschistes. Nul besoin de détailler les horreurs perpétrées au nom d’une religion - pratiquée sans haine ni violence par des centaines de millions d’adeptes. Indéniable que certains basanés sont des fascistes. Aucune couleur de peau n’échappe à ce fléau. Vous, Fascisme, pouvait avoir toutes les origines. Et parler toutes les langues. Tout ça a déjà été dit sur ce sujet. Et sans doute mieux que sur le courrier d’un billet d’humeur.

           Toutefois indéniable que votre nom est mis à toutes les sauces. D’aucuns affirment même que le fascisme peut être associé désormais à de nouveaux mouvements. Comme une forme fascisme du féminisme dit radical et wokisme (un terme, paraît-il, employé et beaucoup utilisé par l’extrême-droite). Ici et là, on voit des gens (pas nécessairement des fachos comme on dit) s’inquiéter d’une forme de « néo-puritanisme » et quête de pureté mentale. Tout être refusant de se déconstruire devenant présumé suspect ; même si la personne en l’occurrence ne représente aucun danger pour l’autre quel qu’il, elle, soit. Assistons-nous à une course autour d’ une forme d’« immaculée déconstruction » grenouillant autour de bonne et légitimes causes. Une volonté de pureté qui rappelle des heures sombres » ? Réalité ou fantasme de désigner une minorité de ces mouvements (légitimes et nécessaires) sous le vocable de fasciste ? Des questions qui se posent. En essayant de se méfier des manipulateurs-diviseurs.

        N’oublions pas une autre tendance actuelle. Elle rime avec fascisme. C’est le masculinisme. On le sent revenir en force. Suffit de se promener sur la toile pour s’en rendre compte. Mais il y a un grand avantage avec cette tendance. Guère besoin de se poser des questions. Les gros bras sont mis sur un plateau au vu et au su de tout le monde. La volonté de la plupart d’entre eux et de quelques elles est très claire. Leur quête de pureté masculine et retour du pouvoir permanent des couilles est tout à fait compatible avec le fascisme. Et même lui servir de cheville ouvrière pour aller casser du woke et de tout basané rencontré en route. Avec eux, on sait à qui on a affaire. Puisqu’ils se revendiquent fachos. Et donc fort repérables.

           À l’école, on a appris que le fascisme était né en Italie. Avec les faisceaux, Mussolini, etc. Un mouvement bien localisé. Mais depuis X décennies, ce terme désigne tout mouvement pouvant faire basculer une démocratie en dictature. Avec bien sûr la désignation de l’impur : tout être qui n’est pas issu du même sang que son miroir de l’entre-soi ; que personne d’autre ne rentre. À moins que mon interprétation soit mauvaise, il me semble que le fascisme, c’est l'éloge des murs. La fermeture des frontières mentales pour vivre entre cerveaux et cœurs nourris par les mêmes aliments. Blancs entre blancs. Noir entre noirs. Jaunes entre jaunes. Métisses entre métisses. Juifs entre juifs. Musulmans entre musulmans. Catholiques entre catholiques. Hétéros entre hétéros. LGBT entre LGBT. Riches entres riches. Pauvres entre pauvres. Chacun chez soi. Et les rideaux fermés.

          Guère un programme réjouissant. Pour ma part, ne voir que mes clones me déprimerait. Avec tous et toutes les mêmes magasines sur la table basse, l’écoute des mêmes radios et télés, la lecture des même quotidiens, les mêmes musiques, les mêmes bouquins, les mêmes films, les mêmes spectacles vivants, les mêmes graines dans son assiette, les mêmes vélos, les mêmes pensées, les mêmes votes; autrement dit les mêmes us et coutumes entre gens rassurants, car « vivant dans le même sens que soi ». Qu’est-ce que ce serait chiant. Mais surtout dangereux. À rester entre miroirs, on ne voit plus le monde. Ni une partie de soi. Nos zones d’ombres. Sans cette part obscure, voire glauque et dégueulasse, nous ne serions que des algorithmes sur deux pattes. Incapable de transgressions. Ni de douter, se contredire, se tromper : évoluer. Sans cette part sombre, certaines créations n’auraient pas vu le jour. Même si les bons sentiments n’empêchent pas de créer. Important de briser cette haie de miroirs rassurants. Dans quel but ? Pour voir différemment le monde et soi. Ne pas penser être avec les siens et siennes le centre de l'univers.  Sortir de son miroir et profiter d'une vue unique. Avec le regard de sa solitude passagère.

    Pourquoi Fasciste, vous écrire aujourd’hui ? Bien sûr, parce que j’aimerais en savoir plus sur vous. Ne pas me contenter de rumeurs ici et là. Mais ce courrier a aussi un autre but. Celui d’en savoir un peu plus sur une part de moi. Aurais-je une tendance à basculer dans votre camp ? Même si je ne peux pas devenir fasciste. En fait, pas si sûr. Plusieurs exemples de libertaires, plutôt érudits, souvent se réclamant du progressisme, ayant carrément viré de bord. Impossible de devenir fasciste parce que métèque ? C’est un leurre. Suffit de voir certains basculant dans l’intégrislamique pur ou dur ou adeptes d’une pratique très étriquée de la religion. Et il y a d’autres métèques qui, par peur d’être assimilés aux « fascistes de Dieu », tiennent – à juste titre- à se désolidariser d’ordures qui veulent entre autres réduire les femmes à l’état d’esclaves ; si inquiets d’être amalgamés que, pour prouver leur bonne foi, certains sont plus royalistes que le roi, plus laïques que la laïcité, et plongent dans les bras de l’extrême-droite. Nul n’est à l’abri de basculer. Néanmoins, même sans être fasciste, on peut verser dans le réac. Est-ce mon cas ?

         Je me pose la question. Avec certaines de mes réactions contre tel ou tel mouvement actuel. Même en étant d’accord sur le fond. Mais très méfiants d’une nouvelle catégorie d’intégristes issus de certains combats légitimes. Des anti-vieux monde ayant intériorisé le pire du vieux monde. Notamment en termes de quête effrénée de pouvoir et de volonté de diviser pour mieux régner. Tout en me méfiant de l’appellation woke (très instrumentalisée par l’extrême-droite), j’ai tendance à être parfois d’accord avec certains qui l’emploient. Surtout face à des représentants de causes urgentes et légitimes bousillant de vraies luttes avec leurs propos et méthodes. Et à la moindre critique de leur manière de penser et de fonctionner, vous recevez une salve de sexiste, transphobe, masculiniste, etc. Se servant d'une cause légitime pour devenir incritiquable. Ne parlons pas de l’humour et de la dérision qui doivent ne faire rire que dans le sens de leur humour et celui de leur famille de pensée. En réalité, rien de nouveau.

       Pourquoi ce serait différent parmi certains pourfendeurs et pourfendeuses de vieux monde. Indéniable que certains et certaines emploient les mêmes méthodes que lui. La connerie humaine n’a pas de frontières. Elle peut même prendre le masque du progrès. Un idéal, même le plus beau, ne peut empêcher l’éclosion du pire de soi. Dont celle de vouloir tirer la couverture d’une lutte que pour son ambition personnelle. Peut-être que j’aurais agi de la même sale manière si je m’étais engagé. Facile de critiquer sans mettre les mains dans le cambouis. En tout cas, j’ai quelques interrogations en cours face à ce nouveau monde en train de naître. Certaines actes et propos péremptoires ( comme chez certains militants et militantes du vieux monde) m’agacent. Et d’autres que je ne comprends pas. Sans doute normal d’être perturbé. Comme à chaque changement de générations venant secouer les certitudes des précédentes. Suis-je un indécrottable vieux mondiste ?

        Cher… non, désolé ; je ne peux vraiment pas employer cette formule. Fasciste, j’aimerais un jour que vous me disiez qui vous êtes vraiment. Pour en savoir plus sur votre façon d’être et de penser. Et je dois vous l’avouer, pour aussi continuer de me méfier de vous. Sans pour autant qualifier n’importe qui - ne pensant et vivant pas comme mon miroir au pluriel - de fasciste. À mon avis, cette appellation se mérite. Il faut avoir apporté des preuves qu’on est fasciste. N’importe qui ne peut y prétendre. Il faut avoir passé un certain nombre d’épreuves. Voilà pourquoi, j’aimerais que vous m’éclairiez sur ce sujet. Si, bien sûr, ça ne vous dérange pas d’adresser votre courrier à mon adresse : rue du métèque-athée-penseur contre soi-critique de ses médias préférés-adepte de la dérision et autodérision, etc. Et bien sûr autocentré et vantard, vu le CV que je viens de me rédiger. Trêve de digression et revenons à nos moutons fascistes. Qui sont réellement tous ces individus qualifiés de fachos ? Comment utiliser ce terme à bon escient ? J’attends donc votre courrier.

         Avant de conclure, j’aimerais partager avec vous Fasciste, une constatation. Peut-être à côté de la plaque, mais sincère. Sur les quatre dernières lettres de votre nom. Iste. Très souvent, elles ont généré le pire pour l’espèce humaine. Que ce soit pour la religion à travers son intégrisme. Combien de millions de morts au nom des croisés (qu’en pense entre autres les Albigeois?) et autres fous de Dieu actuel. Certes, la majorité des croyants aux Père Noël, au ogres et fées, et à Dieu, ne sont pas des massacreurs de contemporains. Mais à mon avis, ils devraient se poser des questions sur leur créateur. Il a piscine quand certaines de ses créatures massacrent (en priorité, les femmes) sur la terre qu’il aurait créée ? Les idéologies n’ont rien à envier en termes de massacres aux religions. Deux importants exemples de ismes destructeurs : nazisme et stalinisme. Certes pas les seules idéologies destructrices d’humanité. Se méfier toujours des ismes ? La question peut se poser. Se méfier aussi de certains forme de faux humanisme ?

          Voici mes quelques interrogations sur vous, Fasciste. En espérant que vous pourrez me répondre. Pour que je sache ce qu’est réellement un fasciste. Ne pas employer votre nom à tort et à travers. Je ne vais pas vous prendre plus de temps. Visiblement, vous avez beaucoup de boulot en ce moment. Avec de nombreux masques, partout sur la planète. En plus, vous avez eu récemment une très grosse victoire. Avec un de vos membres qui a les clefs du monde entre ses mains. Vous avez  un grand chantier en cours. Avec de bonnes bases et potentiel sur toute la planète. Et nous avons donc aussi un gros chantier. Pour d’abord rester unis contre vous. Et ce n'est pas une mince affaire en notre ère de confusion. Lutter en évitant de mettre toutes les colères dans le même sac à raccourcis. Un combat urgent contre vous, multifascistes. Mais avec un grand défi. Lequel ?

         Ne jamais vous ressembler.