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Billet de blog 11 décembre 2015

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Pourquoi j'arrête de voter Marine Le FN

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Merci à @carobrodandroll pour la citation de Jean Yanne, 

Pour Nathalie et Kader, et tous mes autres vrais potes...

Pas facile pour moi de rédiger ce courrier. J’ai hésité à écrire cette lettre car je sais que… Et puis, tant pis s’il y a des fautes. Pas l’orthographe qui fait la sincérité. En plus, j'ai pas écrit un article de canard ou un essai, seulement donné mon point de vue. Je parle qu'en mon nom. Revenons à nos moutons: fini pour moi le vote le Pen. Plus de 20 piges que je suis persuadé de faire le bon choix. Celui qui correspondait à mon ras-le-bol et à ma colère contre tous ces... Je e regrette pas car ça m'a fait du bien de cracher ma rage contre ce système de copinage aux étages du haut. Trouvé que cette manière de leur dire ce que je pensais d'eux. Un choix en réalité par défaut. Sans doute aussi pour éviter de me creuser la tête.  Aller au plus simple. Qui m’a ouvert les yeux sur mon impasse?

Un politique ou un journaliste ? Pas du tout. Bien longtemps que j’écoute plus leurs discours. Beaucoup d'entre eux mangent dans les mêmes cantines. Chaque fois qu’ils nous disent de pas voter FN, on a envie encore plus de voter pour Marine. Rien que par esprit de contradiction, juste pour les faire chier. Un bras d’honneur des gens d’en bas. Que ça pour nous venger de ces bobos gâtés de la République nous prenant pour des cons de beaufs racistes et sexistes. Ils vont souvent pas chercher plus loin. Eux se penchent sur notre cas et nous dissèquent dans les journaux ou à la télé; nous aussi on se renseigne sur qui ils sont réellement. Facile pour eux de juger les autres quand eux et leur famille sont super protégés. Où y vivent ? Où vont leurs gosses à l’école ? La quasi majorité de ces gens vivent vraiment pas dans le même monde que nous. Vachement bien le Net pour voir leurs magouilles. Vaudrait mieux qu’ils la ferment pour être meilleurs contre le FN. Non, on vote d’abord contre eux. Et leur arrogance de donneurs de leçons bien protégés.

En fait, c’est un «Copain d’avant » qui a crée le déclic dans ma tête. Il m’a envoyé un lien avec une vidéo de notre enfance. Ce documentaire tourné dans notre cité du Morillon, en 1976. On dirait qu’on est dans un film de Claude Sautet. Je parle pas dessus, déjà un taiseux, mais j’apparais plusieurs fois dans le champ. L’impression de voir quelqu’un d’autre que moi. Un étranger aux cheveux longs. Ça m’a vachement secoué la tête et le cœur. Rappelé des pans entiers de moi complètement oubliés. Beau et con à la fois, comme dit la chanson. Ce documentaire c’est un coup de jus qui a réveillé la partie de mon cerveau endormi. Plus du tout prêt à me laisser manipuler. Ni à me rendormir.

Comme réveillé d’un coup par ces images d’une époque où les deux principales religions étaient «pauvre » ou «riche ». Pas de polémique sur la race et Dieu. Autre chose de plus urgent à penser tous les jours. Si Dieu existait pour certains, il se faisait plus discret que de nos jours. Moi j’ai jamais cru à ces contes pour adultes. Mon dernier Dieu vivant était ma mère, morte à la tâche dans sa putain d’usine. Moi je finirai ex-soudeur à Pôle emploi. La seule vraie divinité de la cité était Johnny et les Verts de St Etienne. Faux de dire que tout allait bien. Y avait des connards comme partout et de tout temps. Certains étaient déjà racistes, avant que ce soit à la mode et que ça rapporte autant  pour les uns et les autres. Ça cassait aussi du PD. Des femmes se prenaient des coups. Faut pas se leurrer : c’était violent. Plusieurs gosses qu’ont voit se marrer dans la vidéo sont morts par arme à feu. Une balle les attendait au coin du futur. Aucun rêvait de finir crevé sur un trottoir. Une balle dans la tête ou une shooteuse dans le bras. Mais pas tous partis aussi violemment. Un grand paquet de morts lentes dans des emplois de merde ou au chomedu. Non, on pensait pas à tous ces trucs d’avenir. Le problème de nos darons prolos, pas le nôtre. Trop occupés à grignoter le présent: notre seul héritage. On le dilapidait dans ce square. Ou au parc Montreau pas très loin. Pauvres mais bourrées de rêves. Même si c’étaient des rêves à la con, vendus par les publicistes de l’époque. Chacun son paradis mobile.

Bien sûr, c’est le mec de 57 piges qui se met à radoter que c’était mieux avant. Tout le monde croit que son enfance est la plus belle.  Sûr que les cailleras de maintenant que j’aime pas beaucoup, ceux qui font du rap, ceux qui crament des bagnoles, les jeunes cons et aussi les mecs bien de maintenant, seront super heureux de se retrouver un jour comme moi sur un documentaire: 40 piges après leur adolescence. Indéniable quand même que les cailleras font chier leur monde à cramer des bagnoles et pisser dans les ascenseurs. Ces cons emmerdent en plus que leur propre famille et leurs voisins. L’hôpital qui se fout de la charité. Nous aussi y en a qui faisaient des conneries de ce genre. Moi je foutais Johnny à fond dans ma R16 et j’ai déjà pissé dans un ascenseur. Je chourais aussi dans notre supérette. Pas un braqueur, ni un ange non plus. On faisait pas tous des conneries. Plein de gens très différents dans notre cité. Autant de tocards que de gens bien dans notre quartier.

Le problème c'est que maintenant ça va plus vite qu’en 1976. Aujourd’hui, avant même que tu fasses une connerie, les journalistes et des spécialistes en parlent. La cellule de crise comme prête avant la crise. La moindre connerie se sait très vite. Presque l’impression que l’actu a besoin de sa dose quotidienne de merde de banlieue. Que ferait-elle si tout se passait bien dans ces cités ? Chômage technique et idéologique pour les politiques et les médias ? Les uns travaillant à cracher sur une population, les autres pour la défendre. Les meilleurs là-dessus et les plus efficaces c’est «François de souche ». Je vais aussi arrêter d’aller sur ce site. Comme me dit mon pote Michel, c'est du « djihadisme de souche ». De la manipulation mentale bien de chez nous. Notre prophète à nous s’appelle Marine. Et notre fatwa c’est contre les élites et les immigrés.

J’en étais où ? Difficile d’écrire pour moi. Je suis… disons… un peu illettré. A l’époque, comme dit le p’tite frère d’un pote dans la vidéo, on faisait tout le temps la bleue. Pour nous, l’école servait à rien. Notre square était plus attirant que la salle de classe. On voulait vite travailler ou trouver une combine pour s’arracher de chez nos darons, vivre en ménage, s’acheter une bagnole… Ressembler à nos darons. Pareil que les gosses de pauvres de maintenant. Rien ne change sous le ciel des cités et de tous les quartiers populaires. La bleue, c’était bien. L’école buissonnière était notre p’tite révolution ou mai 68 à nous. Mais, en attendant, obligé de demander à ma femme de m’aider pour que cette lettre soit pas trop confuse. Ma femme vient aussi de la même cité, mais elle faisait moins la bleue que moi car sa daronne la surveillait de près. Pour nos vieux, l’école c’était sacrée. Plus que tout le reste. Dommage que ma femme soit pas née ailleurs. Elle sait pas encore si elle va voter encore ou pas pour Marine dimanche. Moi je suis une grande gueule, ma femme c'est une tronche qui arrête pas de lire. Sa carte de médiathèque chauffe plus que sa CB. Sûr qu’avec son intelligence, elle aurait dû cartonner et faire des études. Ça sert à rien de refaire le match, surtout quand on l’a perdu. Elle est moi on s’est pris la main la première fois dans ce square. Un jour de bleue. Mon histoire d'amour.

Y a une question que je me pose souvent. Quand a commencé tout ce merdier qu’on vit en France ? Je suis pas assez calé pour vous parler d’économie, de mondialisation, ou de trucs dans ce genre. Juste comment je ressens la bascule dans ce pays. Moi, je crois que ce poison entre nous les pauvres a commencé notamment avec cette histoire de potes. Pas que ça bien sûr mais ce truc là y a bien contribué aussi. La première fois que j’ai entendu « Touche pas à mon pote », j’ai pas compris ce que c’était. Tous ceux que je voyais au square étaient des potes. Certains le sont encore. On se voit pas mais on se parle par Facebook, grâce à Copains d’avant. Je mens en disant qu’on était tous potes. Y en a dans la vidéo que je continue à pas blairer. Comme quand j’étais jeune. On peut pas aimer tout le monde. En tout cas, c’était la première fois que je me suis demandé qui était ces potes auxquels fallait pas toucher.  Pourquoi nous avoir rajouter un mur de plus ? Et le tri a commencé. La division entre potes et pas potes.

Ça me rappelle l’histoire que nous avait racontée une instite de la primaire. Un gosse rentre chez lui en Amérique et dit à sa mère : je me suis fait un pote. Sa mère répond : Super ! Il est de quelle couleur. Le gosse se gratte le front et répond : j’sais pas Maman… Mais je vais regarder la prochaine fois. Une histoire entendue y a presque 45 piges et qui me reste en mémoire. Cette femme a fait plus que tous les concerts de la main jaune et le sirop humaniste à la télé. Surtout quand on sait comment certains ont retourné la main… Cette instite, super dure avec nous, qu’est-ce qu’elle m’a collé, elle a jamais eu de voiture de fonction et de parachute doré. Pas une phobique de l’administration. Elle faisait son boulot sans se la raconter. Alors que les… J’arrête mon tous pourris; sinon je vais revoter pour Marine. Et je veux plus me faire avoir par elle. Ni par tous les autres.  Voter pour mon instite ?

J’accomplis mon devoir électoral depuis que je suis majeur. Un truc hérité de mon daron coco. Y me tannait avec «des gens se sont battus pour que tu puisses coller ce bout de papier dans l’urne ». L’isoloir était sa seule église. Au début, je votais comme lui, pour les cocos. J’ai jamais eu de carte du PC mais c’est vrai qu’eux s’occupaient pas trop mal de nous dans les quartiers. En tout cas, ils essayaient de pas rajouter de la merde et de la division. Je détestais lire mais y avait une bibliothèque dans toutes les coins de la ville. Illettré et cerné par les bouquins. Et c’était gratos. On partait en colo pour que dalle. Sans les cocos, j’aurais jamais skié ou plongé la tête dans l’océan. Bien sûr, il avait le goulag et tous ces millions de morts de Saline en URSS. Ils en reparlaient à la radio avec la mort du philosophe André Glucksmann. Mais, on peut dire ce qu’on veut, jamais vu de goulags dans ma ville d’enfance. Et dans tout le 93: plein de théâtres et de salles de concerts. Mêmes les riches de l’autre côté du pérife venaient chez nous pour se cultiver. En plus, pour les cocos, il y avait que deux différences : les riches et les pauvres. Avec ou sans pognon.

Nous, on savait qu’on jouait dans la cour des pauvres. Et qu’il y avait les riches de l’autre côté.  Pauvre était notre couleur à tous dans le quartier. C’était un peu borné, simpliste, et tout ce que vous voulez, mais quand même mieux que maintenant. Aujourd’hui, ils arrêtent pas de parler d’égalité des chances et de mixité. Pour eux, l’égalité des chances c’est ouvrir la porte à quelques gosses de pauvres, les montrer à la télé comme un symbole d’égalité,  et laisser les autres crever la gueule ouverte dans leur putain de ghetto. Pour la mixité, y en a moins qu’avant alors qu’ils en parlent en boucle. Paroles, paroles… On croit plus à leur blabla. Trop entendu les mêmes promesses pas tenues.

Revenir au vote communiste ? C’est plus comme à l'époque où certains copains du daron qui croyaient encore à Staline. Non, je vais pas voter pour eux. Voter PS ? Hors de question ! Les écolos ? On les a vus à l’œuvre. Pareil que les autres, prêts à tout pour un poste bien placé au chaud. Plus confiance en personne. Sûr qu’ils vont tous s’allier avec leurs copains ennemis de la finance. Voter pour les copains de Sarkozy ? Sûrement pas me faire avoir une autre fois par un magouilleur de première. Bref, je suis dans la merde. Pourtant j’aime bien voter. Rares les fois où, nous d’en bas, avons l’impression de servir à quelque chose. Même si on reste réaliste quand même sur les effets de notre vote. Si le vote servait à quelque chose, ce serait interdit, disait je crois Coluche. On s’est habitués à picorer les miettes de la République. Sauf qu’on est beaucoup plus de pauvres à se les partager. Sans oublier les pauvres sans frontières qui débarquent chez nous. Des plus pauvres que nous qui viennent manger notre misère de souche.

Voter me donne de plus en plus l’impression que c’est juste un changement de leurres. Rien ne change. Suffit de regarder autour de soi pour voir que  c’est plus la merde qu’avant. On ravale que les façades pour les caméras. Dedans, la boue continue de couler. Le bulletin de vote ou la canne à pêche ? J’hésite. Pourtant m’abstenir serait vraiment très duraille pour moi. Et surtout pour la mémoire de mon daron. 20 piges qu’il doit me faire la gueule de là-haut en lisant mon bulletin de vote FN. Le  parti qu'il détestait le plus. « Fais ce que tu veux fiston. Mais passe jamais chez les vrais ennemis des prolos que sont les fachos. Surtout les plus dangereux : les fachos propres sur eux et très malins. »  Y me faisait chier avec sa morale. Bientôt me réconcilier avec mon daron ?

A force de se fréquenter et de venir des mêmes écoles, les élites de gauche et  de droite sont devenues un peu comme des sœurs jumelles. Le Front National, une de leurs nouvelles p’tites sœurs, mais en plus teigneuse. Marine Le Pen c’est un peu la Cruella de la politique. Elle sait qu’elle va faire un carton car sa présence sert aux grands partis pour être là au second tour. Les seuls à qui elle sert pas du tout ce sont ceux qui vont voter pour elle. Je viens juste de m’en rendre compte. Un peu comme quand t’as trop picolé et que le lendemain, en croisant le matin les regards des proches, tu sais que t’as dit beaucoup de conneries. Bref, on est vraiment mal barrés. Et en plus aujourd'hui, t’as ceux qui vont se faire descendre pour 70 vierges. Même une vierge aveugle voudrait pas d’un cadavre. Le XXIe siècle respire pas beaucoup l’intelligence. A croire que la connerie règne en maîtresse, à tous les étages. Sûr que je me ferai plus embrouiller par Marine. Que faire alors? J’en sais plus rien. Trop usé et désabusé pour y croire encore. Plus que la force de constater. Marine ou abstention ? Plutôt m’abstenir car ce pays vaut mieux que le pire du pire. Un vote pour mon daron là haut.

Ma femme me dit que je suis trop soupe au lait et nostalgique. Elle a sans doute raison. Mon vieux pote m’a pas fait un cadeau de m’envoyer ce documentaire. Ça me bouge les boyaux de la tête. Je me repose plein de questions. Grace à ce film en tout cas que j’ai compris que voter FN était une connerie. Le problème c’est pas la couleur de peau ou la religion. La preuve, même dans notre misère, on se marrait bien dans ce square. Filles et garçons ensemble dans notre première salle d’attente à ciel ouvert. On s’est autant fait chier qu’on s’est marrés. Tous adeptes du présent. Dieu et la race interdits de séjour dans le square. Juste une bande de jeunes. Des jeunes se croyant immortels.

Ce gosse que j'étais dans le square n’aurait jamais pensé voter un jour FN. Cracher sur mes potes d’enfance, gosses d’immigrés aussi pauvres que moi Fabien Leroy. Pas besoin d’une main jaune pour mes potes. On se serrait la pogne chaque soir. Tous embarqués dans le même bateau ancré au milieu de la cité. Même galère. Pas  toujours cool nos relations, ça castagnait… Mais c’est avec eux que j’ai vécu les meilleures années de ma vie ! Pourquoi alors avoir voté durant 20 piges avec les ennemis de mon enfance ? Car français de souche ? Pour défendre mes racines ? Par trouille de perdre le peu que j’ai acheté à crédit ? Que du matos mais j’y tiens… Voter contre les tous pourris ?  Pour éviter de trop gamberger ? Personne pourra me retirer mes origines. Un citoyen de souche.

Mes racines sont dans ce square.

NB) Cette fiction est inspirée de ce documentaire loin des clichés réducteurs et de l’aveuglement condescendant.  Un personnage en colère, contradictoire, souvent irritant n’existe pas que pendant les périodes électorales…. Citoyen aussi hors des urnes et de l'isoloir.

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