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Billet de blog 11 décembre 2024

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Métier d'être

Chaque être fait ce qu’il veut ou peut. Avec ce qu’il a et n’a pas. Que vous soyez un héros ou une ordure. En un dixième de seconde, vous basculez dans le meilleur ou dans le pire. Parfois, l’ordure que vous étiez dans le passé- plus ou moins lointain- met du temps à affleurer à la surface. Comme le nez au milieu d’un visage démasqué. Et alors place à la justice.

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«  L’homme civilisé est celui qui se retient. » Albert Camus

     Chaque être fait ce qu’il veut ou peut. Avec ce qu’il a et n’a pas. Que vous soyez un héros ou une ordure. En un dixième de seconde, vous basculez dans le meilleur ou dans le pire. Parfois, l’ordure que vous étiez dans le passé- plus ou moins lointain- met du temps à affleurer à la surface. Comme le nez au milieu d’un visage démasqué. Certains encensés à une époque, très admirés, ont changé brusquement de catégorie. Dégringolant d’un seul coup du haut de l’affiche. De phare à ombre bredouillante ou en baroud d’honneur dans un prétoire. Pour venir rendre des comptes à la justice. Avec bien entendu ce qui fait la force d’une démocratie : le droit à une défense pour les accusés présumés innocents. Et tant mieux pour leurs victimes. Sans ce droit, les bourreaux pourraient se faire passer pour victimes d’injustice. Ce qui n’est pas le cas en l’occurrence. Chaque banc logé à la même enseigne républicaine. En tout cas dans une cour de justice.

           Des bourreaux échappent à la justice. La majorité d’entre eux ont le bras long. Et souvent, ils ont été parmi « les grands de la planète ». Se recevant les uns les autres. Avec les petits plats dans les grands plats avec l’espoir de plusieurs gros chèques à la fin du repas. Les uns et les autres alliés plus ou moins objectifs pour occuper le pouvoir et toucher des dividendes. De temps en temps, les cartes mondiales sont rebattues. Et tel ou tel allié, devenu encombrant, est lâché aux yeux de l’opinion publique. Après s’en être servi comme vache à dollars. Ce n’est pas un scoop. Pourquoi alors l’évoquer ?

          Un visage m’est revenu après la fuite du dictateur syrien. Une face que je n’ai jamais vu sourire. Celle d’une réfugiée chilienne. Son visage était dur. Très belle brune au regard de mur. Elle scannait chaque autre comme un ennemi potentiel. Sa confiance en l’être humain laissée dans une cellule des geôles chiliennes. Après le marché, elle venait s’installer en terrasse du bistrot. Toujours seul. Avec un verre de rouge. « Toi, tes parents ne t’ont jamais appris à sourire. » Toujours un relou de comptoir pour emmerder une femme seule attablée. Elle s’est retournée. « Si, ils m’ont appris à sourire. Et même à rire.  ». « Alors pourquoi tu fais toujours la gueule. ». Elle a hoché la tête. « Je vais sourire le jour où Pinochet sera arrêté et jugé. ». Puis elle a repris son monologue. Sans que son vœu ne soit exaucé.

              Combien de femmes et d’hommes dont les bourreaux sont morts dans leur lit. Comme le général Pinochet. Mais pas que des salauds vus à la télé. Il y aussi tous les salauds ordinaires jamais jugés. Parfois croisés tous les jours jusqu’à la fin de sa vie. Dans sa ville, son village, son quartier, sa rue, sous son toit… Condamnés à une proximité avec son bourreau. Et contraint de faire comme si de rien n’était. Son tortionnaire allant et venant comme un citoyen ordinaire. Sauf quand les deux regards se croisent. Les yeux de la victime et du bourreau. Tous les deux savent. Porteurs du même secret. Mais l’un des regards devra se taire. Un mutisme pour telle ou telle raison. Et un silence dévorant de l’intérieur. Parfois jusqu’à pousser au suicide. 

          Dans tous les cas, rendre justice aux victimes est la priorité. Sans jamais négliger non plus le droit à la défense des accusés présumés innocents. Mais, par-delà la justice, il y a aussi un élément essentiel à leur rendre. La dignité. Celui qui fait relever la tête. Pouvoir regarder le monde droit dans les yeux. Sans un poids sur les épaules. Dans tous les cas, la victime reste victime. Elle le sera à vie. Mais plus du tout une victime soumise à son bourreau. Ni au silence contraint. Une victime avec sa parole.

             Pour conclure, un retour aux deux premières phrases de ce billet. Faire ce qu’on veut ou peut, avec ce qu’on a ou n’a pas. Sûrement vrai, mais pas une raison pour se laisser aller. Se dire que ce n’est pas de ma faute. Chaque être a sa part de responsabilité. Pas toujours que la faute de la société et de ses colocataires de planète. Même si parfois c'est le cas. Pour les individus (sans grave souci d’ordre mental) équipés d’un cerveau, d’une pensée ; il est important de réfléchir plus loin que son petit ego ou course à la jouissance. L'autre (femme,enfant,homme, autre genre) n'est pas un jouet ou un kleenex balancé après usage. Tout faire pour ne pas basculer dans le pire. Refuser de céder à la facilité. Certes pas facile du tout. Ni avec la moindre garantie de perfection;  elle n'existe pas. Mais c'est notre boulot d'homme ( le mâle a une grosse ardoise  de pire ) de tendre vers le mieux. Un boulot à temps complet. Notre métier d’être au monde. C'est la tâche essentielle pour rester civilisé.  Et le plus élégant possible.

          L'élégance humaine.

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