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Billet de blog 12 janvier 2025

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Tissu de rencontres

Chaque histoire humaine commence nue. Nudité des origines. Celle qui fait que toute peau est un voyage unique. Ce billet ne traitera pas de la belle nudité tissée de rencontres. Mais d'un triste nu. Une sorte de néant en soi.Quand l’existence se déroule sans la moindre rencontre enrichissante. Que des murs autour de soi. Rien d’autre comme horizon. Assigné à sa nuit intérieure.

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Illustration 1
© Photo: Marianne A

« C’est si doux, les vieilles habitudes, même celles qui vous oppriment. Plutôt un malheur familier que ces nouveautés insolites, et cet effort encore pour comprendre, lorsqu'on atteint, rompu, la fin de la journée. » Nicolas Bouvier

             Chaque histoire humaine commence nue. Nudité des origines. Celle qui fait que toute peau est un voyage unique. Un périple à travers les pores de sa chair passagère. Un voyage à fleur de peau et de temps. Qu’il soit court ou long. Heureux ou malheureux. Avec une fin plus ou moins bien menée ou catastrophique. Laissant dans son sillage de la boue ou de jolies traces de son passage sur la planète. Autant de trajectoires que de fins. Mais toujours, même sur un corps très moche, tordu par la vieillesse et - ou - la maladie, un regard lumineux ou haineux ; l’irréductible mystère du vivant et la complexité de la solitude des corps. Ce billet ne traitera pas de la belle nudité tissée de rencontres. Il sera question d’une autre nudité. Triste.Une sorte de néant qui s’est ancré en soi. Le nu du désert d’être. Quand l’existence se déroule sans la moindre rencontre enrichissante. Que des murs autour de soi. Rien d’autre comme horizon. Assigné à sa nuit intérieure.

          Un nouveau-né ne se nourrit pas que de lait. Certes indispensable à sa croissance. Comme d'autres aliments. Il a aussi besoin de téter de la vie dans les regards, se nourrir des yeux entre lui et le monde sur lequel il vient de débarquer. Se sentir présent entre des bras aimants. Tenir une main pour ses premiers pas. Avant peut-être à son tour, plus ou moins longtemps après avoir appris à marcher, aider un ou une autre à se relever et avancer. Sans yeux éclairant posés sur lui, un nouveau-né meurt à l’intérieur de lui. Sans ces petites et grandes lumières le long de son chemin, pour le guider ;  un nouvel arrivant au monde se noie au fond de lui. Que serions-nous sans les phares humains croisés dans nos trajectoires ? Encore plus imparfaits. Pas seulement les bébés risquant ce genre de noyade. Ni que les enfances fragilisées. Une noyade possible en toutes les saisons de son existence.

         Soi n'est rien sans frottement à l’autre. Qu’il s’agisse de sa famille et de ses voisins. Les premiers représentant de la planète sur laquelle on vient d’arriver. On finira par les singer. Voire même reproduire ce que nous détestions le plus de leur personnalité. Puis d’autres représentants vont se profiler. Et c’est le début des infidélités nécessaires à son entourage. Quand on s’éloigne du cercle rassurant. Avec des rencontres plus ou moins marquantes. Comme celle corps à corps serré : la découverte d’un sentiment qui brouille les pistes de la raison. Toutes les explications rationnelles implosent. Sentiment irraisonné si bon. L’amour reste un de nos vêtements essentiels. Quel que soit l’âge du corps qu’il habille. L’amitié est bien entendue aussi très importante. Encore de l’enfonçage de portes ouvertes ? Sans doute. Toutefois, une piqûre de rappel me semble importante. En notre période de pandémie. Quel est ce virus si tenace ?

           La suspicion généralisée. Quand l’autre - non intégré à son carnet d'adresses -  est à minima un suspect. Tout être de l’autre côté de sa fenêtre. La silhouette inhabituelle qui se profile sur notre regard. De quoi est-elle d’emblée soupçonnée ? De tout ce que nous projetterons sur elle. Nos inquiétudes se rassemblant sur un corps inconnu venu perturber le cours de notre temps qui passe. Quelles sont ces appréhensions ? Notamment l’inquiétude que cet autre ne pense pas comme son entre-soi. Avec donc l’éventualité d’être dans le camp opposé. En quelque sorte un adversaire ou un ennemi potentiel. Toutefois, certains et certaines – les plus ouverts ou les moins fermés– ne s’arrêteront pas à leurs inquiétudes de derrière le rideau voyeur. Capable de dépasser leurs appréhensions. Et de quitter le rideau pour se rendre jusqu’à la porte. Pour l’entrouvrir.

            Avec un autre sas. L’autre passera alors une sorte d’examen de passage. Quelques questions pour savoir s’il peut ou non franchir le seuil. Son éventuelle invitation à entrer dansant d’un pied sur l’autre sur le paillasson érodé par les mêmes semelles. Si les réponses sont jugées acceptables par l’entre-soi, l’autre pourra entrer. Pour patienter dans le couloir. Avec d’autres questions. D’où venez-vous ? Quel est votre parcours ? Quels sont vos amis ? Que pensez-vous de ci et de ça ? Un interrogatoire plus poussé. Avant d’accepter ou non de lui céder une place à table. Mais toujours en bout. Et avec une surveillance du coin de l’œil des habitués de la maison. Pour prendre la température de son comportement. Peser le moindre de ses gestes et propos. Admissible ou nous à revenir à table ?

            Des réflexes vieux comme le monde. Nous nous reniflons tels les animaux que nous sommes. Toutefois, j’ai l’impression que le reniflage dure plus longtemps de nos jours. Avec beaucoup plus d’appréhension. De la part des renifleurs et des reniflés. La suspicion ne se trouve pas que sur une seul rive. On se méfie aussi des invitations ; que cachent ce sourire et ses bras ouverts ? Les marques de sympathie susceptibles d’une éventuelle arnaque à venir. Autant d’éléments qui me portent à croire que les barrières de l’entre-soi sont de plus en plus épaisses. Avec de nombreux verrous. Le désir de rester entre gens de même pensée. Surtout ne pas se mêler à d’autres n’ayant pas les mêmes us et coutumes que les nôtres et celles de nos proches. Chacun chez soi autour de sa table basse avec son hebdo rassurant, le son de sa radio préférée, les images de sa chaîne de télé, etc. Peut-être une vision assombrie par ma noirceur habituelle. La réalité contemporaine ou une mauvaise interprétation de ma part ? Nouvelle question en suspens. 

        Dans tous les cas, le refus de toute rencontre avec l’autre - hors du champ de ses visages habituels - est la mort de soi. Et par ricochet de ses proches. Une mort parfois invisible et indolore. Celle de la consanguinité des cerveaux et des cœurs. Avec un rétrécissement de l’imaginaire, le rabougrissement de son regard. Tout en soi devenant comme moisi de l’intérieur. Avec une odeur qu’on ne sent même plus. Normal puisque toutes les fenêtres et portes sont fermées, les volets clos sur un autre monde que le sien. Cette moisissure de l’intérieur uniquement dans une certaine catégorie de la population qualifiée de beauf, etc. ? Non. Elle peut aussi toucher les qualifiés de bobos, comme vous et moi. Nulle discrimination pour la moisissure de l’âme et du cœur. On peut tous en être atteints, perclus de nos certitudes d’être du camp du bien. Rien de plus triste que des miroirs momifiés. Sans l’oxygène apporté par l’autre. Pour un échange de souffle différent. Autrement dit le relais du vivant. Et de notre humanité.

          Et si mon impression était totalement fausse ? Aujourd’hui pas plus de suspicion à l’égard de l’autre. Ni moins. Pourquoi alors cette  sensation d'une accélération de la méfiance de l'autre ? Peut-être parce que c’est asséné en boucle. Pas un jour, sans que soit écrit et dit que nous sommes de plus en plus suspicieux les un vis à vis des autres. Tous et toutes sur la défensive vis à vis des êtres qui ne nous ressemblent pas. En fait, même posture de défiance qu'au siècle précédent. Et ceux avant lui. Rien de nouveau sous le ciel de l’inconnu. Juste la routine de la peur de ce qui n’est pas soi et ses miroirs. L’humain aime bien ses pantoufles. Même sous le crâne et la poitrine. Rassuré par un environnement apprivoisé. Se méfiant de l ’autre venant nous perturber et mettre ses pieds dans le plat de notre ici. Une perturbation nécessaire contre l’endogamie de nos cerveaux et cœurs ?

         Idem pour le tout est foutu. Et c’est la fin du monde. Des projections dans un avenir déjà mort entendues depuis que je suis tout gosse. Avec déjà la trouille de la guerre nucléaire - deux champignons avaient ouvert la voie sans issue - qui allait faire imploser la planète. La fin planétaire de l’espèce déjà gravée dans l’air pollué. Aujourd’hui, rare les instants sans lire ou entendre que tout est foutu. Désormais exprimé par un euphémisme : les temps sont incertains. La toile est quadrillée de Cassandre numériques, des prophètes de la fin annoncée rémunérés ou non. Le tout est foutu d’hier – exprimé par ses parents, ses voisins, ses copains du quartier, la radio sur la table de la cuisine - est désormais relayé par des milliers de chaînes de télé et ricochent de tweet en Instagram avec des détours par FB. À force, on finit par y croire. Et intérioriser le tout est foutu. C’est comme ça. Point final. Pourquoi alors se rêver chaque matin ?

          C’est entièrement faux que vous racontez ? Je me crispe. Inquiet de cette soudaine voix. Je ne la connais pas. Elle n'est pas du répertoire des voix qui m’habitent habituellement. L’écouter ou non ? Vigilance, réagit aussitôt  ma voix pantoufle. M'exhortant à faire la sourde oreille. Vous vous trompez complètement et en plus vous rajoutez de la confusion et de la noirceur sur les épaules de votre jeune siècle. La voix inconnue en rajoute une couche. Avec plus de coffre. Cette fois, je demande à la voix qui elle est et d’où elle parle. Je suis une ombre du passé et je viens de partout. En quelque sorte, un ancien usager du monde, ironise la voix inconnue. Et je suis en plus poète à mes heures retrouvées autour d’un marronnier. Un passager de la planète désormais fondu en poussière d’étoiles. L’ombre a un petit rire. J’ai deviné à qui appartient cette voix. Incroyable. Que faire ?

          Se taire et l’écouter. Profiter de l’improbable passage de cette voix qui s’est frottée à tant d’autres, partout sur la surface du globe. Nicolas Bouvier qui m’explique qu’il ne pourrait plus du tout refaire le même voyage qu’en 1953. En tout cas, pas avec autant de liberté et d’insouciance, et, sur sa route, autant de portes ouvertes. Les cœurs et les regards ont été happés par un autre monde, rajoute-t-il. Plus le monde qui flotte au bord de ses propres yeux. Ou à travers le vent ou le vol d’un oiseau. Désormais, c’est beaucoup un monde de l’écran. Et rarement présenté avec son meilleur profil. Au contraire. Avec en boucle de l’abominable et de l’horreur imprimé sur la rétine de chaque individu. Même vision mortifère de la ville la plus urbaine jusqu’à la banquise. Tout autre, venu d’ailleurs, apporte avec lui des nuages sombres. Même en arrivant avec les plus belles intentions. L’écran du chaos l’a précédé. Porteur d’un monde en miettes. L’ancien usager parle. D’une voix douce et ferme. Mais sans jugement définitif. Avec plus d’interrogations que de jugement. Toujours une pointe de doute sur ses phrases. Comme à travers ses textes écrits. Je reste silencieux.

         De plus en plus troublé par la voix. Pourtant, contrairement à d’autres, elle n’assène aucune vérité. Ni ne cherche à me culpabiliser. Pourquoi alors ce trouble ? Elle me ramène à la réalité. Celle que j’occulte. Une voix qui me secoue. Elle me pousse à m'interroger. Pourquoi un tel déni du réel ? Sans doute pour ne pas me laisser polluer. Pouvoir encore sourire et picorer de la beauté entre deux horreurs en bandeau sur l’écran - omnipotent - du quotidien. Continuer la politique de l’autruche ? Refuser de regarder la noirceur contemporaine droit dans les yeux ? Des questions que  cette voix a fait naître. Plonger plus dans le déni ? Privilégier le regard sur la beauté ? La foire aux points d’interrogation s’est ouverte en ce mois de janvier. Quelle bonne résolution pour l’année qui s’ouvre ?

         Autruche à mi-temps. Au moins essayer de l’être. C’est ma décision. Je vais me détacher le plus possible de la machine à agrandir la noirceur du monde. Lâcher la loupe sur les plaies d’ici et de là. Un focus sans répit et avec notification du nouveau malheur en cours. Pour autant, il ne s’agira pas d’ignorer le chantier de l’horreur et abominable en cours. Mais filtrer les nuages noirs dans le ciel de mon écran. Un barrage à tous ces mots et images - accessibles partout, même de sa poche - polluant le ruisseau de chaque existence. Dans quel but ? Sûrement plusieurs. Dont celui d’une assignation à la morosité. Se trimballer avec toujours un chagrin en bandoulière. Et donc tenu en laisse mortifère. Choisir donc d’être égoïste. Un égoïsme ne serait-ce qu’à mi-temps. Pour consacrer plus de temps à déguster sa part de gâteau sur la table éphémère de son histoire. Sans toutefois oublier la douleur de notre époque. Mais ne pas tout leur sacrifier. À qui ?

         Aux marchands de morosité. Les tenir à bonne distance. Même s’ils sont très puissants. Pourtant qu’une minorité. Mais avec une très grosse force de frappe médiatique. Pour inoculer le virus de la morosité. Une minorité avec à ses ordres une meute de commerciaux de la division. Fort brillants dans leur domaine de compétence : la manipulation de masse. Des hommes, des femmes, et autre genre, qui sont rémunérés pour nous diviser. Et rajouter de la haine et confusion là où il y en a déjà trop. Profitant des douleurs et souffrances – indéniables – de notre jeune siècle pour engranger des taux d’audience et une forte visibilité de leur nombril et ego. Difficile de leur échapper. Mais pas impossible. De quelle façon ?

        Aucune solution miracle. Ni d’homme ou femme providentielle à suivre. Tout peut se trouver en solitude. Chaque être à sa solution. Capable de se forger ses propres outils pour ne pas donner les clefs de son être aux vendeurs de morosité. Et se battre pour vivre son histoire réelle. Pas la fiction de soi imposée de l’extérieur. Ses outils pour voir le vrai monde. Avec bien sûr sa noirceur. Important de rappeler - radotage et autres digressions habituelles de mes billets - que tout n’est pas rose. Et que notre espèce est très imaginative pour la destruction et l’autodestruction. Toutefois, le monde a aussi ses zones de lumières. Un éclairage à toutes les époques.

       Petites ou grandes lumières. Sur la surface du globe.  Des lumières qui empêchent de tout abandonner au désespoir. Certes des zones difficiles d’accès. Elles sont occultées par nombre d’écrans. Et le bruit des grandes gueules qui occupent l’espace sonore de notre siècle. Néanmoins, ces zones d’éclairage peuvent être atteintes. Comment ? En revenant très souvent au monde sans écran. Près de l’os de son histoire passagère. Profiter d’ici. Vivre sans le filtre imposé de la morosité. Ni marcher qu'au pas de l’entre-soi.  Quitte à polémiquer avec ses proches. Et être paumé. Toujours s’aérer sous le crâne et la poitrine. Rester curieux de l’autre. Et du chantier du monde.

         Tisser de nouvelles rencontres.

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