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Billet de blog 12 février 2015

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Banlieues: le gang de papys des "trente glorieuses"

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

                Le dramatique de la vieillesse, ce n'est pas qu'on se fait vieux, c'est qu'on reste jeune. 

                                                                                    (Oscar Wilde)

                        Pour Freddy M.

                        Merci à Joseph Périgot. Ce texte est inspiré de sa nouvelle publiée dans le recueil "Black exit tout 68 ".

                47 ans après, nous avons repris le combat. Bien sûr plus capables du tout de courir vite pour semer le " vieux monde" ou monter une barricade.  Finis ces jeux d'un autre âge. Notre nouvel armement  est  d'une redoutable efficacité. Beaucoup mieux armés que quand nous avions 20 ans. Et plus dangereux.

          On n'est pas sérieux  à 70  ans.

          Depuis des mois, les autorités, ne savent plus où donner de la tête.  Débordées par l'ampleur de nos attaques.Une cellule de crise a été  installée au ministère de l’Intérieur.  Les médias et leurs spécialistes du terrorisme  glosent en boucle sur  ces "terroristes du numérique"menaçant l’équilibre du pays. Notre trio est l'ennemi numéro -1- .

          Trois vieux  des beaux quartiers.

         Des six membres de notre grande époque, nous n'étions plus que quatre encore en vie. Septuagénaires bien installés. L’un retraité de la finance internationale, l’autre de la pub audiovisuelle, le troisième de la haute administration.  Du beau linge. Avec ou sans Rolex, nous avons réussi notre vie. A l'instar de nos parents, nous transmettons tranquillement nos codes et notre patrimoine à nos enfants et petits-enfants. Rien de nouveau sous le soleil des habitus. 

         Sauf  pour Maxime,  le canard boiteux de l’équipe. Interrompant brutalement sa carrière de chirurgien,  il  a vécu isolé durant une  vingtaine d’années en montagne. Tout plaqué pour créer une ferme de réinsertion. Toute la misère du monde se donnait rendez-vous chez lui.  L’héritage de sa mère fut avalé en partie  par ce centre. Plus rien d’autre ne comptait que son activité. Et ses sculptures en métal.

         A chacune de nos rencontres avec lui, certes rares, il semblait visiblement heureux. Toujours à croire en un monde meilleur. Nous aussi; dans les urnes, entre les bras d’une jeune maîtresse pour éloigner la mort, ou à une bonne table.  Aussi caricaturaux que les vieux beaux de Wolinski. Ces héritiers de 68 qui, après s'être bien amusés, reprirent les sillons familiaux. Bien sûr, tous ne paradent pas au-dessus du panier,comme nous. Surtout ceux qui jetaient les pavés du  bas de l'échelle.

           Maxime  était le seul à avoir conservé intacts ses rêves de jeunesse. Et vouloir les appliquer. Pure folie. Nous tentâmes  de le ramener à la raison. Un type, aussi brillant et cultivé que lui, méritait  mieux que de végéter dans une association de réinsertion. Neurochirugien réputé, il était courtisé par nombre d'hopitaux français et étranger. Sa place était ailleurs. Il ne voulait rien entendre. Quel gâchis.

             A plusieurs reprises, il nous gratifia de l'incontournable «social traitre » en claquant la porte. Pour lui, nous avions trahi nos idéaux. Vendus à l'ennemi de classe. Cet ennemi qui vivait sous notre peau depuis notre naissance. Maxime était comme nous un rejeton de la classe qu'il accusait de tous les maux. Schizo social ? 

        Sa régression s'opéra d'un coup. Revenu dans  la cour de récréation de nos premières années étudiantes. Son entêtement finit par nous lasser.  D’ailleurs, sans se concerter,  aucun d'entre nous ne lui rendit visite dans son antre montagnard. On ne le  voyait qu’à ses très rares passages  à la capitale.  Au début, il dormait chez l’un ou l’autre. Puis il préféra opter pour l' hôtel. Conscient de sa situation financière  moins reluisante que la nôtre, nous l’invitions à tour de rôle. Sauf un soir où, devant prendre un dernier métro, il nous salua et sortit précipitamment. L’addition réglée.

         Puis plus aucune nouvelle avant  un long mail.   

                 «  Mes chers amis, après tant d’années passées  dans cette ferme, je vous  dois une explication très franche. Mon départ de Paris et ma nouvelle existence sont liés à la mort brutale de Virginie. Je ne vous ai jamais parlé d'elle. Nous nous étions rencontrés lors d’un débat  à la mutualité  en 1970 ; représentante d’un des syndicats de son Université. Elle resta à Paris. Nous emménageâmes ensemble. Quelques mois après, elle tomba enceinte.  Nos jumelles à peine âgées de trois ans, notre couple explosa.

         Un soir, l’ainée me téléphona et m’expliqua que Virginie vivait ses derniers jours. Depuis notre séparation, elle avait toujours refusé de me voir. Nos relations se bornant aux aspects pratiques concernant nos filles. J'avais essayé de proposer une rencontre. En vain. Pourtant l'une de ses dernières volontés était ma présence ma présence  à son chevet. J’avais refusé. Mon autre fille me rappela et insista. Je cédais et sautais dans un avion. Bouffé de trouille.

         Le corps hérissé de tuyaux, Virginie ne pouvait pas parler. Ses yeux me fixaient. Un regard qui me vrilla l'estomac. Seul dans la chambre aux rideaux baissés, je souriais bêtement. Incapable du moindre mot ou geste. Ses lèvres frémirent comme pour parler. Son visage se raidit. Elle tourna lentement la tête sur la droite. Me demandait-elle de m’assoir sur le fauteuil près de son lit ? A ce moment, la porte s’ouvrit sur une infirmière. Et j’en profitais pour m’éclipser. La dernière fois que je croisais son regard.

        Ses cendres éparpillées, j’aidais mes filles pour les  démarches administratives. En entrant dans la chambre-bureau de Virginie, je pris une claque. Partout des photos de nous deux  et de nos actions politiques. Contrairement à moi, elle avait tout gardé. Je conservais la photo où, bras dessus bras dessous, nous assurions la protection d’une réunion de solidarité avec les militants antifranquistes. Elle, poitrine en avant, regard déterminé. Et moi consultant ma montre.

      Militante associative, elle  continuait inlassablement de se  battre sur le terrain dans le  quartier populaire d’où elle était issue.  Ce jour là dans son bureau, je compris que le combat n’avait pas été mené jusqu'au bout. Comme vous trois et bien d'autres- chacun ses raisons-, je m'étais arrêté avant. Oublié une partie importante de la population. Il fallait y retourner. Ne pas décevoir une nouvelle fois Virginie.  Pas besoin de m’étendre sur le reste que vous connaissez.

         Aujourd’hui, nos enfants et petits-enfants vont bien. Héritiers de nos codes et notre patrimoine. Même les miens, malgré ma dèche, auront un appartement et un chalet à se partager. Tant mieux pour eux. On ne peut pas leur souhaiter de croupir dans la pauvreté pour singer les vrais pauvres. Le monde nous appartenait. Et retombe entre les mains de nos gosses.

        . Mes amis, lisez ou relisez « Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary ».  Un catalogue de nos renonciations.  Très tôt, l’auteur  avait compris que le "vieux monde" change de visages, vêtements, codes, mais n'abandonne jamais ses descendants. Le progrès d'abord pour sa famille.  Les autres toujours après.

        Ces autres  ghettoisée depuis 40 ans dans les quartiers populaires de banlieue. Quantité négligeable de la République tournant en cages d'escalier. Nous rêvant dans les 30 glo-rieuses, eux coincés dans les 40 rageuses. Cités oubliées de nos rêves de 68.

        Des bombes  à retardement que, par paresse intellectuelle, intérêt, inconscience, etc, nous avons laissé grandir en périphérie de nos existences confortables. Pas des saints, ni des monstres. Citoyens "normalement "comme nous ? Pas tout à fait. Eux comptabilisent 40 ans de promesses non tenues et plans foireux. 

           Chargées de décennies de frustration, les banlieues commencent à nous péter à la gueule. Et ce n’est qu’un début. Si rien ne change concrètement. Qui est responsable de cette situation? Chacun et tous.  Faut bouger avant les prochaines explosions de rage. Notre "génération gâtée "a une dette envers ces banlieues.

           Urgent de ne plus attendre.                       

                            Portez vous bien mes amis,

                                                          Maxime  »

         Son message moralisateur nous avait agacé tous les trois. Aucun ne lui répondit.

         Trois semaines après,  les huissiers, accompagnés de flics et de bulldozer, étaient venus l’expulser. Les héritiers du propriétaire voulaient récupérer la ferme pour la transformer en auberge et terrain de golf. Sur la porte, un mot punaisé : » Ne défoncez pas la porte, elle est ouverte ». L’un des huissiers, refaisant un point sur le mobilier, vérifiait méthodiquement si rien n’avait disparu depuis leur dernier passage. Consciencieux dans son inventaire, il fit le tour de tous les bâtiments  du centre. Son ordinateur à la main, il tomba sur Maxime dans son atelier.

         Dans quelle case inscrire un pendu ?

         Sa mort fut un électrochoc pour notre groupe. Elle nous secoua. Que faire ? Chacun, à plus ou moins grande intensité, se sentait coupable. Impossible de se planquer derrière une posture de circonstance. Comme à l’époque de nos réunions clandestines, on se retrouva chez moi. Aucune crainte d'une descente de  police dans mon 200 mètres carrés parisien. Tous affalés dans des fauteuils. Cafés et whiskies sur la table basse.

           Un fantôme avec nous.

           On se sépara à l’aube. Trois vieux  soudés par des idées de jeunesse. Plusieurs décennies après, nous allions remettre les pendules à l’heure. Régler notre dette avec nos idéaux. Et notre miroir.

         Marc  fut  l’un des fers de lance de notre combat de retraités. Economiste spécialisé dans les transactions bancaires, il avait dirigé de très grands  groupes bancaires et connaissait tous les rouages de la finance internationale. Un carnet d’adresses  digne d’un Who’s Who lui ouvrant toutes les portes.

          Mais, question informatique, aucun  n’avait les compétences requises pour réaliser notre plan.  Après des recherches, nous dénichâmes un couple de jeunes hackers. Nous leur proposâmes  de travailler pour nous. Au début, ils refusèrent, persuadés avoir affaire à  des flics. Puis ils finirent par accepter. Eux seuls ne pouvant effectuer tout le boulot, ils embauchèrent une dizaine d’autres « délinquants virtuels ». Tous plus intéressés par la somme que nous leur proposions que par nos  nouvelles utopies  de « vieux fous ».  Bien sûr, ils auraient pu nous balancer. Pas leur intérêt. Et nous n’avions pas la moindre crainte. 

              Trois  gamins de 70 ans.

         Débuta alors un nouvel impôt direct sur des comptes de grandes fortunes. Notre première cible fut les people exilés fiscalement en Suisse ou Belgique. Depardieu, Gad Elmaleh, Arthur  et d’autres, même si notre petit prélèvement était une goutte d’eau pour eux, ont porté plainte contre X . Nous faisons aussi  de la «  réappropriation numérique » de grandes sociétés s'engraissant grâce à  la délocalisation.  Les employés très heureux de recevoir des primes imprévues de la société mère basée dans un paradis fiscal. Des associations de banlieue étonnées de la poussée de générosité de mécènes anonymes. Parfois aussi des sommes venues de l’extrême droite ou de partis xénophobes. Les intégristes musulmans, financés par les pays du Golfe, n'échappèrent pas à notre redistribution. Tout cet argent retombait dans les poches où ils auraient dû tomber.

          Reprendre le travail débuté  45 ans avant.

         En plus de l’aspect purement financier, nous essayons de transmettre notre «  bonne parole » au plus large public. Par le net ou dans les boîtes aux lettres.  Pareil à cette « agit prop  » que nous organisions lors de nos combats de jeunesse. Très fort en 68, je n’avais pas perdu la main  dans toutes les boîtes de pub que j’avais créées par la suite. En quelques semaines, notre communication s’établit sur une grande échelle. Un TF1 dans le maquis.

                La différence de taille avec nos jeunes années est que nous n’avons plus rien à perdre. Plutôt rien à récupérer du vieux monde. Pas d’usine ou société de papa ou maman pour se reconvertir. Mais tous étions pères et grands-parents. Rêvant que nos  descendants soient fiers de nous. Plus important que le pognon que nous leur laisserons.

         Une cellule de crise a été mise en place au ministère de l’Intérieur. La bourse et les politiques au bord de l'implosion à cause de nos actions. Qui aurait soupçonné trois vieux des beaux quartiers  de foutre  une telle pagaille? Deux d’entre nous ont un  rond de serviette au dîner du siècle. Retraités insoupçonnables.

            Aucun de nos proches n'est au courant de nos activités.  Officiellement, nous sommes partis pour une longue croisière. Chaque jour,  nous changeons d'hôtel.  Nos communications avec  les hackeurs se limitant  à des mails codés. Qui aurait pu croire ces trois élégants retraités en cavale ?

         Sans doute qu’un jour, ils finiront par nous choper.  Notre action ne changera fondamentalement pas la situation. Sauf  momentanément pour les fauchés découvrant  une belle surprise sur leur compte. Pas grand-chose mais toujours ça de pris. Maxime ne sera pas mort pour rien. Et il nous aura légué une nouvelle utopie.

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