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Billet de blog 12 mars 2025

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Le printemps c’est lui

Le printemps d’une petite fille de sept ans. Allongée avec son insomnie. Toute la maison est endormie. Sauf elle. Ses oreilles scannent le silence. Rien ne lui échappe. Du moindre souffle au pas sur le plancher. Elle entend tout. Mais ses sons préférés proviennent de l’extérieur. Comme celui qu’elle attend : la trace sonore d’un homme. Et de son printemps à elle.

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Illustration 1
Le jardin à Bougival © Berthe Morisot

               Le printemps d’une petite fille de sept ans. Allongée avec son insomnie. Toute la maison est endormie. Sauf elle. Une petite fille qui guette son printemps. L’insomnie m’est restée fidèle. À cause de problèmes d’enfance ? Je ne crois pas. Mon enfance a été heureuse. Des chagrins, pas de traumatismes. En tout pas visibles. Mais peut-être que je finirai par découvrir un traumatisme caché. Puisque je continue de fouiller mon insomnie sur un divan, sans trouver de réponse. Mais quittons mon présent qui n’est pas le cœur de ce récit. Et revenons à ton histoire. Dans notre petite maison.

         Ses oreilles scannent le silence. Rien ne lui échappe. Du moindre souffle au pas sur le plancher. Elle entend tout. Mais ses sons préférés proviennent de l’extérieur. Comme celui qu’elle attend : la trace sonore d’un homme. Mi-voyou mi-maçon. C’est sa carte de visite. Faut bien afficher une identité pour être comme tout le monde. En réalité, ni l’un ni l’autre. Un quadra se débrouillant pour payer ses clopes et sa frime. Le reste à la charge de ses frangins et de sa mère chez qui il crèche. Pas le seul dans ce cas. Toutefois, il a une spécificité. Et rare dans le quartier. Un homme sans permis de conduire. Même si, comme d’autres, il aurait pu l’acheter. Son véhicule principal : ses pieds.

     Un marcheur le souvent seul. Il parcourt des km dans la ville. La plupart du temps, une solitude mobile et nocturne. Sans doute à caboter de bistrot en bar et d’appartement en maison. Très rarement emmené ou raccompagné en bagnole. Un homme mal à l’aise dans tout véhicule motorisé. Rechignant même à se déplacer en autobus ou en métro. Un des seuls du quartier à ne jamais avoir possédé une mobylette. Fort heureusement, son périmètre de déplacement était limité. De temps à autre, un grand voyage hors des frontières : dans une commune frontalière. Plus loin, c’est l’étranger. Ne parlons même pas de Paris. Un voyageur de proximité.

       Toujours de sortie avec son passeport croisé. Vêtu d’un costard en toutes saisons. Jamais il n’ôte sa veste. Même pour manger ou jouer au baby-foot : sa grande spécialité. Souvent à s’arrêter devant une vitrine pour vérifier que sa veste est bien boutonnée et rajuster son col. Comme d’autres passent leur temps à bichonner leur véhicule, suivre le cours de leurs actions, comptabiliser le nombre d’entrées de leur dernier film, consulter chaque matin l’impact de sa « présence numérique », … À chaque être, son passeport contre la peur du vide. Pourtant, malgré toutes les rustines, la crevaison est inévitable. Sans son costard, il se sentirait en danger. Besoin de sa cuirasse.

       Ton histoire est écrite par un homme. Si ça me gêne ? Non. Même si c’est aussi mon histoire qui remonte à quarante ans. Tant qu’il ne parle pas au nom des femmes. En plus, c’est de la fiction. L’auteur ou l’autrice ne doit pas être nécessairement être du même genre, sexe, couleur de peau, que les personnages mis en scène. Sinon, il n'y aurait pas le moindre livre sur la préhistoire, le moyen-âge, ou même sur les Martiens. Censurer l’imaginaire du vieux monde ? Non. Que faire alors contre ces images figées dans des stéréotypes vieux comme la domination de l’homme ? Je sais que je te gonfle avec ça. C'est normal.  Tu as d'autres choses à penser.

        Laisse moi au moins répondre à la question. Que faire pour déboulonner les clichés ? Créons un nouvel imaginaire. C’est incontournable si on veut que ça change sous les crânes. Une création avec nos nouveaux regards. Un imaginaire qui rendra le précédent obsolète. Pour que nous et surtout les futures générations puissent s’identifier à d’autres personnages de fiction. L’imaginaire nouveau est à construire. A propos de fiction, c’est une forme d’empathie. D’ailleurs, on devrait tous en avoir un minimum. Je pense que… Tu veux me dire quoi ? De sortir de ton histoire de petite fille.

          Juste un dernier truc. Je suis blonde aux yeux bleus, mais je peux essayer de me mettre à la place d’une femme noire ou arabe. Et réciproquement. Je peux aussi me mettre dans la peau d’un homme. À mon avis, c’est l’empathie le meilleur vaccin contre la connerie humaine. Rien de tel que de se glisser sous la peau de l’autre pour se rendre compte qu’il a beaucoup de ressemblances avec soi. Notamment l’ego, le nombril, les ombres et les lumières, les forces et les faiblesses… L’autre n’est pas un extraterrestre, ni d’une autre espèce. J’ai encore fait de l’intrusion ? Tu as raison. D’accord, je sors.

         Chanter et siffler. C’est son autre passeport. Sifflant et chantant du réveil au coucher. Il ne peut s’en passer. Une habitude générant des colères de ses proches. Surtout qu’ils sont nombreux dans un habitat exigu. Parfois, il ne sort de chez lui que pour aller faire son tour de chant. Avec des arrêts dans le grand parc du quartier. Les arbres ne lui balancent jamais : Tu fais chier ! Tout son quotidien est rythmé par le chant ou le sifflement. Quelques vieilles chansons en héritage de ses parents et aïeux. Mais la plupart du temps,  ils fredonnent ou chantent à tue-tête des mélodies entendues à la radio. Avec une préférence pour les chansons d’amour. Souvent plus tristes que joyeuses.

        Comme les chansons de son idole. La star qui avait choisi de mourir enchaînée…  Son idolâtrie partagée avec des millions de fans. Surtout dans les milieux populaires. Contrairement à d’autres, il n’a pas été jusqu'à se tatouer la face idolâtrée. Mais il transporte sa photo. Elle est bien rangée dans son portefeuille. En compagnie du visage d’une jeune fille. Elle est assise sur un banc, une clope à la main. Qui c’est ? Jamais il ne répond à cette question. Ni quand on lui demande quand il va enfin se marier et fonder une famille. Très pudique sur sa vie intime. Même auprès de ses très proches.

          La rumeur le catalogue dans la catégorie des cogneurs de femmes. C’est tout à fait possible. Comme ça peut-être faux. Sans doute que parmi les rumoristes, certains ont la main lourde sur leurs compagnes et gosses. Toujours se méfier des êtres se promenant avec leur humanisme en bandoulière. Tels les hommes se maquillant les lèvres la journée des «droits des femmes» et, à peine démaquillés, reprennent leur harcèlement ou d'autres violences. L’affichage peut cacher l’exact inverse de ce qu’il exhibe. Nous avons nombre d’exemples. Bien sûr, ce n’est pas la réflexion d’une petite fille.

          Mais de la femme qui te porte en elle. À jamais en moi. Je suis devenue, ou plutôt tu es devenue une femme qui s’est battue pour être libre. Et je continue. Dans mon couple, avec mes amis, au boulot, dans les lieux publics… Une bagarre avec toi au fond de moi. Mais aussi en compagnie de ma fille et de mon fils, plus des femmes et des hommes. Un combat pour ma liberté. Et celles de toutes les femmes. Je milite depuis longtemps. Il y a des progrès. Mais ce n’est pas fini. Encore beaucoup du pain sur la planche patriarcale. Tant qu’il restera des miettes, nous les femmes devront être vigilantes. Un combat pour notre liberté. Sans vouloir enfermer l’autre moitié de notre humanité. Désolé, j’ai encore fait une intrusion dans ton histoire. Je sais, je sais… Pas moi qui la raconte.

         Quel est son lien avec la jeune insomniaque ? Ils se connaissent de vue. Pas plus. Ils ne se sont jamais salués. Faut se méfier de lui. Il a pas l’air normal. En plus, il boit beaucoup. On sait pas de quoi il vit vraiment. Leur famille est vraiment bizarre. Elle avait été dans la boucle de la rumeur. Mais il ne lui faisait pas peur. Jamais ses parents, ni ses autres proches, n’ont su pour leurs rendez-vous nocturnes. Lui non plus. S’il avait été au courant, comment l’aurait-il pris ? Lui, quasiment considéré comme « l’idiot du quartier », avait durant des années réussi à capter l’attention d’une petite fille « désertée par le sommeil ». Une captation à travers les murs. À l’intérieur, les oreilles. En extérieur, les artistes de rue. Il n'est pas seul. Le deuxième artiste est un merle. Se produisant sur une branche du lilas. 

        Leur spectacle débute souvent en mars. Quand le jour commence à pointer son nez plus tôt. En réalité, le spectacle est en toute saison. Mais plus étouffé en hiver, derrière les fenêtres closes. Le froid comme une autre cloison. Dès la sortie de l’hiver, une nouvelle partition. Avec des sont qui accompagnent l’arrivée de l’aube. Ah, le voilà. La petite fille se redresse.

        Pour entendre passer le printemps.

NB : Cette fiction est inspirée d’un homme. Le chanteur et siffleur a été de chair et d’os. Au début, que la petite fille et lui dans la fiction. Mais au fil de la rédaction, la présence d’une femme s’est imposée. En quelque sorte la première féministe que j’ai croisée. Elle avait une quarantaine d'années. «J’ai jamais baissé les yeux devant Dieu. Pas commencé avec un homme.» C’était une serveuse de bar. Aucun client ni le patron ne lui firent baisser les yeux. Aussi libre sous son toit ? Je ne l’ai jamais su.

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