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Billet de blog 12 avril 2025

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De chair et de ruines

Impossible de se taire. Ni de parler. Face à l'abominable.Indignation, révolte, colère, etc.Tout est là, prêt à jaillir. Pourtant, rien ne sort. Un corps-volcan de résignation devant son écran du monde. Comment faire exploser le bouchon de résignation et de silence? Réveiller le volcan. Pour une parole dans quel but ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

         Impossible de se taire. Ni de parler. Silence et mots en suspens. Avec un cri coincé au fond de la gorge. Indignation, révolte, colère, etc. Tout est là, prêt à jaillir. Pourtant, rien ne sort. Un corps-volcan de résignation assis à son bureau ou sur un canapé. De plus en plus souvent, on se retrouve enfermé dans ce rôle, devant notre écran du monde. Abattu face à l’abominable, écrasé par l’indicible. Avec parfois une marée montante entre les paupières. Et au fond de nous, le désir que le volcan entre en éruption. Réussir à faire exploser le bouchon de résignation muette.  La parole dans quel but ?

         Leur offrir un toit. À qui ? Toutes les victimes de notre inhumanité. Celles dont les chairs et les maisons sont détruites. Les os mêlés aux décombres. Des chairs et des bâtisses désarticulées sous un ciel muet. Leur offrir un toit, même sans avoir retrouvé leur cadavre. La terre et le vent ne suffisent pas comme sépulture. Pour chacune de ses histoires unique.s Irremplaçable. Offrir un toit aux victimes de la cruauté de notre espèce. Elles sont nombreuses. Toutes avec la même boite aux lettres : « Morts par main humaine ». C’est leur adresse à perpétuité. Les chairs en ruines ne doivent pas habiter l’oubli.

           La mémoire. C’est la seule sépulture qui ne peut être détruite. Même si bien sûr elle peut être niée. Comme par  certaines voix «rajoutant une mort» par la parole négationniste . Au fil de l’histoire, nous avons eux nombre d’exemples de ce genre de manipulations du réel. Et ça continue en nos jours confus. Avec en plus, de nouveaux outils permettant une capacité de nuisance plus rapide et sur un périmètre beaucoup plus large. Une des raisons qui fait qu’apprendre l’histoire n’est pas vain. Avec de fréquentes piqûres de rappel. Et pas uniquement l'histoire racontée par les vainqueurs. Cependant important de ne jamais céder aux sirènes des manipulateurs de passé. De nombreux outils sont à notre disposition pour ne pas se faire enfumer. Sur le papier ou en numérique. Mais de tout temps, un outil reste essentiel. Lequel ? L’outil sous son crâne.

         Le cerveau ne s’use que si on ne s'en sert pas. Ou si on le laisse entre certaines mains. Plus qu’un outil, une boîte à outils. Elle permet entre autres de ne pas oublier le passé. Ni les êtres ayant vécu l’abominable. Qu’ils soient vivant ou morts, la mémoire est leur toit. Celui qui remplace le souffle dont ils ont été expulsés. La mémoire est leur maison à jamais. Quels que soient le lieu et l’époque de leur persécution. Une adresse où l’on ne demande pas de « pièce d’identité de sa souffrance ». Toutes ces femmes, ces hommes, d’autres genres, ces enfants, ont plusieurs points en commun. Mais une seule bannière entre leurs paupières. Une solitude déracinée de l’humanité.

      Le corps et l’esprit paumés. Chaque semblable est un potentiel ennemi. Même son ami. Tout représentant de l’espèce humaine porte en lui l’abominable. Même celui ou celle qui l’a subi. Avoir vécu le pire ne rend pas toujours plus humain. Parfois, la souffrance passée, on va la faire subir à un ou une autre. Qu’il s’agisse d’un individu ou d’une population. Pour se libérer du monstre légué par la main du bourreau ? Visualiser l’abominable ? Prouver à notre humanité que nous pouvons être aussi inhumaines qu’elle ? Sans doute plusieurs raisons mêlées et qui sont enracinés au plus profond de son être blessé à jamais. Fort heureusement, la majorité des êtres ne reproduit pas le pire que leur chair a traversé. Refusant de nourrir la main qui les a détruites en mimant sa haine. Comment font-ils pour ne pas rejouer la scène inverse dans le rôle du bourreau ?

      Sûrement plusieurs réponses. Chaque victime aura ses solutions pour ne jamais porter le masque du bourreau. Un chantier très complexe. Surtout quand le désir de vengeance est passé par là. Et qu'il a été vécu avec plus ou moins d’intensité. Toutefois, même si la vengeance s’est éteinte, une émotion perdure. Jamais elle ne s’effacera de l’ardoise. Même si elle sera planquée. Sous la couche d’une histoire qui continue. Le plus souvent une démarche avec le buste bien droit, parfois un sourire aux lèvres, une lumière dans les yeux ; dedans le chaos et la nuit. Quelle est cette émotion ineffaçable ?

      La colère. Souvent alimentée par les images d’humiliations et de violence qui vont et viennent sur l’écran sous sa poitrine. Un film vu et revu, avec arrêt récurrent sur certaines scènes. La colère peut alors souffler sur les braises de la vengeance. Jusqu’à la réactiver et transformer sa douleur légitime en haine aveuglée qui pousse à commettre à son tour l’abominable. C’est un classique de la reproduction. Jeter la pierre au auto-manipulés par leur bourreau ? Nul n’est à l’abri de ce genre de réflexe. Dans la même situation, peut-être que notre réaction serait identique. Parce qu’il est plus facile mentalement et peut-être moins douloureux de céder à une émotion légitime en la muant en vengeance, que de penser plus loin que sa souffrance. À chaque blessure, sa réaction.

        Ne se tromper de masque serait l'idéal. Mais pas aussi aisé. Plus simple d'aller vers le plus facile à porter. En plus avec des vendeurs zélés pour en faire la pub. Le masque de la vengeance et la haine est souvent le plus disponible en magasin. Avec rarement de rupture de stock. Disponible en toute taille, pour tout sexe et genre, couleur de peau, pour individu ou peuple. Un grand choix. Contrairement à d’autres masques moins présents sur le marché. Dont un particulièrement. Un masque qui, contrairement à celui de la vengeance, ne réussira pas à apaiser. Ne guérissant pas non plus. Sans la moindre possibilité de ressusciter les morts ou greffer des membres sur des enfances amputés. Impuissant face à l'abominable d'hier et d'aujourd'hui. Quel est alors l’intérêt de ce masque qui ne sert visiblement à rien ?

     D’offrir un visage à l'avenir. Nul besoin de le porter du réveil au coucher. Joie, amour, rires, orgasme, amitiés, poésie… Tant d’autres masques à porter. Et en plus agréables à soi et aux autres.  Toutefois ce masque -  même sombre - n’est pas non plus à négliger. Le porter de temps en temps en public. Et parfois aussi devant son miroir. Une espèce de masque-phare qui peut éclairer. Nous aider à percer l'épais brouillard de notre siècle. Avec ses nappes de confusions.  Une masque qui peut aussi nous aider à discerner les bruits dans la nuit. Le flux et reflux du souffle du siècle ? Le son d’une musique contemporaine ? On tend un peu plus l’oreille. Le bruit de bottes d’une nuit qu’on croyait morte. Un masque éclairant pour éviter de reproduire un nouvel abominable. Même si ça semble une utopie avec notre espèce amnésique. Renouvelant sans cesse son «  plus jamais ça ». L’humanité condamnée à  se re-briser sur ses propres récifs ?

        Espérer en l’humain, c’est donner de la confiture aux cons, penseront certains. Difficile de leur donner. Surtout à l’aune de notre connerie humaine (huit milliards de représentants). D’autres penseront au contraire que ça vaut le coup d'essayer d’espérer encore en notre espèce. Ne serait-ce qu’un masque d’espoir à mi-temps. Mais espérer ne suffit pas. Important de mettre la main à la boue de notre jeune siècle. Chaque individu avec ses outils. Travail de solitudes reliées avec quel objectif ? Au moins éviter le plus possible de nouveaux gâchis de chair humaine. La sienne et celle de ses semblables.

        L’espoir est un des masques pour ne pas sombrer seul et ensemble? J’en vois qui lève les yeux au ciel. Et d’autres qui ricanent. Encore une envolée poético-bisounours d’avant week-end. Comme d’autres avec leur chanson du vendredi. Ridicule et risible sont dans une épave au fond de la mer ... La sentence du vendredi soir espoir. Un ricanement et moqueries affichées ou en coin que je connais bien. De l’intérieur. On a souvent envie de se moquer de celles et ceux qui y croient encore. De doux rêveurs et rêveuses faisant un doigt d’honneur à un missile ou à une foule hystériques de fous d’identité ou de Dieu. Je ricane aussi. Conscient de ma part pathétique et naïve de yaka et faukon utopiste. Et donc quelques fois cédant tout à la lucidité et son frère jumeau le cynisme. Un duo avec un féroce appétit.

        Et fort bien nourri par notre époque. Néanmoins, une inclination à laquelle je réussis à résister. Certes de plus en plus difficilement. Pas le seul dans ce cas en notre siècle où la terre est trop souvent plate et basse sous les crânes. Avec la certitude de posséder un cerveau à rallonges grâce à un moteur de recherche ou une intelligence germant au bout de son index scroleur. Une gestuelle sans frontière d'âge ni de classe. Une forme d'égalité par abêtissement planétarisé ?  Un siècle où tout le monde trouve sans apprendre chercher ? Le non savoir bientôt un luxe ? Si tous les internautes de la terre se donnaient la souris... Pas que les autres accrochés à leurs doudous numériques. Je suis un représentant con-necté de cette époque que je viens de critiquer. Revenons à notre gros mot : espoir.

          Comment agir ? Déjà par la parole. Même si bien souvent, elle n’a pas d’effet sur le réel. Surtout à nos petits niveaux. Mais toujours mieux que d'être une des petites  participant à la confection du linceul de silence. Mais pas que la parole. D'autres actions sont possibles, à la mesure de chacune de nos histoires. Pendant que d’autre se rassureront avec le fameux « tant que l’abominable frappe à la porte des voisins ». Les juger ? Peut-être que ma réaction sera la même. On fait comme on peut. Tout en sachant que l’abominable ne se contente pas que des portes des voisins. Difficile de refuser de porter le masque de l’autruche. Ni celui de la blessure rêvant d’être blessante. Vaste chantier en période d’extrême-nuit. 

          Avec port du casque de mémoire ?

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