« Il y a la beauté et il y a les humiliés. Quelles que soient les difficultés de l’entreprise, je voudrais ne jamais être infidèle ni à l’une, ni aux autres. »
Albert Camus
Défendre Najat Vallaud-Belkacem ? Une fois n'est pas coutume. Plutôt eu l'occasion de la critiquer,comme dans ce billet . Quant à sa réforme, n’ayant que des échos, je ne peux me permettre d'en débattre sur le fond. Juste tout de même une petite réflexion sur le sujet des « classes bilangues » et l’apprentissage du latin et du grec. Faut rassurer les indignés du Figaro : « Pas de panique : la reproduction des élites ne sera pas mise en cause. Même par un gouvernement bien connu pour être l’ennemi de la finance… ». Vous me direz que la ministre n’a pas besoin d’une énième défense. C'est vrai. Elle est fort bien entourée. Contrairement à une autre Najat, anonyme. Et peut-être géniale.
Luc Ferry @FerryLuc Julliard, Onfray, Bruckner, Finkielkraut, Debray, Redecker et moi, tous des pseudo intellectuels face à la géniale Najat ? A moins que...
L’intelligence et la culture n’empêchent pas la connerie. La preuve quand Luc Ferry, un philosophe et homme politique, se lâche dans un de ses tweets. Vous me direz que la ministre l’a bien méritée en le qualifiant, lui et certains de ses amis, de « pseudos intellectuels ». Quoi que nous pensions d'eux, ils ne sont pas des « pseudo intellectuels. ». Malgré leur appartenance au camp adverse, il s’agit bel et bien d’intellectuels. Notamment Alain Finkielkraut,(l'animateur de "Répliques") et Régis Debray, qui, sans pour autant être d'accord avec eux, ne sont pas inintéressants. Même si parfois l'envie de les traiter de cons est très forte. Mais on sait se tenir.
Pourquoi cette familiarité de Luc Ferry? Retour de bâton d’un ancien ministre de l’Education nationale à la nouvelle en poste ? Jalousie dans les hautes sphères ? Réglement de comptes dans les beaux quartiers ?Tous deux doivent se croiser dans des cocktails ou au Dîner du Siècle. Se feront-ils la gueule ? Un sourire crispé pour faire bonne figure ?
Quoi qu'il en soit, l’un et l’autre demeurent très engagés pour l’entre soi. Très loin des écoles ghetto que leurs gosses, hellénistes ou pas, ne fréquenteront jamais. Des politiques de moins en moins crédibles, tant dans leurs propositions que leurs indignations de façade. Hors des réalités. Sauf de la leur. Une réalité très protégée et confortable. Pas celle des écoles du 93 et d'ailleurs. Malgré quelques polémiques, l'ancien et la nouvelle ministre de l'Éducation nationale oeuvrant in fine dans la même direction. Protéger les intérêts d'une minorité. Celle de leurs amis de la finance.
Mais, contrairement à Luc Ferry, la ministre ne s'est livrée qu'à une attaque "es qualités". Jamais elle n'est entrée dans des considérations d’ordre personnel. Professionnelle dans sa fonction. Tandis que lui, dans ce tweet, paraît oublier que cette femme, comme toutes les autres femmes publiques ou pas, a aussi un nom. Comme celles des épouses de ces intellectuelles, leurs amies, leurs filles, leurs maîtresses... Aurait-il écrit « La Bernadette » ou « La Carla » ? Même avec ces ennemies politiques, se serait-il permis « La Ségolène » ou « la Marisol » ? Peut-être ? En tout cas, les personnalités masculines citées dans son tweet le sont toutes par leur nom. Pourquoi séparer Najat de Vallaud-Belkacem?
Dans son esprit, comme pour un journaliste qui a eu l’intelligence de s’excuser de sa connerie, Najat serait-elle une espèce de soubrette ? Femme du peuple vannable et corvéable à merci ? La soubrette, comme les putes, n’a qu’un prénom. Nul besoin d’un nom pour nettoyer les chiottes d’une villa à Neuilly-Sur-Seine ou tailler une pipe dans un hôtel de luxe. Femmes au patronyme ignoré, pas moins respectables pour autant. Peut-être que j’exagère. Un coup de gueule inutile, à côté de la plaque. Toujours à voir le mal partout. Comme ces femmes journalistes dénonçant le sexisme de la classe politique? Sûrement des affabulatrices.
Une blague de potache de Luc Ferry ?Comme celle d'un autre politique qui se serait moqué des «sans dents ». A chacun son " dîner de cons" ? D'aucuns penseront que ce tweet n'est pas très grave. Pas de quoi en faire un fromage. D'autres hurleront à la vanne raciste? Je ne crois pas. Dans le haut du panier, de gauche ou de droite, on est moins raciste que dans les sphères populaires- plus fragiles socialement. Même si certains, parmi notre élite, se servent du racisme pour manipuler l’électorat populaire pour conserver ou obtenir du pouvoir. Pourquoi donc Luc Ferry se lâche? Lui l'intellectuel habitué à peser chacun de ses mots.
Le philosophe se prend-il pour un humoriste ?On peut rire de tout, mais pas de n’importe où. C’est un métier, en plus pas si simple. « La géniale Najat » sous la plume d’un caricaturiste pourrait-être considéré comme de l’humour caustique. Et même une dénonciation du sexisme. Tandis que cette formule tweetée par Luc Ferry ressemble plus à l’expression d’un irrépressible sexisme. Humoriste ou politique n’ont pas les mêmes rôles. Ni les mêmes indulgences du public. Pas trop tard pour changer de métier, cher Luc Ferry.
Cette formule apparement sexiste me semble révéler un autre problème. Beaucoup moins visible que le racisme et moins porteur médiatiquement que la combat légitime contre le sexisme: le mépris social. Un mépris émanant autant de la gauche que de la droite. Parfois chez des gens de bonne foi, très ouverts,voulant imposer leur manière de penser et de vivre. Même de rire. Pour les transfuges sociaux, il faut impérativement oublier les vannes de son enfance populaire, jugées trop grasses. Grasses selon les critères de qui ? Les arbitres des élégances imposant leur canon de l’humour ( beauf ou pas beauf) sont issus de quel milieu? Des classes dominantes. Comme explique le milliardaire Waren Buffet, elles sont en train de gagner la guerre. Imposer leurs modèle et vision du monde.
Aujourd'hui en France, les Najat et Azouz sont souvent issus de milieux populaires. Et très rarement à de hauts postes. Fort heureusement, le plafond de verre commence à se lézarder. Même si au contact du pouvoir, ces " modèles de réussite issus des quartiers" ont tendance à avoir honte de leur origines prolotes,singer le dominant pour ne pas faire tache dans un diner placé, cette évolution est positive. Ils peuvent servir d' exemples à des gosses pouvant se dire « c’est possible ». Naïf de croire grimper un jour dans l’ascenseur social ? Une utopie ? Sans doute mais, sans utopie, que restent-il aux gosses des cités HLM ? Le djihad ou le braquage ? Les deux ? Ou se contenter de mourir à la tâche dans un boulot pourri ? Ne les empêchons pas en plus de rêver.
Le tweet avec «la géniale Najat » est l’expression de ce «racisme de classe » invisible. Jamais puni car impossible à traîner devant un tribunal. Paraît que les classes sociales n’existent plus. Surtout pour ceux qui évoluent dans les bonnes. Les familles dont les gosses, même sans l’allemand ou du latin, seront nos futurs dirigeants ou acteurs de l’élite socioculturelle. Patrons ou patronnes de presse de gauche, de droite, du centre, de l’extrême-droite, ministres, metteurs en scène, écrivains… Les intellos qui attaquent cette réforme, ainsi que Najat Valaud-Belkacem, le savent bien au fond. Une querelle pour amuser la galerie?
Cette polémique est parti de histoire de classe bi-langue et de langues mortes. Cioran écrivait « On n’habite pas un pays mais une langue ». En ce moment, habiter la langue des beaux quartiers ouvre plus d’horizons.Une habitation avec plus de perspectives d’avenir qu’un appartement à Bondy. Pas qu’une différence de façade. A l’intérieur, il y a des murs tapissés de livres, ponctués de toiles, ouvrant sur le monde. Les clefs de la planète à domicile. Pas des clefs pour les habitants de certaines banlieues.
D'autres habitent la langue des cités populaires. Des citoyens de troisième classe ? Relégués aux confins de la République ?Contrairement à ce que prétendent les intellectuels du « c’était mieux avant », c'est une langue toujours très vivante. Suffit juste de l’écouter. Une écoute sans mépris de classe.