« A quoi on reconnaît les cons ?
Ils ne savent pas douter. »
Graffiti sur un mur
Ce mois de septembre 2015, des centaines de milliers de participants à la fête de l’Huma. Comme chaque année, le plus grand rassemblement populaire se déroule dans un département si impopulaire sur le plan médiatique. A tel point que certains journalistes n’osent même plus dire 93 et des parents y pratiquent l'évitement scolaire. Communiste ou pas, socialiste, de droite, d’extrême-droite, libertaire, personne ne peut contester que c’est la fête la plus populaire du pays. Plutôt rassurant en ces périodes sombres que « l’Humanité » draine toujours autant de monde. Bien sûr la programmation musicale n’est pas étrangère à cet afflux. Mais cette Fête de l’Huma a un goût très différent des précédentes. La première après la barbarie de janvier.
Et sans la bande de fêlés heureux de vivre et défouraillant à coups de crayons sur tout ce qui bouge. Première fois où ils ne seront pas présents pour dessiner et se marrer avec le public. Pilier de la fête de l'Huma. Des incontournables de cette grosse fiesta du mois de septembre. Notamment Tignous qui venait en voisin séquano-dyonisien. Sans aucun doute qu’il y aura des hommages à ces artistes tombés avec leurs «armes de dérision» à la main. Morts en service.
La mémoire d’un père et d’un fils sous le même ciel du 93 avec les Hurlements de Léo et Napo Romero hurlant la rage de Mano Solo( fils de Cabu). D’autres artistes, bouffés par le crabe ou un autre carnassier sous la peau, seront eux-aussi mis en avant. Comme Alain Leprest ressuscité par un comédien. Schultz, chanteur des Parabellum, sera -il du lot de ces clins d’œil posthumes ? Je n'en sais rien. Cela dit, il continuera de vivre dans de nombreuses têtes. Notamment de ses potes du Bar des Sports et de L’Escale à Montreuil(93). Les hommages invisibles plus durables que les discours officiels ?
Que de fantômes d’artistes à cette cuvée 2015 de la fête de l’Huma.Tous avec leur personnalité bien marquée et marquante, différentes les unes des autres sur les olant artistique, politique, poétique... Mais pas un hasard s'ils se retrouvaient au Parc de la Courneuve. Des artistes très proches des gens : du prolo au bobo en passant par tous les sans étiquette sociale. Pas confinés dans leur tour d’ivoire à engranger les dividendes de leur notoriété, ou derrière les vitres des Deux Magots. Même si les artistes, agoraphobes ou simplement timides, ne sont pas tous méprisants du populo. Certains préfèrent oeuvrer à l'écart.
A chaque fête de l'Huma ou dans d'autres manifestations plus modestes, les lecteurs et admirateurs de la bande de Charb, pouvaient les approcher sans problèmes. Tailler le bout de gras avec les caricaturistes, même boire des coups de rouge, blanc, ou une autre couleur, avec eux. Mêmes s'ils avaient la plupart du temps le nez planté sur la page à dédicacer. De joyeux allumés avec toujours une provocation sur le feu. Et un mot d'humour pour tacler la morosité de notre époque.
Une lapalissade que de dire que nombre d’artistes sont des sacs de nœuds à ciel ouvert, des êtres à fleur de peau. Beaucoup très inadaptés au formatage de la société. Ils peuvent être caractériels, cons, égocentrés, alcooliques, obtus, odieux en couple, extrémistes, mauvais père, mauvaise mère, contradictoire… Le verre de l’amitié avec l’un ou l’une d’entre eux pouvant finir en engueulade avec des noms d’oiseaux commençant par C ou E. Bref, pas des dieux, ni des êtres parfaits comme souvent leurs aficionados aimeraient les voir. Et tant mieux qu'ils ne soient pas momifiés en icônes bienveillantes. Préférable de conserver en mémoire le visage de sales gosses cultivant la rage et la tendresse. Des emmerdeurs hauts en couleurs et doutes.
La mort d’un être -médiatisé ou pas - a souvent pour vertu d’effacer l’ardoise du disparu. Super ! Vraiment super ! Quelqu’un de vraiment bien ! Un mec super généreux et en plus complètement intègre ! Pourtant quel plus cadeau de garder aussi ses défauts en mémoire. Toutes les saisons d’un individu, même les pires, ont leur intérêt. Surtout ne pas transformer une dépouille mortelle en ange asexué, jamais coléreux ni très con. Après le carnage de Charlie, la tendance avait été de mettre la bande de Charb sous cloche.
Je suis Charlie ! devenu un mot d’ordre, quasi une prière collective. Incontournable. L'hebdo satirique auréolé soudain de toutes les vertus. Réflexe sûrement naturel que nous avons tous, pour ne conserver que la plus belle image posthume d’un très proche, ou d’un artiste que nous apprécions beaucoup. Cela me semble une vision imparfaite des disparus aux personnalités heureusement plus complexes et contradictoires. Bref, pas des divinités les Charlie. Mais, putain, qu’est-ce que leur joyeuse cruauté manque !
Comment auraient- ils croqué le gosse échoué sur la plage ou la bêtise récurrente de nombre de nos politiques ? Sans oublier la haine ordinaire qui continue de tisser sa toile. Rien de nouveau depuis leur départ. A part l’absence de leurs images si « réfléchissantes ». Mais on continue de se marrer. La vie plus forte que la connerie.
Hier soir autour de quelques verres, deux copains du PC évoquaient avec émotion les gobelets dédicacés par la bande des Charlie derrière leur stand à la Fête de l’Huma. Je n’ai pas vu les dessins sur ces verres mais, connaissant la force festive des caricaturistes,sans doute que le feutre roulait avec plusieurs grammes de trop sur le plastoque tordu et retordu entre des mains heureuses d’être là. Quelques dessinateurs roulent uniquement à l’eau. Ces gobelets, petits objets, insignifiants en apparence, reflètent l’humanité de ces mecs et nanas avec qui on avait envie de trinquer. Plus qu’avec d’autres créateurs, dont certains par ailleurs très bons, persuadés que le soleil tourne autour de leur nombril. Et que le jour ne se lèvera plus après leur mort.
Aujourd’hui, quelques traits sur un gobelet, plus toutes les caricatures, romans, poèmes, chansons, films, etc, restent l'un des plus beaux bras d’honneur aux barbares qui ensanglantèrent de début de l'année 2015. Mais aussi toujours présents dans le combat contre noamment ceux qui ont perdu la notion de l’hospitalité et préfèrent moisir dans « l’entre soi » rassurant. Merci à tous ces artistes disparus ! Ces fantômes du mois de janvier ne doivent pas pour autant occulter les artistes, vivant et survivant ici et maintenant. Des pages se ferment, d'autres s'ouvrent. La beauté du monde continue de tourner. Inlassable.
Même si la tristesse est présente à l'évocation de ces disparus, trêve de ton grandiloquent comme dit si bien la chanson illustrant ce billet. Leurs sons, leurs images, leurs mots, restent à portée d'oreilles et de regards. Chacun peut s'y plonger ou s'y replonger. Continuons de faire vivre ces artistes à travers leur héritage artistique. Sans oublier de rire de soi et des autres pour narguer la connerie humaine.
Et trinquer à l'éternel présent !
ps) Après lecture de ce billet, un ami vient de m'informer qu'un Concert hommage à Schultz est organisé ce jour par " Le quartier et ses potes" sur la " Place de la République " à Montreuil(93).