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Mouloud Akkouche

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Billet de blog 12 octobre 2024

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Présumé capable

Son dos en guise de conclusion à notre brève conversation. Puis il a rabattu la capuche de son K-Way sur sa tête rasé et s’est éloigné à grands pas. À environ une trentaine de mètres. Pour s’asseoir, les yeux au sol. Pas n’importe où. Sur un muret de ciment devenu un banc quand nous étions gosses. Que d’heures passées là à rêver. En écoutant pousser nos ailes.

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                  Son dos en guise de conclusion à notre brève conversation. Puis il a rabattu la capuche de son K-Way sur sa tête rasé et s’est éloigné à grands pas. À environ une trentaine de mètres. Pour s’asseoir, les yeux au sol. Pas n’importe où. Sur un muret de ciment devenu un banc quand nous étions gosses. Que d’heures passées là à rêver. Surtout de partir. Ne pas ressembler à nos parents au cœur et regard usés. Notre corps à nous ne serait pas donné à la machine qui en engraissait quelques-uns et vidait l’existence de la majorité pour un toit et frigo plein. Lucide, chacun à notre manière que le monde se divisait en deux : ceux qui accepteront l’héritage de l’ écrasement et les autres qui s’envoleront. Un vol pour ne pas se laisser voler son histoire unique.

           Quelques-uns ont eu des ailes qui ont poussé. Certaines très vite. À la vitesse d’une bagnole contre telle ou telle devanture. Remplir le coffre de sa «  chasse urbaine » avant de revenir à domicile. Pour se partager le butin de la virée nocturne. Des volées de moineaux attirés par les lumières de la ville. Et des produits vantés par la télé. Une fois, deux fois, trois fois… Avant se rendre compte que c’étaient des vitrines à mirages qui envoyaient à l’ombre. D’autres ont réussi à voler plus loin. Sans se briser contre l’autre machine qui nous tendait ses jolies couleurs. Plus sexy que l’usine ou le dos brisé des maçons. Une machine à leurres vidant aussi les cœurs et la tête. Et il y a celles et ceux qui sont restés. Pour l’héritage des écrasés.

          Avec  de moins en moins de miettes à se partager. Et en plus, cerise sur le ghetto ; les encore plus pauvres venus d’ailleurs. La légende raconte que nombre d’ Italiens immigrés étaient arrivés à pied nu en France. Désormais, les émigrés viennent par la mer. Celles et ceux n’ayant pas fini au fond de l’eau. Bien sûr, les nouveaux « écrasés d’ailleurs » sont devenus les responsables d’un écrasement– de souche - remontant aux serfs et seigneurs ( revenus derrière des masques de la République? ). Rien de plus naturel quand la misère se rajoute à la misère. Pas ce genre de soucis dans les quartiers des écraseurs de tout bord politique et couleur de peau. La roue avait tourné. Toujours sur les mêmes. Et en pire. L’écrasement sans l’espoir ?

          Son visage s’était crispé. Malgré le temps, je l’avais aussitôt reconnu. Tant de saisons dans la même salle de classe. Il dansait d’un pied sur l’autre. Moi aussi. Bref échange de mains. Comme des années durant à se croiser quasiment chaque jour. Mais désormais un abîme entre nos paumes. Salut. Ça va. Ouais. Et toi ? Ça fait une paye. Ouais. Des années que nous nous étions croisées. La dernière fois, c’était une dizaine d’années auparavant. Peu après, j’avais appris la nouvelle. Pensant au début que c’était une rumeur. Pas une panoplie de gosse ses menottes au poignet. Il n’était plus dans le rôle du flic et voyou ( notre préférence due aux interventions des cow-boys de la BAC ? ) dans la cour de récré. Ni à l’ado tournant et tournant sur sa bécane. Dans une course à celui qui ferait le plus de boucan. C’était du passé. Désormais une ombre cherchant le silence. Il évitait mon regard. Sachant que je savais. Il avait arraché la vie. Un crime impardonnable.

           Une invite à le rejoindre sur «  notre banc » ? Nous replonger dans nos années d'école primaire et collège ? Une fin de non-recevoir ? Fous-moi la paix avec ta compassion ? Peur d’un nouveau jugement d’un camarade de classe ? Des questions en accéléré. J’ai hésité. Ce copain d’enfance avait tué une femme. D’autres disaient plusieurs. C’était qu’une pute la gonzesse qu'il a butée. Une phrase entendue un jour. Je n’ai jamais su le détail de son ou ses meurtres. Que faire ? J’ai continué mon chemin. Pour rejoindre mon histoire. Le laissant dans la sienne. Qu’est-il devenu ? Je ne l’ai jamais su. Mort ? Vivant ? De lui, ne me restent que des bribes d’enfance commune. Et un dos fuyant. Présumé capable  de se réinsérer ?

            D’autres que lui avaient basculé dans le quartier. De l'enfance aux assiettes ( les assises en argot). Mais pas que des jeunes à basculer. Chaque fois pointé du doigt par la majorité des voisins. Rien de plus naturel. Difficile d’apprécier et de défendre un assassin. Gosse, j’écoutais les grands parler. Notamment dans le bistrot du quartier. Diabolo-menthe à la main, les oreilles en aspirateur à paroles. Un mec qui tue mon gosse, je le bute tout de suite. Pareil pour ces enculés de pédophiles. Et tous ces fils de putes qui massacrent leur gonzesse. Faut garder la bascule à Charlot (première fois que j'entendais cette expression). Échange habituel autour du journal le Parisien. Et du dernier fait divers ( pas encore la page société ? ) sanglant. Parmi eux, certains cognaient leur femme et abusaient de leur gosse. Même proportion d’ordures que dans d’autres milieux ; quelques exemples récents dans des quartiers huppés avec vue sur les lycées de notre élite. Mon diabolo menthe est terminé depuis bien longtemps. Mais la folie humaine continue. À petite et grande échelle. Un gâchis humain sans frontières.

          Pourquoi l’image de cet enfant devenu un homme tueur est remonté à la surface ? En revenant sur mes premiers pas. Parfois, au gré de mes remontées sur Paname, je fais un détour par mon quartier d’enfance. Désormais un touriste et étranger. Rassurant que les lieux changent. Heureusement que tout ne reste pas figé à l’aune de sa jeunesse. D’autres enfances en construction. Avec des bonheurs et malheurs en chantier. Comme partout sur la planète. Près de son immeuble, quelques jeunes étaient assis. Grandes gueules et larges d’épaules. Quelles ailes à venir ? Notre banc n’est plus là. Mais un nouveau l’a remplacé. De nouvelles plantes ont poussé sur les portes d’entrée : des digicodes. Les gosses m’ont dévisagé. Un condé en civil ? Un pervers ? Me scannant avec le même regard que nous avions quand un « pas d’ici » traversait notre territoire. J’ai levé les yeux. Toujours dans sa chambre de gosse ?

            Présumé capable. C’est une belle présomption. Quand il s’agit de construire - pour soi et l'autre- et d'honorer la beauté. Mais ça peut-être le contraire. Chaque être capable du pire. Même celui qui promène son humanité en bandoulière. Nous avons des exemples d’hommes (de rares femmes) qui, chargés de soigner, d’éduquer, de mettre dans le « droit chemin de la religion soit disant de paix et d’amour », se sont avérés être des assassins et des prédateurs sexuels. Pourtant des humains comme vous et moi. Des êtres de chair et d’os qui sont nos semblables. N’importe qui peut basculer. Même les enfants sont capables de cruauté. En fait, chaque individu est porteur du pire et du meilleur. Certains basculeront dans l’horreur absolue. D’autres se contenteront de petites perversités et saloperies au fil du quotidien. Bien sûr, tout n’est pas à mettre au même niveau. Important de hiérarchiser les crimes et délits. Les assassins et les violeurs ne sont pas à mettre sur le même plan que les petits et grands voleurs. Mais, toutes proportions gardées, personne n’est innocent. Même soi.

          Se méfier toujours des donneurs et donneuses de leçons en pureté. De temps à autre, je joue dans cette catégorie. Avant qu’une petite voix me rappelle plusieurs éléments pas du tout élégants de mon histoire. Quelques actes et propos pas à mon honneur sur mon ardoise. Si on gratte sous les mots et fouille n’importe quelle histoire humaine, on trouvera le contraire de ce que la bouche dit ou la main écrit. Comme en ce moment, les propos de beaucoup de vendeuses et vendeurs de pureté. Parfois en défendant des causes importantes et légitimes. Mais, quels que soient les objectifs de départ, la quête de pureté est fort dangereuse. L’histoire passée nous a donné des exemples. Et cette «  quête de pureté » continue sur la planète. Avec dans la cible tous les impurs ; autrement dit, l’autre pas comme soi et ses proches. Rien de nouveau sous le ciel de la connerie humaine. Mais pas une raison pour ne pas tenter de changer. Chaque individu dans son coin, avec ses petits ou gros moyens. Œuvrer pour devenir présumé capable.

            D’être moins imparfait.

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