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Billet de blog 13 mars 2025

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Le vieux songe

Céder sa place assise à un vieux songe. Il la laissera aussitôt à un enfant. Parce que le monde pèse plus lourd sur de frêles épaules. Avec tendance à vouloir écraser les rêves de gosse. Un poids plombé de notre connerie humaine. Contrairement à la légèreté du vieux songe. Usé mais vivant.Pour continuer de se rêver chaque matin. Et chanter au réveil. Même si c’est un chant noir.

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Illustration 1

« Dès que l’homme est trop heureux, il reste seul ; et il reste seul, également, dès qu’il est trop malheureux. » Panaït Istrait

« Je suis doué d'une sensibilité absurde, ce qui érafle les autres me déchire. » Gustave Flaubert

Pour le Haïdouk 'n 'roll d’Ardèche

           Céder sa place assise à un vieux songe. Il la laissera aussitôt à un enfant. Parce que le monde pèse plus lourd sur de frêles épaules. Avec tendance à vouloir écraser les rêves des gosses. Un poids plombé de notre connerie humaine. Contrairement à la légèreté du vieux songe. Aussi léger que la légèreté. L'ancien en a encore sous ses semelles de voyageur. Capable de doubler la lumière dans une course de vitesse. Puis, d’un effacement, lui laisser le passage. Élégance des perdants ? Pas du tout. Élégance des perdus. Le songe n’a pas besoin de podium ni de médailles. Juste de hauteurs et de vide. Funambule sur le fil reliant l’ici et l’ailleurs. Pour continuer de se rêver chaque matin. Et chanter au réveil. Même si c’est un chant noir.

          Les paroles d’un porte-drapeau de ceux qui n’en portent pas. Voire même les brûlant ou, autre révolte, les ignorent pour s’intéresser à la couleur du ciel ou des yeux zaimés. Désespéré mais pas désespérant. La noirceur est tissée avec délicatesse sur le cuir râpé du temps. Les motifs d’une trajectoire unique, comme chaque solitude expulsée d’un ventre ou d’une éprouvette. Certes, nous sommes tous fœtus ; toutefois pas une raison pour embarrasser l’autre de sa propre finitude. Imaginer un instant qu’on entende les larmes et les cris des étoiles mourantes. En plus sacrément nombreuses. Avec les Terriens qui s’y mettent : il ou elle a rejoint les étoiles. Un vrai cimetière au-dessus de nos têtes. En dessous aussi. Même sous les mers.

        Ce recueil de nouvelles évite le pathétique. Un tour de force au regard des sujets traités. Pas des thèmes à capital joyeux. Pour autant, l’auteur n’occulte pas le pathologique. Celui d’une vie d’homme. Semblable pathologie des huit milliards de sacs de nœuds à ciel ouvert. Seul les «non nés » sont exemptés de petites et grandes pathologies de mortels. La plume noire et sang de l’auteur fouillant aussi le pathologique de notre espèce ; moins souvent humaine qu'inhumaine ? Sans jamais négliger les pleurs. Petit ruisseau salé du petit chagrin au grand cyclone dans l’œil du traumatisme. Chaque vivant abrite sa réserve de larmes. Avec petites et grandes marées. L’auteur n’hésite pas à nous les décrire. Sans en rajouter. Avec des bouffées d’humour et de nicotine, dos tourné aux larmes. Et arme à la main. Lame poétique.

      Les mots ne guérissent de rien. Qui raconte ça ? Le corps du vieux songe. Il n’a pas tort. Tous les corps vieillissant connaissent la limite des mots. Sans oublier notre planète perclus de toute sorte de maux (surtout du fait de notre espèce) qui en sait quelque chose. Et pas avec ses nouveaux patrons qu’elle risque de finir ses jours et nuits dans la sérénité. Revenons à la banalité des corps. Dont ceux ayant caboté trop près du bord et du bar. L’addition est toujours salée quand on a refusé de se laisser sucrer son temps par la réalité et tous ses masques et injonctions. Les nuits à blanche et tous les autres produits de quête de beauté sans issue laissent des cernes au cœur. Des traces discrètes. Et visibles qu’a travers les valises sous les yeux.

       Indéniable que la carcasse a pris des coups. Et que les crabes du monde entier se donnent la pince pour attaquer les chairs passagères. Qui a connu la douleur sait qu’elle n’est pas un doux leurre (l’un des jeux de mots de Jacques Lacan se définissant comme « poète, presque » ). La poésie ne remplacera jamais un Doliprane ou de la morphine. Surtout en se rapprochant du 10 sur l’échelle de la douleur. À ce moment-là, place aux blouses blanches avec produit apaisant. Mais la poésie a un atout que n’a pas la médecine. Même la plus perfectionnée. Un atout qui ne guérit de rien, il aide à continuer. La poésie sait souffler sur les braises entre deux paupières.

Illustration 2
© Willem

           Lui : impossible de l’oublier. Surtout avec tout le boucan qu’il fait. Quasiment partout dans ce recueil de nouvelles. Vous le videz par la porte d’une phrase, il revient par la fenêtre des pointillés. Avec force sons. Une présence qui est datée ? Bien sûr. Comme toutes les musiques qui datent chaque histoire individuelle. Des sons et des mots dans des oreilles disséminées partout sur la planète. Les chansons d’une mère ou d’un père, le premier concert sur la radio de la table de la cuisine, le slow ou le pogo sur une piste de danse, la sono à fond vitres ouvertes vers n'importe où ... Rares les corps sans tel ou tel son gravé en mémoire. Dis-moi ce que t’écoutes et je te dirai si tu fais partie de mon groupe… Banales affinités électives à travers la musique. Surtout aux premières émotions musicales. Ce qui n’empêche pas la fusion de divers genres très différents. La musique n’est pas un porte-drapeau. Sauf celle qui veut mettre les oreilles au garde-à-vous. Rock’n’roll sans frontières à tous les étages de ce bouquin.

         Ici, c’est le rock,'n' roll. Du début à la fin sur la scène de ce recueil. Dans sa violence et tendresse. Comme tout ce qui vient du blues des futures poussières d’étoiles. Avec entre autres la claudication joyeuse et rageuse du « Sex & Drugs & Rock & Roll ». Sa danse singulière pas loin du ring improvisé de « Au début t'y croyais.Jeune, fier et fringant.Prêt à tout encaisser (...)Des perdants, Kid. Que des perdants.Y a parfois des vainqueurs. Mais jamais de gagnants. » La musique n’adoucit rien. Elle n’endurcit pas non plus. La musique nourrit nos corps. Pour parfois nous aider à déchiffrer la partition d’un monde dont on n'a pas toujours les bonnes clefs de soi. Remonter le son pour ne pas entendre la musique de nos ombres. Et couvrir le tempo seconde par seconde du temps qui finira par débrancher la sono sous sa poitrine. Elle offre aussi tout simplement du plaisir.  De la joie seul ou en groupe. Mets à donfe ! Même si ça fait chier les voisins du dessous.

        Un recueil avec que des histoires de mecs ? Indéniable que le regard masculin a une grande présence. Voire centrale. Certaines femmes et hommes n’apprécieront peut-être pas du tout cet aspect. Leur regard et critiques sont respectables. Mais peut-être au fond que des histoires d’êtres. Plus paumés que couillus. Pas de GPS entre les cuisses. Souvent le contraire, avec destination droit dans le mur. Notamment pour les hommes avec descente d’organes : le cœur et le cerveau entre les cuisses. Ce qui ne me semble pas le cas du narrateur de ces nouvelles. Capable de dévoiler ses faiblesses et ses zones d’ombre. Sans fanfaronner ni minimiser. Mais fidèle au volcan sous sa peau. Autre temps, autres éruptions.

       Que des êtres parfait dans ce recueil de nouvelles ? Loin de là. Hors de question de les mettre sur un piédestal. Même s’ils ont beaucoup souffert. La souffrance ne rend pas toujours plus intelligent du cerveau et du cœur. Suffit de voir qui bascule dans l’extrême obscurantisme identitaire ou religieux. Néanmoins, noblesse populaire n’est pas une vaine expression. L’individu parfait n’existe pas. Chaque solitude est douée d’imperfections. Mais nombre des personnages qui traversent - souvent de guingois - ces pages sont touchants. Pas une émotion verticale sur une plaie vue de haut. Touché à hauteur de regard de semblable. Ni meilleur, ni pire.

       Des blessures qui ont droit à la littérature. Comme d’autres fêlures traitées sur toute sorte de supports artistiques. Toutefois, ces personnages « à la déglingue » peuvent ne pas toucher,  voire même agacer. Notamment par le côté « Noir, c’est noir, il n’y a plus d’espoir ». Le violon des bad boys sortis du violon. On ne fait pas de littérature noire sans casser des œufs sortis du trou du cul des bas-fonds du monde. Avec néanmoins  au cœur de la plaie de grands éclats de rire. Pas que du violon. Important la dérision et auto dérision. Écrire contre ses propres clichés. Rire parce que tout ça n’est que de l'éphémère. Que ce soit le bonheur ou le malheur. Et tout le reste. Pareil éphémère pour nos nombril et ego. Vanité des vanités... Rire sans le mou. Et jouir de son enveloppe passagère. Jusqu'au déshabillage final. Profiter du rêve du jour, avant la dernière nuit. Chaque fois remettre la joie sur le métier. Même si le tissu est sombre et glacé. Suffit d'un accroc pour laisser passer le printemps.

         Trop dit ou pas assez. Toujours cette impression d'être à côté de la plaque quand on évoque la création. Que ce soit la littérature ou d’autres domaines artistiques. Trop de bavardage. Pareil pour l’actualité et tout le reste. La majorité dans la course au commentaire ou à faire briller son nombril sur la toile. Je sais, j'ai compris, je suis du bon côté, j'ai fait ça, je vais là.... Le marathon quotidien  de dizaines de millions d'internautes en notre époque où le silence est de moins en moins occupé. Trêve de digression. Et laissons les mots de l’auteur faire leur boulot. Pour nous plaire ou nous déplaire. Peut-être les deux mêlés. Voire même nous foutre en rogne. Dans tous les cas, le dernier mot à l’œil lecteur. Peut-être une phrase de trop en guise de conclusion. Une sorte de sondage. Votre avis sur la fin que vous vous souhaitez.

        Vieux con ou songe ?

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