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Billet de blog 13 avril 2025

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Poussières de toiles

Deux toiles sous le même ciel. L’une est visible, l’autre invisible. La première dehors, tendue entre des branches. Des regards de passage peuvent se poser dessus. Comme devant un tour de magie de la nature. Parfois, des yeux numériques la captent et font circuler son image sur une autre toile. Celle qui est invisible. Et sur écran. Avec une invisibilité présente sur toute la planète.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© Photo: Marianne A

                  Deux toiles sous le même ciel. L’une est visible, l’autre invisible. Elles se trouvent à quelques mètres de distance. La première dehors, tendue entre des branches. Tandis que la deuxième s’étale à l’intérieur, sur un bureau ou une table. La première a étendu ses fils à l’air libre. Des regards de passage peuvent se poser dessus. Pour l'admirer. Comme devant un tour de magie de la nature. Parfois, des yeux numériques la captent et font circuler son image sur une autre toile. Celle qui est invisible. Mais une invisibilité présente sur toute la planète. Cachée dans des milliards de niches-écran.

        La visible a été un chantier de nuit. Hier, elle n’était pas présente. Ses fils, ponctués de gouttes de rosée, sont éclairés par la lumière du jour qui se lève. Une architecture subtile et solide. Néanmoins pas sûr que la structure résiste à toute la journée. Suffit d’un coup de vent, d’un caillou ou un bâton volant, ou un autre choc, pour qu’elle disparaisse. Dessus, une seule habitante. Et unique maîtresse d’un territoire qu’elle a bâti lors de son chantier solitaire. C’est un lieu pour se nourrir, se reproduire, et se défendre. Elle s’installera au centre. Au cœur d'un dispositif précis. Elle sera en attente d’une vibration. Pas n’importe laquelle. Une vibration qui annoncera l’arrivée de son repas.

          La toile de l’araignée a un début et une fin. Une construction avec des frontières de temps et d’espace. Contrairement à l’invisible qui est un chantier sans fin. Avec ou sans début ? Difficile de répondre. Sur cette toile mondiale, tout semble être un début en boucle. Un mouvement immobile comme une sorte d’éternité sur un métier à tisser. Et contrairement à la visible, une toile qui héberge des milliards d’habitants et habitantes. Souvent aussi un lieu pour y vivre, s’y nourrir à tous les sens du terme, y faire des rencontres, etc. Maîtresses et maîtres de leur territoire ? Pas entièrement. Même le plus puissant ou la plus puissante est assujettie en partie à la multitude de fils d’une toile - marionnettiste sans corps palpable. Personne ne peut-y régner. La seule à tenir les fils, c’est elle : la toile. La majorité de ses internautes sont devenus addicts à la vibration. Attentifs comme l’araignée. Pour un autre aliment. La nourriture de la notification.

         L’araignée ne vit que sur une toile. Son monde en quelques lignes créées de ses pattes. Comme d’autres animaux, humains y compris, construisant leur habitat. Le toit sur la tête à a toujours été une priorité. Même réflexe et pratique depuis la nuit des temps. La grande différence est que, la plupart du temps, les habitants et les habitantes de notre siècle font appel à un architecte ou mettent les pieds sous un toit déjà prêt. Un autre élément différencie l’espèce humaine des autres. Les animaux n’ont qu’un seul habitat. Le même que celui des humains : la terre. Certains vivants dans l’air, sur ou sous l’eau. Mais tous sur la même planète et oxygène commun. Avant que les humains ne disposent d'une résidence secondaire. En plus de la principale partagée - pas très équitablement - avec les animaux et la flore. Quelle est cette résidence secondaire ?

         Pas uniquement pour les plus nantis. Même les plus démunis matériellement disposent de cette résidence secondaire. De plus en plus rares celles et ceux n’y ayant pas accès. La majorité de la planète dispose désormais de deux résidences. D’abord la principale. Le premier habitat de l’humanité : un ventre de femme. Et à elle seule de décider d’accueillir ou non un ou une locataire. Même si aujourd’hui, les naissances ont évolué, des évolutions entre autres liées à la technologie de la « mise au monde ». Une arrivée sur le plancher des emmerdes, pensent certains ne voulant pas d’enfants. Contrairement à d’autres qui, même conscients de la noirceur contemporaine, veulent offrir de nouvelles branches à notre humanité. Comme dans une sorte de «  mise en page blanche » ? En tout cas, un petit paquet de molécules déposé à sa première et unique adresse en orbite. De ses premiers pas à son dernier souffle. Même sous terre et poussière dans le vent, on ne quitte pas son adresse d’arrivée : la planète. Ce fut le cas durant des millions d’années.

      Avant l’arrivée de cette toile planétaire. Comme une sorte de second ciel sur nos têtes. Sous lequel, chaque internaute dispose de sa résidence secondaire. Plus ou moins grandes, modestes ou luxueuses. Avec des activités différentes selon celles et ceux qui s’y trouvent. En apparence, pas de clôtures entre toutes les résidences secondaires. Mais à y regarder de plus près, on se rend compte qu’elles ressemblent la plupart du temps à nos résidences principales. Certes avec la sensation d’être plus libres, sans murs durs comme pierres ou béton. Et en plus avec un horizon sans limite. Tels des propriétaires de l'infini. En réalité, ce n’est qu’un leurre. Le virtuel a aussi ses murs et frontières. Aussi fermés que ceux de la réalité.

          Critiquer notre nouvelle résidence secondaire ? Certains ne cessent de le faire. Entre deux coups d’œil à leur smartphone, ils expliquent que c’était mieux avant le Web. Comme d’autres ont peut-être préféré leur vie avant Gutenberg. Cela dit, Internet est bien entendu critiquable. Notamment les réseaux sociaux, trop souvent une déchetterie sauvage de pollution de cerveaux. Indéniables que nombre de manipulateur haineux et diviseurs y occupent un grand espace. Souvent les mêmes que sur notre résidence principale nommée terre. La toile a mimé les us et coutumes de ce qu’on nomme aujourd’hui « la vraie vie ». Une formule étonnante.

        Aucune vie n’est fausse. Même pourrie et virtuelle. L’index qui effleure l’écran est toujours de la chair, pareil pour l’œil posé sur le défilé d’ images. Les mêmes habitudes d’une résidence l’autre. Qu’elles soient bonnes ou mauvaises. Bien que certains lâchent plus leur pire et  fake-news sur un clavier. Qu'il s'agisse de puissants dégueulant d'arrogance et de toujours plus en haut du panier : destructeurs de notre résidence principale et secondaire. Nul besoin de donner de noms. Néanmoins, en bas du panier, il y a leurs clones, destructeurs de proximité. Malgré la connerie humaine et toutes les images des horreurs contemporaines, l’élégance existe aussi sur la toile. Sans oublier la culture, le savoir, l'humour, le rire, les avancées scientifiques, l'information, les images des nombreuses beautés du monde... Tout ce supplément d'être que nous offre Internet. Comme jadis Gutenberg.  L'inventeur de l'imprimerie continue de nous offrir beaucoup. Le livre comme première résidence secondaire ?

        Désormais, tout le monde ou presque dispose de deux adresses. Celles du corps. Avec un poids visible sur un pèse-personne. Et la seconde, sans chair et os. Avec un poids en followers et pouces bleus. De plus en plus rares les êtres ne vivant que sous le toit de leur résidence principale. Aujourd’hui, la plupart d’entre disposons d’une maison mobile. Un toit qu’on peut glisser au fond de sa poche. Suffit d’un index pour y habiter, passer d’une pièce à l’autre. Certains « internêtres » évoluant sans souci d’une adresse à l’autre. Du matériel au dématérialisé. . Conscients qu’il s’agit de deux mondes différents. Tandis que d’autres ont toujours des difficultés avec ce voyage quotidien. Jamais sûrs de l'endroit où ils et elles se trouvent. Avec du mal à démêler la réalité du virtuel. Aujourd’hui, la majorité est de plus en plus à l’aise avec ce voyage. Capable de circuler entre ces deux résidences. En sachant à chaque fois où ils habitent. Sur terre ou sur la toile.

       Pendant ce temps, elle est immobile. Concentrée sur l'arrivée de son repas. Patiente au cœur de son œuvre. Sans se douter de la présence d’une autre toile. Avec une foule d’individus accrochés à des fils invisibles, comme sur une accrobranche de claviers en écran. Sa toile et son histoire sont évidemment différentes de la nôtre. Notamment, parce que son territoire est bien circonscrit. Contrairement à notre toile, sans limite physique. Mais nous avons tout de même quelques points en commun. Dont celui de l’éphémère. Quelle que soit la toile, chaque histoire n’est que de passage. Qu'on soit araignée ou humain.  Des molécules en transit.

          De la toile aux étoiles.

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