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Billet de blog 13 décembre 2024

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C'est notre pays ?

Papa, je peux te poser une question ?Il sourit.Je t’écoute, ma fille. C’'est notre pays, Papa ? Bien sûr, ma fille. Elle affiche une moue dubitative.C’est vraiment nôtre pays? Viens avec moi. Il l’emmène au dernier étage de leur maison. Sur une terrasse qui surplombe la ville.Tu vois cette ville?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© N D


       Une petite fille entre dans le bureau de son père. Il lève la tête de son écran. Une chance sur deux que soit elle. Seules son épouse et sa fille sont autorisés à rentrer sans frapper.

  Papa, je peux te poser une question ?

Il sourit.

   Je t’écoute, ma fille.

Elle a une dizaine d’années.

  C’est notre pays. ?

   Bien sûr, ma fille.

Elle affiche une moue dubitative.

    C’est vraiment notre pays ?

Il se lève et lui prend la main.

   Viens avec moi.

Il l’emmène au dernier étage de leur maison. Sur une terrasse qui surplombe la ville.

     Tu vois cette ville ?

    Oui, Papa.

     Elle a nous.

     C’est vrai ?

       Cette ville appartient aussi à ta mère. Mais aussi à d’autres gens de la famille que j’ai choisis. Tout ça, c’est à notre famille. Nombre de rues et de bâtiments publics portent notre nom.

      La ville est personne d’autre ?

        D'abord à nous.

        Elle sourit.

      Elle est belle, notre ville.

          Et elle le sera encore plus. Je te le promets. On va en faire la plus belle ville du monde.

           Si tu veux Papa, je t’aiderai.

         Avec un grand plaisir, ma fille. Mais pas que la ville qui est à notre famille.

          On a quoi encore ?

         Tout le pays.

       C’est super cool !

           Ce pays est le nôtre.

       Elle pointe du doigt les passants.

        C’est aussi leur pays.

         Oui, mais moins que nous.

       Pourquoi ?

       Comment te dire ? C’est le peuple. Il n’a pas la même place que nous.

       Mais pourquoi ?

      C’est comme ça. Mais pas que dans notre ville et pays. Dans plein d’endroits du monde, c’est pareil. Il y a des familles comme nous. Et (il pointe l’index vers l’avenue.) il y a le peuple. Nous ne sommes pas du même monde.

      Je ne comprends pas.

        Quoi ?

      On est du même monde.

        Je te dis que non.

      Pourtant, on vit sous le même ciel.

   Il lui caresse la joue.

      Un jour, tu comprendras. Quand tu feras des études. Dans de grandes écoles. Là où étudient la plupart des enfants des plus importantes familles de la planète. Pour apprendre à diriger. Des études pour apprendre comment on s’occupe d’un peuple. Je suis allé dans ces écoles. On y fait plein de très belles rencontres. Très enrichissantes. Même s’il y a des désaccords. C’est normal.  Nous n'avons pas tous les mêmes points de vue. Mais nous faisons tous partie d’une grande famille élargie. Avec les mêmes codes. En famille, quoi.

  Elle hoche la tête.

        Ah ! J’ai compris. Le monde appartient à quelques familles qui ressemblent à la nôtre. Et ce qui reste, c’est au peuple. La même chose partout sur la terre.

        Tu as vraiment  tout compris ma fille.  Tu est très intelligente est très belle. Et ta mère et moi, nous t’aimons beaucoup. Tu seras la meilleure, ma fille. Ce monde sera le tien.

        Papa, c’est beaucoup de travail de s’occuper d’un peuple ?

       Il lève les yeux au ciel.

       Très difficile. Un travail épuisant de s’occuper de tout un pays. Surtout que le peuple ne nous aide pas beaucoup. Il veut toujours plus, en faisant le moins possible. Le peuple est très égoïste. Il ne pense qu’à lui. Et à ses petits plaisirs.

       Il pousse un soupir :

         Toutes les importantes familles du monde ont le même problème. Le peuple est souvent gentil. Mais il n’est pas très futé. Et il faut le gouverner. Et l’éduquer. Le peuple a un très bas niveau d’instruction. Et très peu curieux sur les Arts. On doit aussi lui apprendre l’hygiène, la politesse, être moins vulgaire, ne pas voler… C’est plus fort que lui ; le peuple est voleur. Dès qu’il peut gruger la société, il le fait. Le peuple a tendance à dilapider tout l’argent public. Nous sommes tout le temps obligés de le surveiller.

        Pour ça qu’il y a beaucoup de police dans les rues ?

     Oui.

      Il soupire à nouveau :

       Toutes les importantes familles du monde ont le même souci avec le peuple. On en parle de temps en temps dans nos grandes réunions. Nous n’avons pas toutes les mêmes manières de gouverner. Mais tous d’accord sur un point.

      Lequel ?

       Le peuple est crédule.

           C’est quoi crédule ?

         Le peuple  croit tout ce qu’on lui dit. Comme un grand enfant. Voilà pourquoi il faut toujours le surveiller. Je parle, je parle… Mais faut que je retourne travailler.

        Je peux te poser une dernière question.

         Bien sûr, ma fille.

         Le peuple n'a pas aussi envie d’avoir la ville et le pays pour lui ?

           Il secoue la tête.

           Surtout pas. Ils  abîmeraient tout très vite. On ne peut pas faire confiance au peuple. Il ne pense qu’à s’amuser. Sans penser au lendemain. Le peuple, je te l’ai déjà dit, c’est comme un enfant. Souvent très capricieux. IL faut savoir être autoritaire. Ne pas céder à tous ses caprices.

         Pourquoi on mange jamais avec le peuple ?

        Ce n’est pas vrai. Ça arrive.

         Oui mais c’est toujours avec plein de monde. Dans des grandes  soirées de charité. Mais on mange jamais à table à la maison avec les gens du  peuple.

        Comment te dire ? Les gens du peuple ne mangent pas comme non. Il sont… Comment te dire ? Ils sont différents de nous. Et… Les gens du  peuple n’ont pas de conversation très intéressante. Souvent à répéter les mêmes choses et… Très pleurnichards. Toujours à étaler leurs petits bobos. Souvent pas très dignes. Les gens du peuple ne sont pas très curieux de l’autre et du monde. Ils préfèrent rester ensemble. Nous nous ennuierions très vite à table avec le peuple. Nous n'avons pas les mêmes façons de penser et de vivre. Nous ne rions pas aux mêmes plaisanteries. Le peuple serait gêné à notre table. Et nous aussi. C’est mieux pour tout le monde d’éviter de manger à table. Les gens du peuple seraient d’accord avec moi. Chacun chez soi.

        Y a quelque chose que je ne comprends pas non plus ?

        Quoi, ma fille ?

        Dans mon école, il n'y a pas de fille et de garçons du peuple.

         Il jette un coup d’œil à sa montre.

        Ma réunion va commencer. Je dois y aller.

       Tu crois que le peuple aime notre famille ?

         Non. Il ne nous aime pas du tout.

       Elle fronce les sourcils.

       Mais je plaisante, ma fille. Le peuple nous adore.

        Il sourit.

       Même ceux que tu as fait tuer ? 


NB : Conte en pays de dictature. Ou dans des régimes (avec élection) mais plus qu’autoritaires. Un conte qui pourrait se dérouler donc dans plusieurs pays. Mais pas crédible dans la majorité des démocraties de la planète. Certes perfectible. Quelques similitudes avec notre République ? C'est en effet vrai. Mais indéniable qu'il est préférable d'habiter nos démocraties où il fait mieux (ou moins mal) vivre. Et avec toujours plus de liberté d'expression, etc.

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