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Nom féminin en huit lettres. Il est surtout utilisé par les mâles. Dans tous les milieux. Et partout sur la planète. Un mot qui commence par la lettre V. Mais qui est toujours au fond une défaite. Et générant des dégâts humains plus ou moins lourds. La violence est vieille aussi comme le monde. Elle ne sort jamais sans son binôme le verbe écraser. L’une ne va pas sans le deuxième. Et le premier écrasé de notre espèce est la femme. Double peine quand elle est pauvre. Le plus vieux damné de la terre est une damnée. Indéniable. Depuis quelque temps, les damnées de la terre se révoltent. Contre une oppression vieille comme la domination des mâles.
Les dossiers sur la violence de certains hommes sortent dans les milieux culturels. Et ici et là ailleurs dans le haut du panier. Et tant mieux. Mais ils sortent aussi à d’autres étages du panier. Rien de plus naturel. Et de normal. Le haut du panier n’a pas le monopole de la violence sur les femmes. Des victimes – sans visage connu - porteront plainte. D’autres non. Mais dans tous les cas, ça ne concerne que les victimes, leurs proches, et les hommes qui ont commis des violences. Et bien sûr la justice. Même si on peut quand même avoir son avis sur la question, être révolté et trouvé que c’est une violence ignoble. Pour autant, je suis ni juge ni flic. Pas à moi de remplacer la justice. Ni de couper les ponts avec certains copains qui ont commis le pire. Même s’il n’y a jamais prescription de l’ignoble.
Parmi eux, certains ressentent une honte très profonde. Pas feinte pour coller à l’air du temps et essayer de minimiser ce qu’ils ont fait. Une honte avant l’affichage du slogan sur les murs des villes. En quelques jours à Paris et Montreuil, je l’ai lu un très grand nombre de fois. La honte change de camp inscrit dans de très nombreuses rues. Une réalité. Les femmes subissant des violences ne veulent plus baisser la tête et se considérer comme fautives. La culpabilité se trouve du côté des destructeurs d’enfance et de vie. Toutefois, à la lecture de la phrase, j’ai repensé à un homme. Puis à quelques autres. Des hommes qui avaient honte. D’autres continuent d’être honteux. Conscient de l’horreur de leurs actes.
Un septuagénaire les yeux embués de larmes. Le toubib lui a dit qu’il n’en a plus pour très longtemps. C’était un militant de terrain. « J’ai toujours défendu les gens écrasés par le système. Les pauvres de toutes les couleurs. Un combat jusqu’à la fin de ma vie, mais... ». Il s’arrêta de parler. Son regard dans le vide. « Mais avec les frangines, j’ai été une belle ordure. Surtout quand je picolais comme un trou. Toutes les frangines avec qui j’ai été à la colle ont morflé. » . Il retourna ses mains. Comme deux tablettes où défilaient les visages des femmes qu’il avait brisées. « Tu vois, jeune homme, j’ai rarement honte. Mais là, si. J’ai une putain de honte. Sûr, j’ai échappé aux flics et à la justice. Pas au remords. Et à cette putain de honte. Je vais crever avec. Mais pas me plaindre ; ce n’est pas pire que ce que je leur ai fait subir. J’ai honte de moi. ». Grande marée montante dans ses yeux. « Bon c’est pas que je m’emmerde. ». Poignée de mains. Un dos s’éloigne. Sans doute pour aller sauver la veuve et l’orphelin. Un dos de honte.
Le dédouaner lui et les autres dans son cas ? Sûrement pas. D’ailleurs, certains ne se dédouanent pas. Au contraire. Rongés par la culpabilité. Des hommes violents qui ont des ardoises avec la population féminine. Certaines plus graves que d’autres. Des ardoises sont tachées d’un sang figé dans les veines de telle ou telle femme. Plus toutes les autres violences visibles et invisibles. Me coller sur la rive des hommes parfaits ? Certainement pas. J’ai honte de certains de mes actes et comportements. Sans aucun doute, j’ai dû blesser des femmes. Par un mot, des gestes, un regard sans élégance et plus que lourd… Tout ça pour dire que la honte existe aussi chez les hommes. Même si, en effet, on s’en fout ; ce ne sont pas les victimes. Et qu’elles sont prioritaires. Néanmoins cette honte - n’excusant rien - peut-être une porte. Même si elle n’est qu’entrebâillé. Une porte ouvrant sur quoi ?
Sur le soin. Accepter de se considérer comme malade. Pour chercher à se soigner. Ca peut-être aussi une porte sur l’éducation. Autrement dit la transmission de valeurs. Ces hommes, qui ont honte, peuvent peser sur l’éducation. Notamment sur celle des garçons en formation. Les pousser à ne pas considérer les femmes comme un punching-ball ou une serpillière sur laquelle on vient essuyer ses semelles chargées de frustrations. Rappeler juste que la femme est un membre de l’espèce humaine. Au même titre que tous les hommes. La femme est une humanité à elle toute seule. Où qu’elle se trouve. Détruire une femme, c’est détruire l’humanité. Les hommes qui ont honte peuvent le rappeler au garçon en construction. Pour qu’ils ne basculent pas dans la destruction de la moitié de l’humanité.
Blacklister les proches qui se sont plus que mal comportés (de la vanne lourde aux coups) avec les femmes ? Mon carnet d’adresses ferait une cure d’amaigrissement. Sans doute que mon nom disparaîtrait aussi de certains répertoires. Néanmoins, je blackliste celui qui s’enorgueillirait de sa violence contre une ou plusieurs femmes. Capable ou non d'autocritique et remise en question, nous sommes des hommes issus du vieux monde. Quand ce genre de comportement et d’actes était banalisés. Même si quelques hommes d’aujourd’hui persistent à reproduire le pire du passé, le monde est en train de changer. Et tant mieux pour les femmes. Elles vont enfin devenir des humaines à part entière. Pas juste nées pour reproduire l’espèce et jouer le rôle de la dernière roue du carrosse en orbite. Reprendre ce dont elles ont été spoliée depuis trop longtemps. Leur liberté d’être.
Pourquoi le titre est au singulier ? Parce que la honte est le plus souvent solitaire. À l’écart et sans bruit. Cette solitude vécue par tant de femmes. Victime et honteuse. Seule dans son coin. Le corps muré dans un silence soumis. Se maquillant devant le miroir pour effacer du mieux possible les traces des coups. Tout faire pour que le ou les gosses ne se rendent compte de rien. Chausser des lunettes en hiver pour cacher la trouille et la pluie permanente entre les paupières. Une solitude telle une prison mobile.
On s’en fout de la honte des hommes violents ? Sans doute ce qu’on peut me rétorquer. Et à juste titre. Évident que ce billet ne plaira pas à toutes les femmes et hommes. Surtout celles et ceux se battant au quotidien contre les violences contre les femmes. Toutefois, cette honte me semble une possible piste. Bien sûr, le pire ne sera jamais effacé. Surtout s’il y a mort de femme. Sans oublier non plus toutes les blessures qui resteront plus ou moins ancrées dans les chairs meurtries. Avoir honte au masculin me paraît un début. Certes pas grand-chose. Une goutte dans le vase brisé. Néanmoins, c’est toujours ça de pris sur le déni ; quand un homme refuse de voir sa violence, physique et verbale, jusqu’à même considérer que ce n’est rien, pas grand-chose, une p’tite claque, etc. Alors que la honte est le contraire du déni. L’acceptation de sa culpabilité. L’homme qui a honte est-il l’avenir de la femme libérée de sa honte ?
Pour conclure sur une définition. Nom masculin en cinq lettres. Les hommes ont plus du mal à l’exprimer. Guère un hasard s’ils cultivent souvent le contraire. Comme notamment nombre de dirigeants (peu de femmes) qui s’échinent à vouloir détruire la planète à coup de « toujours plus ». Prêts à se mettre en guerre pour conquérir de nouveaux territoires, surtout s’il y a des terres rares. Des hommes plus enclins à propager un autre nom au féminin aussi en cinq lettres. Néanmoins, important de rappeler que la majorité des hommes ne sont pas des féminicideurs, des violeurs, des cogneurs, des harceleurs, etc. Même si le système leur facilite la tâche. Malgré le baroud d’honneur de certains hommes du vieux monde, la société est en train de changer. Et tant, mieux, puisqu’on se dirige vers l’égalité. Pour essayer d’en finir avec ce nom en cinq lettres : haine. Alors que paradoxalement amour est au masculin.
Une pirouette sémantique pour retomber sur les fleurs du jour. Autrement dit : la Saint-Valentin. Les vendeurs de fleurs vont faire du chiffre comme tous les 14 février. La Saint-Valentin, tous les jours pour les femmes ? Non. À mon avis (peut-être que je me plante avec ma vision d’homme du vieux monde), sans doute pas leur souhait. Même si on a le droit de préférer les fleurs aux bonbons. Mais avant, il y a plus essentiel que la vitrine du fleuriste.
L’égalité homme-femme tous les jours.