Pour Christian C et les autres qui continuent...
Vivre en marge. Sans être à la rue. De plus en plus difficile d’être locataire de la marge. Surtout en vieillissant, sans le sou, ni le moindre héritage. Toutefois important de rappeler qu’il y a deux marges : la voulue et la contrainte. L'une enrichit, même sans toujours remplir le frigo. L’autre peut détruire. Sans non plus remplir le frigo. En fait, il y a de nombreuses marges, visibles ou invisibles. Dures ou douces. Toujours très difficile d’enfermer la marge dans une définition. Surtout que, souvent, elle s’efforce de fuir tout étiquetage. Ni Dieu, ni Maître, Ni Isme. En Afrique, certains saluent l’autre d’un « comment va ta douleur » ? Une question allant droit à l’essentiel. Un déguisement de comment va ta trouille de la mort ? Revenons à nos êtres sur le bord. Comment va ta marginalité ? Ça va, et toi ? Je fais tenir. Et toi ? Je vis une douce fin de marginalité. Puis on commande un étouffe questions inutiles. Tchin !
Combien de marginaux sans le sou et ayant choisi un mode de vie à rebours des schémas classiques ? Nous sommes de moins en moins. Normal avec la sélection naturelle. La faucheuse se sert sur le bord, au centre. Mais, parmi les encore vivants, on trouve les margistes qui résistent. Refusant de rendre les clefs de leur marge. Se battant avec les moyens du cœur, ironisait un pote. Depuis, il a passé la marge à gauche. Que devenons-nous les margistes ? Un certain nombre a lâché la barre et essayer de rentrer dans le rang, avec plus ou moins de succès. Pourquoi faire marche arrière ? Trop de contraintes à cause d’un corps usé. Et le regard de plus en plus lourd sur un être qui a choisi l’à côté. Un choix à ses risques et périls. Certains et certaines, ayant opté pour un mode de vie « plus sûre » , boivent du petit-lait en regardant la cigale aux yeux vidés de ses rêves de jeunesse, accoudée au bord de sa nuit à déchanter. Contrairement à d’autres margistes – sans matelas financier- continuant de s’enchanter. Et de s’émerveiller du temps qui passe. Pourquoi avoir choisi la marge ?
Sans doute pas assez malade. Trop normal pour pouvoir se fondre dans la course folle. Courir de ses premiers pas au dernier. Le margiste commence le plus souvent à contester le modèle vendu par Papa Maman, les autres proches, les profs, les journalistes, les psys, les politiques, etc. Nulle intention de porter un des brassards de la course. Même les plus prestigieux. Juste envie d’aller se voir ailleurs. Ne serait-ce qu’à côté. Petit ou grand à côté. Avec un objectif : surtout ne pas rejoindre la course. Avec ses gagnants et ses perdants. Sans le moindre jugement sur les participants à la course. Si leur désir est d’écraser ou de se faire écraser ça les regarde. Pas celui des margistes. Préférant les rues et ruelles de part et d’autre de la course. Le lieu de tous les improbables. Loin de la maladie officielle. La mieux vendue. Pourquoi courir ou marcher à côté ? Le choix d’ une autre maladie.
Moi, je ne suis pas marginal, mais autodidacte. Il finit toujours par placer la formule dès qu’un silence lui permet d’avoir un plus grand écho. Chaque fois, j’ai un petit sourire en coin quand je t’entends. Frimeur ou refusant de citer ses sources ? Personne n’apprend seul. Que ce soit marcher, manger, se vêtir, se laver, lire, écrire, compter, cuisiner… L'autodidacte est, pour résumer, celui ou celle qui apprend sans prof. C’est vrai qu’il s’est arrêté en cinquième au collège. Plus aucun prof officiel après. Toutefois même hors des cursus classiques scolaires, on peut bénéficier de rencontres : des individus qui transmettent. Certes une transmission sans diplômes à la clef ou formation pour rentrer sur le marché du travail. Après tout, si ça lui plaît de se dire autodidacte et de le revendiquer. Qui suis-je pour le juger ou lui donner des leçons ? Chaque être fait comme il veut et peut avec son CV.
En réalité, la marge n’est pas si réduite que ça. En France, une grosse population qui survit de plus en plus au bord. Se battant pour ne pas basculer dans les marges. Avec les Sdf dans les rues des villages et villes du pays. Partout ailleurs dans le monde, des margistes survivent. Sur place ou partant en exil. Les roms et migrants fuyant la misère et la guerre. Pour se retrouver par millions au bord. De plus en plus sur la planète. Des dizaines ou des centaines de millions de margistes sur la surface du globe. Pour eux, la marge n’est pas un choix. Rêvant même de s’en débarrasser. Revenir vers le centre. Se retrouver dans la normalité. L’exil n’est jamais une croisière. Au contraire. C’est une douleur profonde. Qu’il s’agisse d’un exil hors des frontières. Ou de la bascule plus ou moins rapide d’un individu vers la rue. L’exil de proximité. Dans tous les cas, des marges non choisies. Loin des artistes se « mettant en danger ». Pas les mêmes enjeux. Des margistes qui tentent d’échapper au danger.
Je suis vraiment dans la merde. C’est compliqué en ce moment. Je suis un peu juste… Tu peux me payer mon café. Certains propos d’intermittents du spectacle sont indécents ( encore me faire de nouveaux amis du spectacle). Surtout de la télé et du cinéma. Je ne parle pas de celles et ceux qui galèrent pour boucler leurs fins de mois. J’en connais qui courent pour avoir leurs heures pour finir un jour usé avec une très maigre retraite. Ne pas mettre tout le monde dans le même panier du spectacle. De qui alors est-il question ? Des plus ou moins gros salaires de l’intermittence du spectacle. Et pas uniquement les acteurs et les actrices connus, les producteurs. En grattant un peu, on se rend compte que certains intermittents du spectacle - dans l’ombre - sont devenus quasiment de redoutables agents immobiliers. Investissant beaucoup dans la pierre. Et des actions pas toujours éthiques sur le plan de l’écologie. Leur jeter la pierre ?
Les temps sont durs. Anticiper un futur plus qu’aléatoire. Sans doute que la plupart d’entre nous « margistes nantis et fauchés » ferions les mêmes opérations si nous en avions la possibilité. Quel auteur n’a pas rêvé un jour d’avoir le statut d’intermittent de la plume de… cigale. Certaines cigales bossant comme des folles pour, ce n’est pas un scoop, gagner le plus souvent moins que tous les autres acteurs de la « chaîne du livre ». On le savait en signant. Et personne nous oblige à continuer d’écrire. De plus, on ne peut obliger tous les autres à endosser le rôle de cigale. Où est donc le problème ? C’est la plainte de certains intermittents et agents immobiliers. Pleurnichant sur leur sort envié sans doute par nombre de leurs voisins et des centaines de millions de Terriens et de Terriennes. Voter à gauche, manifester pour les sans-papiers, faire des maraudes entre deux dates… Et in fine se comporter comme le pire capitaliste égoïste. Tout en se la jouant dans son quotidien en marge et fauché. Bien rappeler que ce n’est pas la majorité des intermittents. Pas tous des millionnaires avec plusieurs résidences. Beaucoup d’intermittents sont des galériens du spectacle. Comme la majorité des gens de notre pays qui rament. Et au-delà de nos frontières.
En marche et en marge sont sur un bateau républicain. Qui tombe à l’eau ? La réponse se trouve dans les rues. Combien avez-vous croisé aujourd’hui de paumes en marge tendues ? Combien de fois les avez-vous ignorées ou en guise de pièce un non gêné de la tête ? La réponse se trouve aussi dans les hôpitaux, les écoles, les universités, et nombre de secteurs du secteur public - si applaudis pendant le Covid. Sur le bateau, ne resteront que les plus forts. Celles et ceux en cabine depuis des générations. Dans des espaces plus ou moins luxueux. Une minorité qui sera toujours à l’abri et avec des passeports en cas de grosses difficultés ; les mêmes nous appelant à bien voter et prêts à s’enfuir si l’extrême droite arrive au pouvoir en France. Le monde leur appartient. Des donneurs et donneuses de leçons de civisme. Quasiment sûr qu’ils reviendront faire leur spectacle de grande citoyenneté au prochain second tour de la Présidentielle. La république est en danger, votez bien. Puis ils reprendront le cours de leur histoire. Voyageant avec de bons passeports. Et, partout où ils le souhaitent : des pieds à terre. Une protection mondiale.
Contrairement à la majorité des passagers et ses passagères ramant pour ne pas être jetés par-dessus bord. Prêt à tout - ce qui est compréhensible - pour ne pas rejoindre la foule tombée à l’eau et tentant de flotter et d’atteindre le rivage par ses propres moyens. C’est bien sûr une image ; nous, même les plus fauchés, sommes bien loin de la réalité des migrants bouffés jour après nuit par la mer. Au regard de ce qui se passe sur la surface du globe, nos souffrances peuvent se relativiser. Et même s’apparenter à de la « douleur » de luxe des gâtés de la planète. Ce qui ne rend pas pour autant nos maux négligeables. Néanmoins l’expression « sous l’eau », beaucoup employé notamment dans les milieux culturels, correspond au quotidien de la majorité en France. Et sur la planète. Dont de nombreuses petites mains qui font tourner la machinerie de nos quotidiens. Des permanents du spectacle mondial qui assurent en coulisses. Souvent peu payés et maltraités. En marche ou crève ?
Revenons aux margistes de choix. Continuer ou s’aigrir ? Pas d’autres solutions pour les « vieux margistes » qui ont choisi leur bord du monde. Même si ça devient de plus en plus dur, important et vital de garder cette belle marge de manœuvre d’émerveillement et de naïveté de combat. Sans pour autant faire du hors-sol. Rester funambule connecté avec le réel. Présent à soi et aux autres. Même en étant un vieux funambule sur le fil entre réalité et rêve. Plus de son âge de rêver aussi haut ? Se cassera-t-il la gueule ? Combien de temps pourra-t-il encore tenir sur le fil de l’art ? Une inquiétude pour les proches en voyant de vieux rêveurs poursuivre leur vol parallèle commencé souvent depuis la plus tendre enfance. Préférable à une ou un margiste aux ailes rognés cloué au sol et englué dans sa ratiocination de tout ce qu’il ou elle aurait pu faire si… ? Chacun sa trajectoire. Malgré les vents mauvais, certains continuent sur le fil. Et en plus, ça peut être un beau spectacle. Lever les yeux. Des margistes sont toujours sur le fil. La compagnie des vieux funambules en tournée.
Belles solitudes en suspens.