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« Un homme tue un autre... l'humanité recule. Un homme sauve un autre... l'humanité progresse. L'humanité ferait donc du surplace ?»Primo Levi
L’amour a souvent une fin. Jamais la tendresse. Elle est le lieu de l’apaisement. Là où les conflits s’éteignent peu à peu pour laisser place à un temps dépassionné. Les guerres du monde et celles du couple ont des points en commun. Elles ont souvent aussi une fin. Même si, parfois, des guerres durent cent ans et plus. Dans tous les cas, elles finissent par s’arrêter. Ne serait-ce que par épuisement des humains en guerre. Même le plus grand des guerriers ou des guerrières aspire un jour au repos. Sortir du labyrinthe du sang et des larmes. Parfois la haine continue au-delà de la bagarre. Et, ici ou là, elle peut ressurgir bien longtemps après l’arrêt du conflit. Des haines qui ricochent de génération en génération, quelque fois sans se souvenir du conflit les ayant générées. Certaines fins ne sont que des répits. Mais ça permet de respirer. Tenter à nouveau de vivre. Redevenir imparfait. Une imperfection sans faire de victimes parmi ses semblables. Conscient du passage du temps. Tendre la main. Un geste dans sa solitude. Une main tendue dans quel but ? Saisir l'instant du temps qui continue son chemin. Profiter de son histoire. Le plus et le mieux possible. Profiter de son obsolescence programmée.
En ce moment, le conflit semble être la monnaie d’échange la plus utilisée sur notre planète. Qu’il s’agisse de territoires tels des pays ou des continents. Ou dans des endroits plus réduits comme les espaces publics. À certains endroits, le temps est ponctué par les bombes, les missiles, et rafales d’armes automatiques. Ailleurs, comme ici en zone de démocratie tempérée, les conflits peuvent se régler à coups-de-poing. Le plus fréquemment avec des mots. Des règlements de comptes au bureau, dans le bus, sur un comptoir, dans un studio de télé ou radio, sur une feuille de papier ou un écran, etc. Quoi qu’on en pense, les mots font toujours moins de dégâts que les armes lourdes ou légères. Même si, à court ou à long terme, le verbe peut manipuler. Surtout les cerveaux les plus fragilisés. Et les oreilles à l'écoute de la dernier voix entendue. Le verbe peut pousser à la destruction de l’autre. Le détruire pour quelle raison ? Sans doute plusieurs mêlées. Mais surtout pour une raison principale. L’autre est l’autre.
Récemment, des fascistes (l’étiquette qu’ils revendiquent) manifestaient bras tendus en Italie. En écho, il y a quelques jours, le même genre de manifestation au cœur de Paris. Avec des revendications similaire de part et d’autre de la frontière. Indéniable qu’une «internationale bras levé et mémoire courte » est en cours de renaissance en Europe. Et partout ailleurs dans le monde. Une internationale à laquelle peut tout à fait s’ajouter celle des bas du front de la religion. La minorité d’intégristes islamistes prenant en otage des centaines de millions de fidèles cherchant juste à exercer leur culte le plus tranquillement possible. La planète désormais pourrie par deux minorités très proches l’une de l’autre. Avec notamment la violence comme dénominateur commun. Et un autre élément qui fait agir les bas du front identitaires et ceux de la religion. Quel est-il ? L’appel de la mort.
Vivre n’est pas leur idéal. Ou exclusivement sur le corps détruit de l’autre. Après avoir planté son drapeau sur la chair à abattre. Comme, bien sûr toute proportion gardée ; des hommes préférant survivre sur le cadavre de leur compagne que de la voir libre et sans son geôlier. Les clones bas du front détestent au fond d’eux la vie. Mais aussi la liberté. Leurs actes, violents ou non, témoignent de leur volonté de la détruire. Des ennemis de la liberté individuelle et collective. Ils haïssent aussi la beauté. Une haine de tout ce qui peut être le sel de l’existence. Pour eux, tout le monde ne doit manger qu’un plat unique. Lequel ? Le plat servi sous leur toit. Rien ne doit dépasser du cadre de leur miroir. C’est la solution des intégristes de la religion ou de l’identité pure ; des êtres confits dans des trouilles irrationnelles et endogamiques. Les mêmes fossoyeurs de l’espèce humaine.
Énième radotage. Tout a été dit et redit sur ce sujet. Et beaucoup mieux qu'à travers un billet d'humeur. Pourquoi alors en rajouter une couche ? Sans doute pour essayer de rappeler le danger de la mouche qui pique si souvent l’humanité. La piqûre de la destruction du différent, de la différente, et autre genre. Quelle que soit la différence. Les braves gens n’aiment pas qu’on suive une route différente d'eux… Tout est dit dans cette chanson. Elle pourrait être un hymne planétaire tant elle est raccord dans de nombreux pays, villes, quartiers, villages, de l’autre côté de la haie de son jardin… Adopter le chemin des gens qui ne pensent pas et ne vivent pas comme soi ? Non ; sauf si on souhaite changer de cheminement. Personne n’est obligé de devenir l’autre. Ni de vouloir le détruire ou le réduire à son image. Comme la volonté de ces deux minorités. Soudés par la même haine de la vie.
Aimer l’autre n’est pas une obligation. Ni de le haïr et de vouloir le massacrer. On peut ne pas l’aimer. Avec bien sûr les conflits qui vont avec. Toutefois, il y a un monde ou tout le monde s’aime. Où se trouve-t-il ? Dans certaines fictions et idéaux. Pas sur le plancher des vacheries. La réalité nous prouve que l’amour de l’autre ne s’impose pas. Et tant mieux. Que chaque être puisse choisir d’aimer qui il veut. D’autant plus que l’amour, en plus d’avoir une fin, peut aussi se transformer en haine. Combien de manifestants anti-raciste, contre l’antisémitisme, antisexiste, contre l’homophobie, et d’autre causes légitimes, ont basculé dans la haine des gens qu’ils défendaient. Suffit d’une crise économique, d’un licenciement, d’un attentat, d’un viol, d’un vol, d’une frustration quelconque, ou n’importe quel « accident de son histoire » pour devenir celui qu’on combattait. Que reste-t-il comme espace entre amour et la haine de l’autre ? La tendresse. En fait, ce n’est pas le terme adéquat. La tendresse est élective. Elle s’adresse souvent à des proches. Rien de plus naturel que de choisir les individus pour lesquels nous ressentons de la tendresse. Comment réagir alors face à l’autre différent de soi ?
Le considérer comme un passager éphémère de la planète. Comme soi, ceux avant nous, et les pas encore venus au monde. Le différent de soi voyage avec d’autres bagages et destinations que soi. Le laisser passer. Sans chercher à le juger. Ni à vouloir lui faire changer de bagages et de destination. Et inversement. Lui, elle, un autre genre, se doit d’avoir le même respect de votre trajectoire sur la surface du globe. Un échange de bons procédés entre passagers du même vaisseau vieillissant en orbite. Comment peut se nommer cette attitude ? L’intelligence humaine. Elle requiert des outils que la majorité possède. Le cerveau et le cœur. Si chaque individu les utilisait du mieux possible, notre planète n’irait pas bien. Mais moins mal.
Encore une utopie de fin de billet ? Sans doute. Pendant que j’écris, une femme est violée, un homme est victime de racisme, l’autre d’antisémitisme, une femme victime de féminicide, une agression homophobe dans une rue du monde, un gosse écrasé à l’instant sous une bombe… La liste n’est pas exhaustive. Vous pouvez y rajouter d’autres saloperies ( tous les crimes et les violences sans lien avec la guerre ou une idéologie tueuse ) dont est capable notre espèce très imaginative pour détruire. Sans oublier la mauvaise foi et les manipulations des apprentis-sorciers et sorcières de tout bord. Avec plus ou moins notre consentement. Pas d’innocent ni d’innocentes sous le ciel de chaque siècle. En effet, nous, mortels imparfaits, continueront d’être plus ou moins acteurs ou collaborateurs de notre espèce désespérante. Et si prévisible dans sa récurrence mortifère.
Mais, jusqu’à preuve du contraire, nous n’avons pas d’autre choix que de faire partie de la communauté humaine. On a signé le contrat en sortant du ventre de notre mère. Membres de la même humanité. Alors autant essayer de l’améliorer. Ne serait-ce que pour les nouvelles générations. Et pour nous et notre crédit de temps qui s’amenuise seconde après seconde. Réussir à vivre dans un monde sans amour de l’autre obligatoire. Ni non plus de tendresse à son égard. Juste traverser sa mortalité dans un monde plus apaisé. Comment y parvenir ? Question urgente et permanente depuis des siècles. La réponse c’est je, tu, il, elle,nous, vous, ils, et tous les autres genres. Une grande œuvre. L'ouvrage de chaque solitude passagère.
Et de notre espèce à réenchanter.