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Billet de blog 14 novembre 2024

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Stade deux France ?

Pas la première fois qu’ils se rendront séparément au Stade de France. C’est même toujours comme ça. L’une et l’autre assistent au match dans des tribunes différentes. Notre Stade deux France ? La question qu'elle se pose. Chacun parmi les siens, en supportant la même équipe. Pourquoi sont-ils contraints de s’aimer en cachette? À cause de la pression familiale.

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Illustration 1
© Nicolas De Staël


            Pas la première fois qu’ils se rendront séparément au Stade de France. C’est même toujours comme ça. L’une et l’autre assistent au match dans des tribunes différentes. Notre Stade deux France ?  La question qu'elle se pose. À plusieurs reprises, ils se sont croisés et n’ont pu échanger qu’un sourire complice. Chacun parmi les siens, même en supportant la même équipe. Pourtant, ils sont ensemble depuis quatre années. Même en vivant chacun dans son appartement. Un choix comme de nombreux autres couples ? Pas du tout. Ce n’est pas leur volonté. Au contraire ; leur rêve serait de partager le même toit. Au lieu de devoir prendre des précautions à chaque fois qu’ils se voient. Avec toujours la hantise d’être repérés. On vit comme des espions en plein Paris, ironise-t-elle avec une pointe de colère. Des clandestins de l’amour, rajoute-t-il d’une voix résignée. Pourquoi sont-ils contraints de s’aimer en cachette ? À cause de la pression familiale.

      Deux familles qui ont un point commun. Pour ne pas dire une obsession. Les deux familles  sont « folles de foot ». Une passion dévorante partagée par chaque famille. Leur rencontre autour du ballon rond. C’était au collège. Elle jouait dans l’équipe des garçons et lui des filles. Leur premier baiser dans un autocar. C’était pendant un déplacement avec les couleurs du collège. Match des filles et des garçons à l’extérieur. Tous et toutes soudées contre les équipes de l’autre collège. Son équipe à elle avait gagné. Elle faisait la fête à l’avant de l’autocar. Tandis qu’il était assis seul au fond. Le seul de son équipe aussi abattu ; à cause de son penalty raté. Elle l’avait rejoint. Laisse moi tranquille. Elle avait semblant de ne pas entendre et s'était assise. Réussissant même à lui remonter le moral. Depuis, ils sont inséparables. Se voyant le plus souvent possible. Même en se camouflant. Treize ans depuis le premier baiser.

       Banal flirt d’adolescent. Chacun des deux voulait invitait l’autre chez lui. Sans se douter des dégâts de part et d’autre. Très vite, le conflit a implosé dans chaque famille. Qu’est-ce que tu racontes, ma fille. Tu ne peux pas vivre avec un goy. Et en plus, c’est un musulman. Tu te rends de ce qu’ils nous font partout dans le monde. Ce sont nos ennemis, point barre. Elle avait secoué la tête. Mais pour Brice, toi et Papa vous me dites souvent que ce serait un gendre idéal et que… Sa mère l’avait interrompu. Rien à voir. Ce n’est pas du tout pareil. Pourquoi ? Lui est chrétien. Tu peux vivre avec quelqu’un de n’importe quelle religion. Mais jamais un musulman ou un athée. Toutefois, tu sais que j’en pense, ma fille. Si tu veux vraiment me faire plaisir, prends quelqu’un comme nous. De notre communauté. Il y a plein de beaux et gentils garçons chez nous. Je suis sûr que tu vas trouver chaussure à ton pied. C’est toujours plus facile avec quelqu’un comme nous. Et il faut rester groupés. Surtout en ce moment. Malgré la réponse négative, elle avait défendu sa cause. Avant la gifle monumentale.

           Plus loin, à quelques rues sous le ciel de France. Exactement même débat dans les vestiaires de l’autre famille. C’est impossible. Tu ne peux pas amener une Juive à la maison. C’est non. Tu sais bien qu’ils nous détestent nous les musulmans. Ils nous traitent même d’animaux. Et tu as vu ce qu’ils font à nos frères palestiniens. Des décennies de colonisation et de violence. Mais pourquoi Julie, elle, elle peut venir à la maison. Ce n'est pas pareil, elle est chrétienne. Que les gens de religion juive que je ne veux pas dans notre famille. Et aussi les athées. Pour le reste, tu es libre, mon fils. Marie toi avec une chrétienne, une bouddhiste, une protestante… Comme tu veux. Mais pas de Juive ni une femme qui ne croit pas en Dieu. Lui aussi avait argumenté. Avec la même réponse : une claque. Leurs parents ne se connaissaient pas. Mais ils avaient la même vision du monde. Fermer les portes et rester entre soi. Deux gifles et leur histoire au centre.

      Elle a fait des études de droit. C’est sa première année d’avocate. Lui s’est dirigé vers l’histoire. Il enseigne dans un lycée. Pourquoi tu ne trouves pas un petit copain. C'est triste à ton âge de vivre seule. Nous avons bien dit un petit copain. Ses parents et le reste de la famille la tannent pour qu’elle se mette en couple. Pareille recommandation dans les autres vestiaires. Pourquoi tu ne te trouves pas une femme. Tu serais bien. Pas comme tous ces… Mon fils,  faut jamais que tu deviennes comme ces… Je n'aime pas les voir dans la rue. Ça me dégoûte. La nature a dit, c’est un homme et une femme. Vous nous feriez des petits. Et on serait grands-parents. Trouve-toi une femme, mon fils. C’est déjà fait, se retenait-il de balancer dans le salon familial. Avec la soudaine envie de coller un carton rouge à sa famille. Celle de l’autre équipe. Un carton rouge pour toute la connerie du monde. Combien de milliards d’individus sur la touche ?

            L’un et l’autre continuent de jouer au foot. Chacun va voir l’autre jouer, en cachette dans les tribunes. Parfois à quelques mètres de la famille venue supporter son champion ou sa championne. Avec de temps en temps des lunettes noires et une perruque pour ne pas être reconnu par « l’équipe adverse ». Comme ça qu’ils désignent désormais chaque famille. Dire qu’on aurait pu vivre dans la même équipe s’il n’y avait pas tout ça. Des centaines d’années à se foutre sur la gueule pour un dieu qui en a rien à foutre. Il se mettait en colère. Ne dis pas ça. Dieu est responsable de rien. Trop facile de nous dédouaner nous les humains. Ce qui se passe ici-bas, c’est de notre fait. Il n’avait pas l’air convaincu. Ouais, mais Dieu fait pas grand-chose. La preuve par nous. Elle se blottissait contre lui. On a peu de temps déjà pour nous. Ne leur perdons pas en mots inutiles. Il la serrait fort contre lui. Tu as raison. Tous les deux dans la même équipe.

         Pleurant ensemble le 7 octobre 2023. Avec la même colère et rage contre les assassins. Il avait été à plusieurs manifs avec elle. Mais à bonne distance, comme pour leurs matchs de foot. Un jeune homme très en colère contre certains des siens minimisant le massacre. Mais la majorité de sa famille et de ses proches musulmans était effarés par le massacre. Si j’en chope un, je le tue, avait grogné son père pourtant avare de ses mots. Par textos interposés, elle savait qu’il était à ses côtés sur le pavé, pour dénoncer l’abominable du 7 octobre. Frustrée de ne pas défiler bras dessus, bras dessous. Comme de ne jamais pouvoir se supporter franchement et en hurlant lors de leurs matchs de foot. Ils continuent de pleurer ensemble. Cette fois pour les massacres quotidiens en Palestine et au Liban. Elle va souvent en manif avec lui. Femme et avocate très remontée.

            En colère contre certains des siens. Surtout ceux de sa famille qui  se voilent la face et trouvent normal de détruire toute une population. Bien sûr, elle manifeste aussi à distance. Mais il est heureux de la savoir pas loin. Promets-moi que les morts et la folie de chaque camp ne nous sépareront jamais. Un texto qu’il lui avait envoyé lors d’une manif. Sa réponse à elle en écho : Non. Lui dire ou non ? Il avait hésité avant d’envoyer le message. Si on se sépare, ce sera juste parce qu’on ne s’aime plus. Et j'espère que ce sera jamais pour des questions de religions, de pays, de frontières…. Elle avait froncé les sourcils. D’accord avec toi. Mais si… Si toi et moi, on ne s’aime plus, le monde est mort. Embouteillage d’émoji sur leurs deux mobiles.

          S’y rendre ou non ? Pour elle, la réponse était claire. Hors de question d’aller voir un match, pendant que des gens crèvent sous les bombes. Ses parents n’avaient pas compris. Son frère non plus. Mais ils s’étaient dit qu’elle changerait d’avis. Trop habitée par le foot pour rater un match de l’équipe de France. Moins non plus, je n’ai pas envie d’y aller. Assis peinards à regarder des joueurs courir après un ballon pendant d’autres crèvent sous les balles ou les missiles. je ne pourrais pas me regarder après dans un miroir. J’aime ça vraiment le foot, mais tant pis. Tous les deux mangeaient chez elle. Avant un message sur leurs deux mobiles. Pour une fois que des musulmans ( ceux de notre équipe) et des Juifs vont occuper le même terrain sans s’entre-déchirer. Juste taper dans un ballon. Moi, je vais le mater ce match. Sans bien sûr oublier tout ce qui se passe. Et ce qui s'est passé. En plus, je ne vais me la jouer grand seigneur boycotteur en ayant vu tous les matchs au Qatar. Ne pas mater ce match ne changera rien à l'horreur en cours. Malheureusement, je n'ai  pas réussi comme vous deux à avoir de place pour le stade. Mais je vais me la faire faire pizza canapé. Et que le meilleur gagne ! Le message  d’un de leurs copains les a fait douter. Pour finir par accepter de se rendre au stade. Séparément.

         Retour au stade. Elle et son frère sont encadrés par leurs parents. Comme quand ils étaient gosses. Elle pianote sur son mobile. Je suis arrivée. Le texto transite par un satellite avant d’arrivée dans les tribunes de l’autre côté du stade. Lui aussi est là. Avec toute sa famille. Pour l’occasion le voile-fichu de sa mère est bleu blanc rouge. Pas le cas où c’est France-Algérie. Son voile-fichu n’est pas un étendard. Mais très colorée. Moi aussi, je suis là. Un sourire en recevant ses mots. Elle balaye d’un regard la foule. Super ! Ici, ça commence. Quoi ? Mon père et ma mère s’engueulent. Pourquoi ? Papa est pour la France. Et Maman pour Israël. Il esquisse un sourire. Pareil ici, mais à l’inverse. Elle envoie un visage souriant. Et toi, tu es pour qui ? Que répondre ? Les doigts au-dessus du clavier semblent chercher ses mots. Pour l’équipe de nous deux. Réponse en écho de tous les cœurs et visages souriants de la planète. Coup de sifflet de début de match.

        Qui va gagner ? Peu importe. Le monde a déjà perdu. Des décennies de matchs perdus. Pour ne pas dire des millénaires. À chaque siècle, on peut lui sortir un carton rouge. L’humanité toujours perdante. Avec en plus aujourd’hui, une technologie capable de la faire perdre en accéléré. Et sans jamais la moindre possibilité de match retour. Que font les arbitres internationaux ? Visiblement débordés par le nombre de fautes sur toute la planète. Certains d’entre eux ont carrément déserté le terrain pour regarder ailleurs. Et l’arbitrage vidéo ? Noyé dans un brouillard de fake news et autre manipulation. En plus, le climat n’est pas bon du tout sur le stade planétaire. À terme, le dernier match de notre espèce. Battue à plate couture par l’équipe très brûlante du Soleil. Que faire en attendant la défaite finale ?

          Balle au centre d'un nouveau monde ?

          NB: Une petite fiction qui- encore une fois-  ne changera rien à la réalité. Se taire ou continuer d'écrire sans le moindre effet sur le réel ? Chaque fois, la question. Et toujours la même réponse. Les mots-même vains et naïfs - sont préférables au silence.

               Comme les mots d'un très grands poète. Ni vains, ni naïfs. La preuve est qu'ils continuent de résonner. Longtemps après une rencontre unique. Les mots d'une très grande histoire d'amour. Même impossible.  Tous deux ont vécu cet unique. La preuve par le poème.

Rita et le fusil

Entre Rita et mes yeux, un fusil
Et celui qui connaît Rita se prosterne
Et adresse une prière
à la divinité qui rayonne dans ses yeux de miel
Moi, j’ai embrassé Rita
quand elle était petite
Je me rappelle comment elle se colla contre moi
Et de sa plus belle tresse couvrit mon bras
Et moi, je me rappelle Rita
Ainsi qu’un moineau se rappelle son étang
Ah Rita!
Entre nous, mille oiseaux, mille images
D’innombrables rendez-vous
criblés de balles par un fusil
Le nom de Rita prenait dans ma bouche un goût de fête
Le corps de Rita dans mon sang était célébration de noces
Et deux ans durant, je me suis perdue dans Rita
Et deux ans durant, Rita a dormi sur mon bras
Nous prêtâmes serment
autour du plus beau calice, nous brulâmes
dans le vin de (nos) lèvres
et nous ressuscitâmes.
Ah Rita!
Qu’est-ce qui aurait pu éloigner mes yeux des tiens,
Hormis le sommeil
et les nuages couleur de miel,
avant ce fusil ?
Il était une fois
Ô silence du crépuscule
Au matin, ma lune a émigré, loin
dans ces yeux couleur de miel
Et la ville
a balayé tous les aèdes…et Rita.
Entre Rita et mes yeux, un fusil.

Mahmoud Darwich

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