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« Regarde quelle est ta propre part au désordre dont tu te plains. » Freud
Et un de plus au compteur. Le vieux hausse les épaules. J’en ai vu défiler un paquet de Premiers ministres, ajoute-t-il, mais je préfère écouter les oiseaux. Il lève les yeux vers le ciel. Les oiseaux ne font pas semblant de s'intéresser aux pauvres. Patron, tu nous remets les choses sérieuses.Le barman esquisse un sourire. Puis il prend la télécommande. Pour quitter la chaîne d'infos en continu. Et repasser sur Equidia. Aussitôt, l’attention se lit à nouveau dans les yeux. Même le regard du vieil homme. Préférant les oiseaux et les chevaux à ses contemporains ? Son espoir immédiat et récurrent serait qu’un canasson lui offre en direct une belle « complémentaire du PMU ». Pour aller décemment jusqu’à la fin de sa vie. Avec plus que la misère mensuelle perçue chaque mois ; après avoir commencé à bosser dès l’âge de 14 ans. Dans le bâtiment. Avec une montagne de sacs de ciment sur ses épaules. Et désormais de l'indifférence à la parole publique. Pas le seul à faire plus confiance à la Française des jeux qu'aux politiques. Un ticket à gratter plutôt qu'un bulletin de vote ?
La plupart des politiques ne sont plus que des images désincarnées sur le papier peint contemporain. Comme nombre de journalistes. Et tous les artistes - soudain mus en défenseurs de la République en danger- venant faire des leçons de civisme à celles et ceux (qualifiés de gros beaufs xénophobes, etc.) entre deux élections. Rebelotte aux prochaines présidentielles, le même cinéma, les mêmes unes ? Sans doute. Toujours à demander à faire barrage au « fascisme qui ne doit pas passer, et culpabiliser les abstentionnistes accusés d’être les alliés des « fachos ». La majorité de la population du pays n’ entend plus les porteurs et porteuses de paroles publiques que du bout des oreilles. Sans les écouter. Elle les regarde du bout des yeux. Sans les voir. Comme des figurants du haut du panier. Un défilé de clones.
Dans un spectacle qui intéresse de moins en moins la majorité. Trop préoccupée à survivre. De plus en plus dans l’urgence. Avec souvent une lassitude ponctuée d’un « on nous prend vraiment pour des cons ». De temps en temps, une poussée de colère. Colère jaune ces dernières années. Avec certains dimanches du dégoupillage de «grenades de papier» dans les urnes. Des citoyens et des citoyennes qui ont besoin d’un exutoire au mépris de certains et de certaines. Jubilant de leur foutre la trouille. Une implosion dans l’isoloir pour rappeler leur présence. Une colère aveuglée par le désespoir. Écrasés mais encore réactifs. Le sursaut des à bout de souffle. Avec plus que « tout foutre en l’air » comme ultime dignité ?
Dans tous les cas, plus rien à gagner. Juste essayer de moins perdre. Des citoyens et des citoyennes qui savent que la social-démocratie ne changera pas leur existence. Elle est bénéfique à une certaine population : les petits, moyens, et grands nantis. Les autres sont lucides. La social-démocratie permet surtout de maintenir une minorité au pouvoir. Issus des mêmes pépinières à dirigeants de droite ou de gauche, d’extrême droite et d’extrême gauche, et désormais la « start-up nation ». Elle permet aussi de continuer à vivre plus ou moins bien pour celles et ceux (dont je fais partie) qui ne sont pas en survie. Autrement dit pas pressurisés par les fins de mois dès le premier du mois, le frigo à remplir, le plein de sa bagnole, vivre dans un quartier loin de tous les centres... Certains nous nomment bobos. Dans tous les cas, pas déclassés. Et nantis de la République.
Contrairement à de très nombreux autres. Sans nos us et coutumes ( Radio-France, Arte, L’Obs, Libe, Mediapart, Télérama, le Monde…). Pas non plus notre genre d'humour et vision de la société. Loin de nos existences et notre culture que nous - les qui savent pour les autres- pensons au-dessus du reste. Des questions à se poser sur le seuil de notre bonne conscience ? Le plus souvent, des citoyens et des citoyennes qui se sentent déclassées économiquement et culturellement. Et lucides sur leur situation. Les derniers de cordée dans tous les cas. On ne la leur fait plus. Social-démocratie ou extrême-droite leur apportera la même chose que depuis longtemps : rien de plus. Parmi eux, certains ( de plus en plus) vont basculer dans le brun. Et apporter leur voix au moulin du pire-pour nous qui avons à perdre. Tandis que d’autres vont s’éloigner des urnes. Pour se faire un dimanche de pêche ou d'autres activités. Merci à elles et eux d’être des abstentionnistes. Et de ne pas rajouter du pire sur la tartine républicaine
Tous pourris ! Plusieurs années qu'on entend cette expression cinglante. Après ce coup de fouet, même le silence se tait. Pourtant pas la réalité. Une expression certes percutante mais extrêmement simpliste. Ne pas oublier que le touspouritime ne sert surtout que les vrais pourris. Plus la pensée est raccourcie, plus ils ont un boulevard pour leurs intérêts. Les politiques et les médias ( souvent mis dans le même sac) ne sont pas tous pourris. Certes critiquables mais honnêtes sur le fond. De moins en moins de spécimens de pas pourris ? Je n’ai pas la réponse. Toutefois, le spectacle pathétique (la course des egos dans l’entre-soi) de nombre de nos politiques et journalistes ne me rend guère optimiste. Mais peut-être une erreur de ma part. Et qu’il faudrait débrancher ma machine à désespérer des humains. Suis-je atteint de toupouritiseme ? Je ne crois pas. À moins d’un total déni.
Pas tous pourris et pourries. Et fort heureusement pour nous tous et toutes. Chaque fois que j’entends - écoute ou lis l’un de ces spécimens de « pas pourri », je reprends espoir. Une soudaine bouffée d’oxygène dans l’air contemporain. Toujours ça de pris dans l’atmosphère actuelle très viciée. Un peu d’espoir sous des nappes de brume et de confusion au-dessus de nos têtes. Le seul à apprécier les propos de ces « pas pourris » ? Pas du tout. Nombre d’individus sont friands de toutes les « pépites de démocratie » sur la toile et ailleurs. Loin de la pensée raccourcie et des punchline dont nous nourrissent nombre de personnalités publiques. De la parole nourrissante. Sans appel à la division et la haine. Et sans pollution mentale.
Malgré la prime à la médiocrité de notre époque, certains individus – avec ou sans visibilité – continuent de préférer le fond à la forme. Ne pas se contenter d’un emballage pour attirer le chaland numérique. Même si ça ne rapporte que peu ou pas du tout en termes de pouce bleus et de followers. Des femmes, des hommes, d’autres genres, qui essayent d’élever le débat au-dessus de la ceinture et des insultes. Faire plus confiance à l’intelligence qu’ à nos bas instincts. Avec une haute idée de l’autre pour ne pas le réduire à un être sans cerveau ni cœur. Nous faisant confiance. De quel bord sont ces fêlés misant encore sur l’intelligence humaine ?
Du débat et pas de la débâcle. Autrement dit de tout bord capable de tenir le cap d’échanges, mêmes très conflictuels et parfois mâtinée de mauvaise foi. Les débatteurs et les débatteuses sont aussi imparfaits que celles et ceux les écoutant. Mais quand le niveau monte, on s’élève avec lui. En bref : des débatteurs et des débatteuses qui font du bien au cerveau. Guère un hasard si les uns et les autres envoient leurs liens dits « intéressants » à tout leur carnet d’adresses. Pour ne pas sentir seul à espérer ? Pour propager une « parole non pourrie » ? Semer une pensée qui nous pousse à penser plus loin que nos certitudes ? Instiller une dose de doute et d’esprit critique ? Sans doute plusieurs raisons mêlées. Une parole intéressante (non-binaire, pas les bons et les méchants….) mais qui ne touche qu’une minorité. Autre entre-soi. En tout cas, même sans grand écho ; une parole avec un objectif précis. En six lettres. Touche pas à mes neurones.
Continuer d’écouter encore France Inter le matin ? Je me pose fréquemment la question. Quand la bande d’adulescents atteints d’entresoisme m’agace. Avec leur humour et points de vue sur le monde clonés. Mais j’y retourne toujours. Et force est de constater qu’ils sortent en pleine nuit de leur couette pour venir nous apporter des nouvelles de la planète et de nous. Malgré mes agacements (certains justifiés), je dois reconnaître que ces « êtres d’ondes » m’enrichissent souvent. Et depuis plus d’un demi-siècle. Merci de la part d’oreilles fidèles à cette bande matutinale. Changer en passant sur France Culture ? Pas de très grande différences. Si ce n’est peut-être un peu plus de point-virgule et de respiration sur France Culture. Toutefois, je fais de plus en plus d’infidélités à France Inter. Pour quelle station ? France Musique. Avec une spéciale dédicace pour « La Quatre saisons n’est pas qu’une pizza. ». Mes oreilles applaudissent.
Voter encore une fois ? J’y suis retourné après de longues années d’abstentionnisme. Comme de nombreux autres revenus à cause de l’inquiétude de l’extrême droite au pouvoir. Désormais, nul besoin d’être inquiet. Elle est au pouvoir. Faisant la pluie et le mauvais temps. Inutile donc de voter contre. Puisqu’ au bout du compte, elle est gagnante. Que faire ? S’abstenir ? Voter blanc pour se sentir encore concernés ? À chacune et chacune de faire comme il voudra et pourra. Mais indéniable que nombre de castors vont cesser de s’échiner pour construire des barrages. Surtout pour un salaire et une retraite de misère. Sans oublier tous les autres déclassements des castors républicains. Beaucoup d’entre eux vont se reposer au bord du fleuve électoral. Profiter du temps qui leur reste à lire un poème, boire un verre de rouge, caresser un corps aimé, taper dans un ballon, grimper sur un vélo, peindre… Ou tout simplement regarder l’eau couler. Sans un mot ni un geste. Même si l'eau est polluée d'une couleur brune.
Néanmoins pas tous pourris. Ni tout est foutu. Ici et là, de belles choses. Et pas uniquement des débats où ça débat. Ni que dans les domaines des arts et de la culture. Avec ou sans couleur politique ? Des belles choses sont nées de bras encartés. Tandis que d’autres pas du tout. Des initiatives locales détachées des politiques. Mais pas de la politique. Chaque être, à son petit ou grand niveau, peut apporter sa «belle chose ». Et beaucoup le font. Tous ces « extraits d’humanité » qui fleurent bon sur tout le pays. Et toute la planète. Refusant de se résoudre à des montagnes d'indifférence. Même si c’est plus simple de détourner les yeux. Se contenter de cultiver son jardin. Loin de la folie et de la connerie humaine. Ce qui ne l’empêche pas de la retrouver dans son miroir. Et de la cultiver à distance.
L’histoire de notre humanité est jalonnée d’inhumanité. De toute sorte. Et ça continue de nos jours. Indéniable que notre espèce est fort imaginative pour détruire l’autre et s’autodétruire. Sans oublier la dévastation de la faune et la flore sur notre vieille planète qui crache ses poumons. Toutefois, le meilleur n’ a pas dit son dernier mot. Et il œuvre. Certes avec moins de bruit que les grandes gueules contemporaines. Son œuvre est peu audible et visible. Mais active. Ouvrons plus nos yeux et oreilles.
Pour être à l’affût de l’essentiel. Ce qui nous élève. Du haut de notre humanité, des millions d’années nous contemplent chaque jour. Avec toutes les belles créations de notre espèce. Et il y en plus qu’on ne croit. Mais la beauté a toujours besoin de mains. De toute sorte. Que faire ici-bas pour rajouter sa part éphémère à la beauté ? Essayer d’être à la hauteur. De quoi ?
À la hauteur de son rocher.