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Billet de blog 15 mars 2025

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Déboulonner l’espoir ?

L’espoir est une idole carnassière. Dévorant nombre d’êtres qui croient en elle.Après les avoir baladés par le bout du nez et les promesses d’une vie meilleure.Les plus forts résisteront et ne sombreront pas. Tandis que d’autres glisseront sur la pente du désespoir. Et un désir de vengeance. Car après l’espoir, il y a la descente. Comme avec les drogues dures. Quand on retourne à sa réalité.

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BIJOU LE KID EN PUBLIC © Bachi Bouzouk

« Les grandes villes ne pensent qu'à elles-mêmes
Et entraînent tout dans leur hâte dévorante ;
Elles brisent la vie des bêtes comme du bois mort
Et consument des peuples entiers dans leur tourment.

Et les hommes asservis à une fausse science
s’égarent, ayant perdu le rythme de la vie
et parce qu’ils vont plus vite vers des bruits aussi vains
ils appellent progrès leur traînée de limace.(…) »

Le livre de la pauvreté et de la mort, Rainer Maria Rilke

             « Par exemple, l’enfant croit au Père Noël. L’adulte non. L’adulte ne croit pas au Père Noël. Il vote.» 
Pierre Desproges

               L’espoir est une idole carnassière. Dévorant nombre d’êtres qui croient en elle. Après les avoir baladés par le bout du nez et les promesses d’une vie meilleure. Certains et certaines y ont vraiment cru. Voire jusqu’à donner un coup de main à leur idole. Avant de se rendre compte qu’ils ont été bernés. Les plus forts résisteront et ne sombreront pas. En se jurant de ne plus se faire avoir. En colère et déçus, mais sans haine. Tandis que d’autres glisseront sur la pente du désespoir. Avec une déception se transformant en une forme de haine. Et un désir de vengeance. Parfois difficile de ne pas emprunter ce chemin. Car après l’espoir, il y a la descente. Comme avec les drogues dures. Quand on retourne à sa réalité.

           Assez confortable et protectrice pour certaines et certains ex-espérant. Ils et elles finiront par se sevrer de leur accoutumance à l'espoir et rejoindre un sillon pré-tracé. Retrouver les chaussons d’une existence plus ou moins de nanti. Avec le choix de sa ou ses paires de chaussures. Pour continuer de progresser. Leurs luttes pour changer le monde dans le rétro. Sans avoir rien perdu. Au contraire : engranger de bons souvenirs de manifs et autres actions dans la liesse collective. Tandis que la majorité des ex-espérant, sans protection ni confort, s’écraseront dans leur réel. Souvent en quartier populaire avec vue sur le chaos en cours. Aux premières loges des divisions organisées entre pauvres selon entre autres leur couleur de peau et religion. Puis très vite, ces ex-espérant du bas de l'échelle vont suivre le sillon pré-tracé. Avec une seule paire de chaussures. Et aux semelles plombées.

        Une exhortation à ne plus espérer ? Pas du tout mon objectif. Ou peut-être inconsciemment. De toute façon, c'est tout simplement impossible. Qui que nous soyons, nous avons besoin d’espérer. C'est quasiment d'ordre corporel. Guère un hasard si on dit que l’espoir fait vivre. Impossible donc de ne pas espérer. À moins de mourir. Même le pire des misanthropes, a des réserves d'espoir caché sous sa poitrine ; désespéré des hommes mais pas de l’humanité ?  L’espoir a élue domicile entre deux souffles. Reliant l’inspiration et l’expiration. Le vrai désespoir ne respire pas. Et l’espoir habite chaque vivant. Quel est alors le sens de ce billet ?

        Un texte né après l’écoute de cet entretien avec Lola Lafon. Je ne la connaissais pas. Très belle découverte. Une autrice intéressante, sensible, avec du doute (denrée rare) à chaque coin de phrase. Sa parole tour à tour solide et fragile donne envie de lire ses bouquins. Mais soudain, un sentiment de malaise. Quand elle évoque la gauche inscrivant sa progéniture dans les écoles privées. Ou dans des établissements publics en ville ou quartier huppé. Elle cible un des plus importants problèmes actuels. Depuis de très nombreuses années. Pas la même école de la République pour tous les gosses de ce pays. Le début d’une forme de hiérarchisation ?

      Culpabiliser les gens de gauche mettant leurs gosses dans des écoles privées ? Ce n'est mon intention. Et la culpabilisation est toujours contre productive. De plus, chaque parent libre de faire comme il veut ou peut avec ses enfants. Qui sait, si dans certaines situations, je n'aurais pas mis mes fils dans ce genre d’école. Celles qui, peut-être, ouvrent le plus de champ des possibles. Tandis que d’autres écoles – sans mixité, avec quasiment que des visages de la même couleur et religion – poussent au recroquevillement. Une jeunesse de France vivant dans des quartiers avec souvent le cumul : obscurantismes religieux et identitaires se partageant la part du ghetto. Même trio de mots républicains sur tous les établissements scolaires du pays. Mais pas les mêmes chances. École des possibles ou des impossibles ?

         Balayer devant ses contradictions ne changera rien à l’état des seuils sans horizon. Comme de penser contre soi-même. Tout ça c’est notre petite panoplie pour pouvoir continuer de profiter - comme tous les autres consommateurs - d’ un système que nous critiquons à temps complet à 16 ans, à mi-temps à 30 ans, à quart de temps à 50 ans … Avec de moins en moins de frottements d'idées politiques au profit de débats sur la bouffe et le pinard (j’en parle en connaissance de cause.). Pour un jour se rappeler que nous sommes mortels.Et que le temps ne lâche jamais sa proie. Que faire ? 

        Beaucoup essayent d’éloigner le plus possible l’échéance de la fin : yoga, méditation, marche scandinave. Rien de plus naturel que de s’occuper de soi à plein temps en vieillissant. Comme le grand Henry dans son virage à 80. Cela dit, s’occuper de soi n’empêche pas de se préoccuper de l’autre. Mais revenons à nos bonnes consciences. Après tout, pourquoi pas les revendiquer. Même si c’est peut-être une forme de roublardise pour devenir incritiquable. Préférable que de ne pas avoir de conscience du tout ?

        Une révolution mondiale est en marche, selon l’autrice. Ça lui donne du baume au cœur, le poing levé dans son regard enthousiaste. En écho, le cofondateur de Mediapart abonde dans son sens. Tous deux ont tout à fait raison. Que ça plaise ou fait enrager, une vague inédite et sans frontières est en train de secouer le vieux monde. Des changements de grande envergure notamment pour la femme : la plus ancienne damnée de la terre. Un chantier qui bénéficiera aussi aux hommes et autres genres. L’humanité dans son ensemble ne va pas cracher sur de nouveaux progrès. Toutefois, un petit bémol. Peut-être une erreur de ma part mais je ne crois pas que les pauvres en bénéficieront. Notamment les gosses qui n’iront pas dans les écoles privées ou de quartiers huppés ou bobo. Le changement ne sera pas pour eux. « Je veux bien mourir pour le peuple, mais je ne veux pas vivre avec.». Cette citation de Mauriac est toujours d’actualité. 

         De quels pauvres s’agit-il ? Pas les intermittents du spectacle (certains réellement paupérisés) ou les qualifiés de producteurs de contenus invités en boucle sur tous les sujets. Ni les prolettrés de mon genre nanti entre autres d'un blog. Mais des pauvres ( une population très nombreuse) ne lisant pas Mediapart et très rarement invités sur ses plateaux pour venir débattre. Pas non plus des lecteurs et lectrices du Monde, de Libé, de Télérama, de l'Obs, ni auditeurs et auditrices de France Culture et France Inter, etc. Et très rarement invités à ma table de bobo. Une population qui est nettement  plus friande de CNews, BFM et autre médias du même tonneau cathodique. Regardant des télés auxquelles ils peuvent s’identifier ; souvent en plateau des invités qui leur ressemblent. Comme si le plateau de CNews était une rallonge de leur table de salon. Bien sûr que-comme dirait l’autre- c'est de la manipulation de cerveaux disponibles. Des animateurs et producteurs ne se souciant des soucis des pauvres que parce que ça leur rapporte en audimat. Et comme Mauriac, ils ne dîneraient pas à la table de « leurs pauvres ». Guère un scoop. Néanmoins indéniable que leur « captation » de l’attention des pauvres est efficace.

      Imaginons une erreur d’aiguillage. Peu probable, mais l’imaginaire dispose de très grands pouvoirs pour détourner la réalité. Comme d’aiguiller une spectateur ou une spectatrice fidèle de CNews vers l’émission que je viens de voir (avec un grand plaisir et une invite à gamberger). Quelle serait leur réaction ? Sûrement à se dire : encore des bobos hors-sol à parler de leur petite cuisine sociétale. À moins que je me plante complètement sur leur réaction. Peut-être qu’un grand intérêt et curiosité peuvent naître de cette erreur d’aiguillage. Les pauvres comme les riches et les bobos ne sont pas une masse indistincte. Que des histoires uniques. Aucun humain n’est réductible au milieu dans lequel il évolue. Et tant mieux. Néanmoins, quelque chose me dit que, hors exception notoire, le spectateur ou la spectatrice de CNews égarée n’aurait pas accroché. Même pays que les abonnés de Mediapart. Et à des années-lumière. 

      Sans doute me faire de nouveaux amis ou en perdre. Mais trop tard. De l’endroit où l’on s’exprime, vendre de l’espoir aux pauvres me semble être une forme d’escroquerie. Ou peut-être une grande naïveté de notre part. Ce qui n’empêche pas la sincérité et le désir d’œuvrer pour un monde moins pourri pour tout le monde. Avec toujours une constante : on projette et on s’applaudit entre nous – abonnés aux mêmes genres de convictions. Mais les pauvres savent très bien que nos mots de l’entre nous, même les plus beaux et puissants, n’influeront pas sur leur réalité quotidienne. Des promesses ; ils en ont avalé et continuent d’en avaler. Toutefois avec un changement. Les pauvres ont décidé de changer de fournisseurs de promesses.

       Désormais, leurs oreilles populaires sont tendues vers l’extrême-droite. La seule à les entendre (pas écouter) et faire l'effort d'aller leur parler ? Non. D’autres sont aussi souvent sur le terrain. Mais l'extrême droite est sans doute la mieux accueillie par les ex-espérant. Surtout par les « petits blancs » des classes populaires invisibilisés par les médias dits de gauche. Avec l’impression d’un profond mépris à leur endroit. Plusieurs copains et copines - ancien coco, anar - vivant en quartier populaire ont basculé RN. Leur faire la leçon ? Mal placé en habitant un village de bord de rivière. Parfois vaut mieux savoir la fermer. De plus, ils sont conscients que l’attention de l’extrême-droite est un leurre. Des oreilles uniquement électoralistes.

       Juste le temps des urnes. Au pouvoir, elle exploitera les pauvres encore pire que leurs anciens fournisseurs de promesses. N'hésitant pas à les délester de tous les acquis de 36 et du Conseil de la Résistance.  Extrême mais côté portefeuille et dividendes. Les pauvres qui votent pour eux le savent aussi. Pourquoi alors se la jouer kamikaze de la République ? Pour se venger contre celles et ceux les ayant fait beaucoup espérer avant de les larguer comme de vieilles chaussettes électorales. Un héritage de lucidité transmis de génération en génération. Depuis à minima un demi-siècle. Dégoupillage populaire qui a de profondes racines.

     Fort heureusement, tous les pauvres ne basculent pas dans les bras de l’ extrême-droite. Mais leur nombre se raréfie élection après élection. Quelle solution pour celles et ceux qui continuent de résister à la tentation ? Une question à se poser pour ne pas les laisser basculer. Rester pauvre ou accepter la course à la hiérarchisation ? Les plus brillants d’entre eux pourront monter dans l’ascenseur. Pour essayer d’aller le plus haut possible. Et devenir un ou une dominante parmi les autres. Que ce projet d’ascension à leur proposer ? Pas d’autres rêves d’élévation à proposer à la jeunesse de milieu populaire ?  Une poignée d’exceptions parviendra en haut de l’échelle. Tandis que les autres resteront au rez-de-chaussée, sur leur parcelle familiale. Sans que rien ne change pour eux. Et l'avenir de leur quartier.

         Ne pas désespérer celles et ceux qui espèrent encore ? Sûr que ce serait préférable à mon constat pessimiste. Et sans proposition. Toutefois indéniable qu'à chaque descente d’espoir, l’extrême droite et ses clones obscurantistes religieux applaudissent et engrangent sur le terreau du désespoir. Depuis 1981 et le pic de l’espoir des «  prolos », le toboggan des désillusions populaires nous a mené vers un FN-RN trois fois au second tour des présidentielles. Aujourd’hui, ce parti fondé entre autres par des adeptes d’un certain salut - revenu en vogue - fait la pluie et le beau temps de la République. Bientôt à toutes les commandes du pays ? Beaucoup pensent que c’est plié. D’autres espèrent encore. Ce pays mérite mieux quand même mieux.

      Que faire alors pour renverser  la vapeur sombre contemporaine ? Une question que beaucoup se pose. Sans doute pas une solution demain la veille. D’autant plus que chaque regard est penché sur son sillon individuel tracé sur le smartphone. Combien de nouveaux followers sur mon compte Insta ? Mon billet contre les internautes restés sur twitter a-t-il eu des pouces levés et des commentaires sur Mastodont ? Des échos numériques sur mon dernier spectacle contre la marchandisation de nos corps ? Nos index fébriles surfant sur un monde verticalisé. Avec les uns et les autres dans cette course verticale. Rares celles et ceux qui échappent à cette tendance. La majorité d'entre nous prise dans une espèce de vertige ascensionnel. Bardés de thermomètres numériques de notre présence passagère. Collaborateurs plus ou moins actifs de la machine à toujours plus. Le nez rivés à nos petites ou grosses crottes sur la toile. Regardez comme elles sont belles, Papa Maman... Promenés par notre nouvelle laisse sans fil.

       Comment conclure sur une note d’espoir que cette révolution en cours soit bénéfique pour tout le monde ? Nous appartenons à l’époque. Et inversement. Huit milliards de copropriétaires de notre époque. À chacune et chacun de foutre ses mains dans le cambouis contemporain. Avec ses petits ou grands moyens. Son outillage plus ou moins perfectionné. Tout commence là : entre nos mains. Sans oublier le cœur et le cerveau. Finalement on est pas mal outillés. Pour mettre la main à la pâte de notre siècle.h. Sans désespérer l'espoir. Ni celles et ceux qui le construisent au quotidien.

        Pour déboulonner le désespoir.

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