Que dire ? Les mots ont un arrière-dégoût de déjà écrits, déjà gueulés, déjà chuchotés, déjà… Putain de connerie humaine ! Rage et colère reprennent du service. Elles feront du bien ; un instant. Mais sans aucun effet sur la réalité. L'horreur se répète, en France et ailleurs. Notre impuissance aussi. Que faire face à ces fous furieux ? A notre petit niveau, malheureusement pas grand-chose. Certains martèleront une énième fois leur cri de ralliement: «Même pas peur !». Tandis que d'autres s'afficheront en «Je suis Nice». Comme un gimmick mortifère. Marre de tous ces mots et postures inutiles. Que proposer de réellement constructif ? Une question qui se pose après chaque massacre, comme celui de Nice. Le silence est-il la meilleure solution ?
Se taire c'est abdiquer. Vaut mieux se tromper, dire peut-être n'importe quoi, gueuler sa haine, que de se murer dans le silence. Continuer de parler à ce pays, pour qu'il ne sombre pas dans le coma. Besoin de nos mots et nos regards pour continuer de respirer. Chaque attaque atteint tout le corps social. Quelques-uns en profiteront pour planter, dans cette chair blessée, leur banderilles aux couleurs de 2017. Charognes n'hésitant pas à planter leur crocs dans une victime aux 65 millions de regards. Les yeux inquiets de toute une population. Certains croient en Dieu, d'autres sont athées ou agnostiques. Mais tous à espérer que cesse l'enfer de ce siècle naissant.
Pas d'amalgame. Cette formule entendue une nouvelle fois ce matin à la radio. Un réflexe normal, surtout en ces moments de recherche de bouc émissaire de proximité. Tandis que d'autres vont demander aux musulmans de se dédouaner du tueur de Nice. Mais aucun besoin des autres; on s'amalgame tout seul quand on a la même gueule que cet ordure de chauffeur de camion sanglant. D'un seul coup, vous êtes un peu lui. Comme nombre de gens s'appelant Mohamed ou Malika, à chaque horreur commis par un assassin porteur d'un nom à consonance… Comment dire ? Quel adjectif employer pour être le plus précis possible ? Soyons simple: un nom à consonance arabe. Même si tous les arabes ne sont pas musulmans. Et même athées pour nombre d'entre nous.
Parfois envie de se prénommer Pierre, Paul, Jacques, Marie… Changer de tête. Ça doit être reposant de ne plus ressembler aux salauds les plus médiatisés de notre époque. Cesser de croiser le regard de l'ennemi (e) numéro -1- de la planète, à chaque fois que tu te rases ou te maquilles. Avoir une gueule de madame et monsieur tout le monde. Être un(e) citoyen-ne lambda.
Bien sûr, les «amalgamés» sont de très loin moins à plaindre que les victimes de cette horreur à Nice. Une tuerie à gerber, inexcusable. Pas les «amalgamés» qui ont été touchés dans leur chair. Un massacre contre une population venue admirer un feu d'artifice. Tous massacrés par un tueur d'étoiles éphémères dans le regard de gosses et d'adultes. La souffrance des victimes est incomparable avec celle de ceux qui seront pointés du doigts. Pas le même poids sur la balance de la douleur. Un regard suspicieux, une vanne, ne sont pas à mettre sur le même niveau qu'une balle. La suspicion ne tue pas directement. Contrairement aux armes à feu et à ce camion carnage.
Une immense tristesse. La majorité de la population ressent la même chose. A peine sorti de l'horreur, on y replonge. Seul et avec des millions d'êtres. Tous touchés. Complètement brisés, cœur et cerveau en miettes. Aucun GPS pour indiquer la bonne direction. Difficile de ne pas déraisonner face à une telle folie humaine. D'abord haïr ce tueur de la promenade des Anglais. Aucune excuse pour lui: coupable et responsable du massacre. L'émotion finira par retomber. Relayée par des questions en boucle.
Pourquoi cette ignoble tuerie ? Qui est à l'origine de ces terrorisme islamiste ? Que fait Dieu, soi-disant si puissant ? Certains, anonymes ou pas, auront réponse à tout, yaka fokon. Les politiques, les journalistes, les experts, les blogueurs, etc, alimenteront la machine médiatique. Pour le meilleur et le pire. Toujours le risque de dire des conneries en commentant un événement à chaud. D'aucuns seront plongés dans le doute, incapables de réfléchir. Quelques-uns préféreront opter pour un silence total, le recueillement. Aucun jugement à porter sur telle ou telle manière de réagir à l'insupportable. Chacun réagit comme il peut, face aux si nombreuses douleurs du monde. Mais tous plus ou moins paumés. Contrairement aux tueurs d'humanité.
Eux sont sûr d'eux. Comme d'autres tueurs de masse, à une période sombre de l'histoire de France et de l'Europe. Bien sûr, toutes proportions gardées. Autre temps, autres morts. Cependant il y a des similitudes entre les tueurs de masse nazis, staliniens, tortureurs des colonies, rwandais, islamistes… Tous avec un seul objectif: tuer ou torturer l'autre. Ne pouvoir se sentir vivant qu' avec une cible permanente à détruire. Des professionnels de l'horreur. Juste besoin de trouver Dieu, ou n'importe quel autre prétexte, pour justifier leur tuerie. La mort est leur raison de vivre. Rien ne les fait plus vibrer. À part jouir avec le sang des autres.
Qui sont ces autres ? Nous, vous, toi, parfois leurs proches à abattre ; tous devenus juste des quotas à atteindre. Dans leur regard vide, habité que par le néant, nous ne sommes plus que des chiffres dans leur roulette morbide. Tuer le plus possible pour exploser les scores précédents. Comme sur la play-station dont ils ont sans doute été gavées. Un jeu sanguinaire d' individus isolés ? Sans doute pour certains, juste lobotomisés à distance par des voix invisibles. D'autres, comme on a eu l'occasion de le voir à plusieurs reprises, opèrent en réseau. Super organisés. Des mercenaires d'une religion qu'ils assassinent à chacune de leurs tueries. La folie ordinaire et humaine, sur fond de début de siècle très peu éclairé. Avec une lumière vacillante.
Toutefois difficile de croire que personne ne gère ce gigantesque casino de la barbarie. Un casino mobile apportant haine et désolation partout où il s'installe. Qui sont ces gestionnaires? Une co-gérance internationale? Illuminatis pour certains, magouilles géostratégiques et pétro-dollar pour d'autres. En tout cas, indéniablement des enjeux qui dépassent notre existence de simple pékin. Tous coincés sur ce Monopoly de la haine planétaire.
En attendant, il va falloir se lever chaque matin. Ne pas lâcher ce fil invisible qui nous aide à tenir debout, penser, rêver, aller aussi vers les autres. Avancer, ne pas cesser d'avancer. Chacun avec ses moyens, l'existence dont il dispose. Même avec la trouille au ventre. Une trouille légitime. Aucune honte à avoir peur. Essayer juste de la dépasser, pour être plus fort que ce connard au camion venu faucher la joie de vivre. Lui cracher à la gueule à chacun de nos plaisirs, rire toujours plus fort que sa barbarie. La barbarie de tous ces fanatiques et de ceux qui, dans l'ombre, les télécommandent. Un doigt d'honneur à la connerie humaine. Même pas tout perdu.
Vivre malgré tous ses morts et ses blessés au fil des infos. Pour paraphraser Jacques Prévert, soyons vivant, ne serait-ce que pour donner l'exemple. Même si ce ne sont que des mots pour celles et ceux qui, depuis la nuit dernière, sont victimes dans leur chair ou celle d'un(e) proche. Dans une vraie urgence, pas celle des spectateurs impuissants de leur drame. Des victimes détruites et inconsolables. Pourtant, malgré les difficultés, rester côté vie semble être la meilleure réponse. Pas la seule évidemment. Mais une des armes de combat contre les obscurantistes. Pour alimenter la lumière du siècle.
Se remettre sur le métier de vivre.