Flic athée et anti-cons. De plus en plus difficile à vivre au quotidien. Être athée semble être devenu une très grave maladie de nos jours. Bientôt un vaccin obligatoire anti-athéisme ? Et pas uniquement chez les musulmans. Des collègues, cathos non pratiquants, certains ex athées ou agnostiques, ont ressorti leur croix sommeillant au fond d'un tiroir de l'enfance. Comme soumis à la nouvelle injonction de ce siècle de retour des croyances. Choisis ton Dieu camarade. Revenir à la base du dimanche papa-maman-papi-mamie et le Petit Jésus de l'église du village. Un réflexe de protection face à certains jeunes cons nourris à la télé-réalité et l'islam de contrefaçon ? Tous, d'un côté ou de l'autre, paumés dans un labyrinthe de raccourcis. Et moi le premier à nourrir mon cerveau reptilien. Avec l'impression de m'enfermer. Un animal broyant du noir dans une cellule invisible.
Et en plus coincé entre d’un côté les bas du front voulant éradiquer tous les jeunes musulmans. Sans penser plus loin que le bout de leur calibre ou clavier. Indéniable que des bandes de jeunes décérébrés - hommes-sandwich pour Lacoste etc- et les intégristes veulent occuper le territoire. Mais, même en étant nombreux sur certains quartiers, ils restent toujours en minorité. Entre autre pour ça que nous sommes payés. Empêcher la connerie humaine de devenir la majorité. Et de l’autre côté les quelques collègues musulmans qui ne veulent pas serrer la main d’une femme. Ou ceux qui font la pression pour empêcher qu’il y ait du porc à notre barbecue annuel. Un super moment avec rigolade et foot en plus. Finie la convivialité. Bonjour la tension. À cause d’une poignée de collègues, mettant d'abord la religion avant Marianne, qui invitent Dieu à foutre son nez même sur le barbecue de l’amitié. Ma radio préférée en parle en direct ce matin. Les nouvelles vont vite comme dirait l’autre. La fin de notre barbeque ? Je n'y crois pas. Mais mal barrée tout ça. Rester ou tout plaquer ?
Mon crâne chauffe souvent le matin avant une opération. La machine à gamberge à fond dans le silence de l’attente. Un silence le cul entre les images du sommeil et la réalité d’une journée à attaquer. Que pensent mes deux collègues assis dans la bagnole ? Tous les deux plongés dans leur I-Phone et trajectoires personnelles. Comme moi dans ma putain d’interrogation. 18 ans que je travaille dans ce département. Même âge que notre siècle. Faut peut-être que j’aille voir ailleurs si la beu est plus verte. « Ici voiture 3.». Range ta boîte à questions mec, le film va commencer. Fausse alerte. Juste une vérification de toutes les positions. On attend le top départ pour taper un dealer de la cité. « Le parachute doré de l’ex PDG de Lafarge rattrapé par l’affaire syrienne.». L’info en direct avant de serrer un vendeur de came. Pas la première fois que j’entends à la radio des trucs sur les évasions fiscales, le détournement de fonds publics, une mise en examen, etc, alors que suis en attente d’intervention. Selon que vous serez puissant ou misérable… La fable de la Fontaine vécue en direct quasi chaque jour. «Le plus important de ces petites histoires ce n’est pas l’histoire. Mais surtout de retenir la morale. La morale.». Ce que nous rabâchait un de mes instits. Je me souviens très bien de cette fable. Elle m'a marqué. D’abord parce que c'était ma meilleure note en récitation. Mais je n’ai plus le moral.
Le monde qui va mal ? Le 93 encore plus que le monde ? Moi qui commence à paumer les clefs de mon cerveau ? Sans doute un cocktail de réalité et de projections liées à l’usure. Quand tout ce merdier a commencé ? Qui est responsable? Quand il y a plus de questions que de réponses ça sent la fin. Pourquoi ? Des décennies de pourquoi. Les questions sur un territoire aussi fragile que le 93 ne servent que les pires. Eux ont des réponses toutes faites. Vote pour moi et ça redeviendra le paradis perdu de l’accordéon et du vin blanc sous la tonnelle. Ou crois en moi et tu auras tout ce que veux de l’autre côté, une vie de rêves dans l’au-delà. Facile de semer la haine et l’obscurité sur un des terreaux urbains les plus pauvres de France. Mais je l’aime bien ce putain de terreau et ses habitants. On se côtoie depuis si longtemps. Une sorte de principauté populaire. Avec des zones de non droit différentes de celles des zones résidentielles ou paradis fiscaux. Délinquants d’en haut et d’en bas se croisent rarement en berline de luxe. Pas les mêmes cantines.
Plein de belles choses qui poussent dans ce micro-pays au bord de Paname. Mais les journalistes préfèrent l’éclosion des bagnoles en flammes. Caméra épaule et jetés de plus en plus par les gens des cités populaires partout en France. Marre de ces rapaces venant filmer que quand une merde vient de pousser. Tout bénéf de repartir avec un caillassage de pompiers, une médiathèque cramée, des bastons avec un mort comme ce gosse de 12 piges… L’enfance de ceux nés au mauvais endroit et en période très pourrie au bas de l’échelle. Une merde certes réelle. Mais le boulot de journaliste ce n’est pas uniquement de fouiller la merde. Possibilité aussi de décaler parfois l’œil de la caméra pour voir tout le reste. Le hors champ du buzz. La Seine-Saint-Denis: un sujet vendeur depuis un demi-siècle ?
« Cher collègues, j'ai l’impression que Dieu et Marianne sont de plus en plus en concurrence sur le pont du 93. Un navire en permanence dans les remous avec plus de 1 500 000 passagers. C'est à nous entre autre de faire en sorte qu'il ne devienne pas le Titanic de la République. Tous sur le même bateau. Un bateau à mener à bon port. Je vous renouvelle toute ma confiance. Trêve de paroles. Chacun à son poste.». Une des interventions du boss après une sale nuit. Première fois qu'il parle sans langue de bois apprise à l'école. Sûrement le prénom de sa maîtresse, avait vanné un collègue. J’ai alors la même maîtresse que le boss. Lui est inusable. Un mec droit dans ses bottes de commissaire. Il ne lâchera pas l’affaire. Même si son côté vieille France, rasé de près, un balai dans le cul de son costard sans plis, est très agaçant. Il ne nous laisse rien passer. Pire que les «bœufs carottes». Toujours calme. Sauf récemment en pétard contre un journaliste qui avait balancé une info et fait rater une affaire. « La presse c’est aussi important que nous et d'autres corps de métiers de notre pays. Pas que des pourris chez les flics. Pareil pour les gens de la presse. On n’empêche pas un journaliste d'exercer son métier. ». Malgré cette affaire foirée, il continue de les défendre la presse. Même si lui, comme beaucoup d’entre nous chez les flics, commence à de moins en moins pouvoir supporter les voyeurs professionnels. L’impression qu’ils servent juste à prendre la température au moment des fièvres urbaines. Presque à vouloir les mettre dans le même sac que les politiques qui ont semé des champs de pourquoi depuis plus d'une quarantaine d’années. Les questions n’ont jamais changé le monde. Ni les quartiers dits sensibles. Pour ne pas dire sans réponses.
Un catalogue de clichés ? Peut-être que je commence à emprunter que les raccourcis. Parler comme les bas du front ou ceux qui ne connaissent le chantier que sur plans ou en débarquant de temps en temps sur le terrain. Surtout pour s’en servir après comme plan com au JT. Voilà que je suis passé du côté de ceux qui désigne d’abord la merde puis, comme pour équilibrer un peu, éviter le cliché, montre brièvement le train qui vient de partir à l’heure. Trop tard pour le filmer. Leurre ou pas à l’heure ? Populiste ou complotiste ? Au fond je m’en fous maintenant de tous les étiquettes en iste et phobe qu’on colle plus vite que son ombre sur le front des autres. Plus mon affaire de me justifier. Je veux juste changer de quai et de destination. Mon mail de déme est prêt. Poser la carte et le calibre sur la table du big boss. C’est comme ça dans les séries. Loin dans la réalité d’un flic de base. Des kms de paperasse administrative en guise de scénar. Le parcours du combattant perdu à sa cause. Car j’ai vraiment cru que je pouvais le colmater ce tonneau des Danaïdes du 93. Réussir avec d’autres à jouer sur ma gratte la mélodie « Liberté Égalité Fraternité.». On est un paquet de flics à l’avoir chantée sous la poitrine et à tue tête. Nombreux heureusement à continuer de croire en cette douce chanson que nous chantait Marianne. Pouvoir me remettre à temps complet à la gratte. Passer des heures à me battre avec des cordes. Comme je l’ai fait durant des années contre des moulins à vent. Perdre. Ne perds vraiment que celui qui ne le sait pas. Au moins gagnant en lucidité. Ça ne sert à rien mais donne l’impression de ne pas être trop con. Partir avant de devenir un pourri. Ou un bas du front qui n’arrive plus à faire le tri dans la connerie humaine. Même si le délit de facilité se comprend par les temps qui court. Un temps de confusion même sous les têtes bien remplies. Me tirer pour conserver encore le 06 de mon miroir. Ni dieu, ni pourri.
Mais j’ai ce département encore dans la peau. J’y vis et j’y bosse. Mais l’usure a gagné des points. Mon sac est prêt. Un sac sans gosses ni femmes. Eux ont déjà fait leurs bagages. Laissant l’utopiste croire encore à la République. Un mec qui a mouillé la chemise pour Marianne. Mais qui court moins vite que la connerie au pluriel et de toutes les couleurs. Fin de la course. La radio qui grésille me sort de mes pensées en boucle. Annonce du top départ. Une porte va exploser encore dans la cité. Bientôt les cris habituels d’une mère, celui des gosses… Une seule prise suffit. Nul besoin de la rejouer. L’avantage de tourner avec des non professionnels très obéissants au déterminisme ou à leur hiérarchie. Parfaits pour les tournages. Tous connaissant par cœur leurs dialogues et silences je balancerai pas. Acteurs récurrents d’une série avec des saisons de plus en plus sombres. Noirceur réelle ou amplifiée avec mes loupes de flic usé jusqu’à l’os républicain? Plus de temps pour penser. Onzième étage, droite. Petite frappe sans parachute doré pour traverser la frontière ni se payer un bon baveux cathodique. Action. Tous les acteurs opérationnels sur le tournage. Même les figurants aux fenêtres. De part et d’autre des professionnels d’une société qui raconte toujours la même histoire. De génération en génération. L’histoire d’un monde qui ira mieux au prochain épisode. Des scénaristes, formés dans les meilleurs écoles, planchent dessus. Mais faut être réaliste chers citoyennes et citoyens, c'est un épisode fort difficile à réaliser avec les budgets en baisse, la mondialisation...La production vous remercie en tout cas de votre patience et cerveau disponible pour nos annonceurs. En attendant cet épisode des jours heureux le moteur tourne. Et nous aussi. Continuer d’y croire même en tournant pas rond comme moi ? Encore une putain de question.
Mon mail de déme est dans le dossier brouillon.
NB : Cette fiction est inspirée à chaud de l’interview matinal de deux journalistes sur France Inter. Ils sont venus parler du livre qu'ils ont dirigé sur la Seine-Saint-Denis. Rien de nouveau sous le ciel du 93. Un ciel dont semblent friands les rédactions des radios et télés. La preuve en images déjà en 1964 sur la vidéo de l'INA. Un livre, sans doute très intéressant, mais avec des questions encore sans réponses. Comme cette fiction.