Son enterrement à lieu chaque jour. Plusieurs heures durant. Ses yeux dans un visage noir de peau et de terre. Il a neuf ans. Un enfant au corps-terre. Il creuse, creuse. Ses mains fouillent le sous-sol. En général, un chantier pas très loin de son lieu d’habitation. Il travaille pour sa famille. Comme tous les enfants et adultes autour de lui. Ici pour remplir les assiettes familiales. Mais ils travaillent aussi pour d’autres à travers le monde. Œuvrant pour des milliards d’individus sur la planète. Petites mains à distance pour des inconnus.
Ses semblables très loin de lui. Des gens assis dans un métro, un train, dans la salle d’attente d’un aéroport. D’autres au bureau, dans une chambre, au restaurant, sur un banc de square, au cinéma, etc. Pendant que ses doigts grattent la terre. Pour que toutes ces mains puissent pianoter sur un clavier de smartphone ou de tablette. Dans les villes et villages, les mêmes gestes répétés en boucle sur des claviers. Pour le boulot, pour envoyer des images, pour dire je t’aime, pour annoncer que c’est la fin d’un amour, tu peux passer à la boulangerie, je te donne le code d’entrée de l’immeuble… Tous les mots d’une vie ( la nôtre) défilent sur un écran.
Et lui sous terre. Mais pas n’importe laquelle. Désormais catalogué parmi les terres rares. Le territoire de ses premiers pas. Aujourd’hui, elle a de la valeur. Selon de nouveaux critères. Des puissants du monde ont déjà fait main basse sur les terres rares. Prêts à tout pour s’en approprier d’autres. Sa terre natale a aujourd’hui plus de valeur que lui et les autres mains qui creusent. Sa « terre devenue rare » l’avalera-t-elle lui aussi ? Comme d’autres. Leur dernière seconde ici. Ultime souffle sur leur lieu de travail. Parfois, il envie les morts de la mine de cobalt. Plus contraints de venir s’enterrer.
Plus loin, ailleurs sur la planète, la vie continue. Les gens pour qui il travaille à distance. A neuf ans, il est un des « composants humains » de leur ( mon ) smartphone. Un doigt loin de lui passe et repasse sur un écran. Signe compatissant pour l’enterré vivant ? Non. Cet index effleure l’écran pour entrer un code. Dans le but de lui ouvrir les portes d’une seconde vie. Lire ses mails, la météo du jour, prendre des nouvelles du monde, signer une pétition… Le grille-pain vient de sauter. Une odeur de café flotte dans la cuisine.
Merde ! Quasiment plus de batterie. Je gagne mon bureau. Où est ce putain de chargeur ? Sûr que ce sont les gosses qui l’ont encore pris. Ils vont m’entendre. Faut absolument que je le recharge. Impossible de passer une journée sans mon mobile. Ah, le v’là mon chargeur. Sauvé. Je vais pouvoir recharger mon smartphone. Je retourne à la cuisine. Pour boire un bon café et une tartine grillée. Et envoyer mes photos de week-end.
Grâce à des enfances enterrées.
NB : Rares celles et ceux n’ayant pas de smartphone ou autres mobiles du même genre. En effet, très difficile de s’en passer dans nos quotidiens numérisés. Il ne s’agit pas de se culpabiliser. Ni de donner des leçons aux autres. Néanmoins, on peut s’interroger sur nos contradictions. Plus facile de boycotter Amazon que son smartphone « tueur de gosses » en terres rares ?