A la mémoire de Patrick Roy.
Récemment, un ami me fit écouter "Yougstown". L'histoire d’un prolo bossant dans un haut fourneau de l’Ohio. Du Zola chez l'oncle Sam. Il travaille le métal qui sera transformé en boulets de canons et autres armes de destruction massive. Avec le produit de son labeur, lui et ses proches donneront leur sang, loin de "leurs" usines. De la guerre de l’Union, en passant par le Vietnam, jusqu'à l’Irak. A quand la prochaine campagne militaire? Paroles et musique ici.
Vallée de la Fensch, De Wendel, boucherie de 14, Indochine, Algérie, Irak… Retour en France. Guère de différence entre les prolos français et américains. Excepté sur le plan des acquis sociaux. Mais, sur le fond, prolo au pays de Bernard Lavilliers,de Bruce Springsteen, ou en Chine, Inde, etc, c’est le même pays. Rien de nouveau sous le soleil de la misère.
Combien de prolos encore en France ? Six ou sept millions. Classe ouvrière dispersée dans tout le pays. Tous nos mobiles, l'électroménager de nos intérieurs, nos bagnoles, nos routes, nos chemins de fer, etc, ne sont pas tous fabriqués dans de lointaines contrées à bas coût de main d'oeuvre. On peut y ajouter les plus proches des conditions de vie des prolos ( mot souvent prononcé à voix basse) que sont les SDF, chômeurs, citoyens au RSA, précaires en usine ou dans des bureaux. Tous les plus ou moins fracassés du système, sous perfusion sociale. Autrement dit: des pauvres.
L'"irrésistible ascension de Marine Le Pen" révéle à nouveau votre classe ouvrière. Oubliée pour cause de révolution numérique ? Et aujourd'hui, dans l'urgence électorale, tout le monde, citoyens anonymes et médias, parlent de vous. Le plus souvent à votre place, comme ce billet. Qui sont donc réellement les ouvriers ?
Epluchures d'un vieux monde industriel devenu numérique ? Cocus de la gauche et de la droite préférant se réveiller dans des draps "Matin brun" ? Que de définitions et de sigles pour vous faire entrer dans une case. Bientôt une appli pour le catalogage de pauvres ? Vous nourrissez les sociologues, cinéastes, journalistes, associations caritatives, enfoirés, religieux... Un sujet très tendance, excellente matière à buzz, surtout en période électorale. La plupart de vos observateurs proposent des idées très généreuses.
Avouons que nos idées, même sincères et nécessaires, sont aujourd'hui inefficaces. Elles ne font plus le poids contre la seule politique qui vous fait rêver d'une plus belle la vie. Apparemment elle est meilleure que tous nos discours réunis. Désolé d’utiliser la formule consacrée à une très grande navigatrice disparue récemment, Marine est devenu la nouvelle fiancée des français. Si la patronne du FN prend la barre, galère assurée à tous les étages de la société française. Et une traversée encore plus en solitaire pour les millions de citoyens déjà dans la galère. En quatre mots: la merde pour tous !
Pourquoi nos discours récurrents sont si improductifs? Trop entendus. Vous les connaissez par cœur. Le tract «tout ira bien après la crise » égaré parmi le tas de paperasse sur la table de la cuisine. Loin, très loin, sous les courriers d’huissiers, loyers impayés, de licenciement... Trouille de sa boîte aux lettres, du téléphone qui sonne, quand il n'est pas coupé. Le frigo passe avant les belles paroles. Surtout quand elles ont un goût d'ultra-réchauffé. Même de cramé.
Dans quelques jours, une grande partie d'entre vous, les plus défavorisés de ce pays, vont communier de Dunkerque à Neuilly sur Marne. Vêtement du dimanche pour la grande messe républicaine. Immense communion nationale, de préaux d'école en salles municipales. Vous avez décidé de choisir le camp de Marine Le Pen. C'est votre choix d'électeur. Pourquoi moins respectable que le mien ou celui d'un(e) autre ? C'est le jeu de la démocratie.
Mais, pour être franc avec vous, je pense que votre choix politique est complètement suicidaire. Pourtant votre colère est légtime et justifiée; dommage de la polluer. Vous, la classe ouvrière, nous tous, méritons beaucoup mieux que certains de nos politiques actuels et Marine Le Pen. Pourquoi jouer à la roulette FN ? Vous offre-t-on une autre alternative au suicide ? Pas en ce moment. Triste de constater que nombre de membre de la classe ouvrière ( mes racines sociales à jamais) va se jeter dans les bras de Marine. Aimantée par la "petite mère des peuples". Votre nouvelle Marianne républicaine.
Malgré ces reproches, vous traversez dans les clous du civisme. Accomplissant votre devoir électoral. Pas comme d'autres et moi. Nous, les abstentionnistes, sommes malheureusement la majorité. Pas tous très fiers de botter en touche. Peut-être moins usés que vous mais sans doute aussi désabusés d'une certaine classe politique. Notre colère, contrairement à l'électorat FN, est l'éloignement volontaire des urnes. Tant que le vote blanc comptera pour des prunes.
Que vous dire pour éviter de vous planter ? Et sans jouer le donneur de leçons. Pas facile puisque chacun de mes mots, les mots de ceux qui me ressemblent plus ou moins, vous mettent encore plus en rage. En guerre contre ces " bobos" comme vous nous surnommez avec des envies de coups de pieds au cul. Vous avez la haine de tout ce que nous représentons. A vos yeux, des ennemis de classe qui, comme écrivait Jules Guesde ( texte en fin de billet), savent se camoufler derrière tous les masques. Sur ce points et d'autres, vous n'avez pas entièrement tort. Et nous sommes souvent pas les mieux placés pour l'ouvrir. Me la fermer ?
Vous avez envie de leur foutre une grosse trouille à nos dirigeants. Sûr que certains d'entre eux méritent de trembler et perdre l'appétit aux Diners du Siècle. Ils s'en remettront. Une porte fermée, dix d'ouvertes. Contrairement à la plupart d'entre nous sans parachute doré ou possibilité d'exil comme nos stars. Coincés ensemble dans la boue.
Pourquoi coller votre gifle de colère sur la joue de Marianne? Elle ne vous a rien fait. En plus, elle mérite mieux qu'une droite extrême. Sans la République, plus possible de supporter les mêmes équipes de foot, aimer et détester les mêmes musiques, s'engueuler dans les embouteillages, se traiter de con, partager une mise sur un quinté, étudier dans les mêmes écoles...J'ai très envie de mettre tout ce qui nous manquera à tous mais la liste est si longue. Pourquoi vouloir balancer tous nos acquis?
Difficile néanmoins de vous reprocher de vouloir cogner dans le tas d'une partie de la Promo Voltaire du PS. Ils méritent plus qu’une fessée. Un coup de pieds dans les urnes ? Entièrement d'accord avec vous. Avec votre championne Marine, vous leur mettrez un sacré coup de boule dans... votre miroir. Et détruirez-encore plus vos proches déjà en galère. A vous de décider de voter FN ou pas. Le bulletin est dans votre camp.
Cette lettre sera sûrement un coup d'épée dans l'eau. Elle ne vous atteindra pas. Encore un prêche bien pensant à des convertis, dialoguer avec ceux qui me ressemblent. Même pas sous la pile de paperasse de la cuisine.
Juste un dernier point avant de vous lâcher définitivement avec ma morale de bien pensant. Sans voter pour "l'UMPS" que vous haissez à juste titre, que pensez-vous d'offrir un cadeau au pays? A la portée de toutes bourses. Offir à la France, après un janvier sans voeux, un mars sans tempête brune. Et ça ferait tellement plaisir à la fille de Wolinski.
Pourquoi pas vous abstenir ?
(…) Si la classe capitaliste ne formait qu'un seul parti politique, elle aurait été définitivement écrasée à la première défaite dans ses conflits avec la classe prolétarienne. Mais on s'est divisé en bourgeoisie progressiste et en bourgeoisie républicaine, en bourgeoisie cléricale et en bourgeoisie libre-penseuse, de façon à ce qu'une fraction vaincue peut toujours être remplacée au pouvoir par une autre fraction de la même classe également ennemie. C'est le navire à cloisons étanches qui peut faire eau d'un côté et qui n'en demeure pas moins insubmersible. Et ce navire-là, ce sont les galères du prolétariat sur lesquelles c'est vous qui ramez et qui peinez et qui peinerez et qui ramerez toujours, tant que n'aura pas été coulé, sans distinction de pilote, le vaisseau qui porte la classe capitaliste et sa fortune, c'est-à-dire les profits réalisés sur (…)
Jules Guesde