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Pour Stéphane Rozen, mon frangin à perpète
Pour Mireille et Denis Chabanel et tous les autres qui continuent d’y croire.
Naître avec des ailes. Avec la possibilité permanente de se déplacer. Mobile et autonome. Pouvoir se rendre à l’école, au boulot, rejoindre une histoire d’amour, filer chercher ses gosses à l'école, quitter une histoire sans amour, aller au cinéma, à la salle de sport, à la mer, et ailleurs ; des déplacements à coups d’aile. Nul besoin de s’arrêter à la station-service où tourner pour trouver une place de parking. Ici et là, des pistes d’atterrissage individuelles ou collectives aménagées, au sol ou sur les immeubles. Plus d'autres infrastructures pour les humains volant. Naître avec des ailes aurait bonifié notre existence terrestre. Dans de nombreux domaines. Excepté sans doute les embouteillages d’être ailés dans le ciel. Avec des carambolages de chairs. Sûrement moins de blessés et de morts que sur les routes. Une paire d’ailes sur chaque bébé aurait changé la face du monde.
Plus besoin de voiture individuelle. La priorité pour les véhicules de transports des matériaux et les livraisons de produits manufacturés. Pour le fret, les trains auraient une grande place. Et les avions ne serviraient que pour le transport de marchandises. Bien sûr, difficile de se passer des ambulances et autres véhicules d’urgence. Et les bagnoles de flics ? Pas sûr que les ailes rendent plus intelligents et respectueux de l’autre. Des flics pour empêcher le plus fort de bouffer le plus faible ? En général, c’est le contrat écrit sur le papier. Mais souvent, nombre de flics finissent par défendre les plus forts et cogner sur les plus faibles. Revenons à nos roues. Avec le moyen de déplacement ailé, il y aura beaucoup moins de circulation sur terre. Surtout pour les départs en vacances. Et la couche d’ozone n’aurait pas eu besoin de masque.
Jalouse des oiseaux ? L’espèce humaine aurait des raisons de l'être. Sur le bord de la fenêtre et en une fraction de seconde à la cime d’un arbre. Glissant dans l’air avec grâce. Comme si leur corps ne pesait que le poids du mouvement des ailes. Et chaque année, les grandes migrations sous les nuages. Sans papier ni la trouille des frontières et les douaniers. Une migration n'ayant pas besoin de passeurs vivant sur le dos d'être fuyant la mort. Sans non plus l'inquiétude de finir noyés. Une migration sans grand danger. Toutefois, les oiseaux migrateurs peuvent faire de mauvaises rencontres. Telle cette cigogne en migration blessée par balle. Impossible pour elle de repartir avec son aile foutue. Un couple l’a recueillie en Croatie.
Chaque année, son compagnon fait le voyage d’Afrique du Sud jusqu’en Croatie. Toujours à la même période. Fidèle à sa compagne. Que fait-elle à l’approche de leur rendez-vous ? Fouille-t-elle sans cesse le ciel? N’y pense-t-elle pas du tout ? Son cœur au bord de l’implosion quand elle le voit arriver ? Seule à pouvoir répondre. Une certitude : le couple passe de bons moments ensemble. Son cœur à nouveau au bord de l’implosion au départ de son compagnon ? Le suit-elle des yeux jusqu’à ce qu’il disparaisse à l’horizon ? Une autre certitude : elle ne reverra jamais le lieu de leur naissance et rencontre. Impossible pour elle de voler avec une seule aile. Son compagnon revient chaque année. En 2018, seize ans « d’amour annuel » et 57 enfants.
Sont-ils encore vivants et amoureux ?

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Une pirouette ailée pour souhaiter un très beau printemps aux voyageurs et voyageuses sur la toile. Selon le « moteur qui trouve », le printemps 2025 débutera le jeudi 20 mars 2025 à 10 h 01 et se terminera le samedi 21 juin 2025 à 04 h 42. Il arrive donc à domicile dans quelques jours. Même si les grands fêlés ( sans la belle lumière de la citation de Michel Audiard ) qui dirigent la planète décident de faire passer l’arme à gauche à toute l’humanité. Les saisons se foutent de notre connerie humaine aussi dangereuse que risible. Elles ont des choses beaucoup plus importantes à régler. Et chaque fois en quelques mois. L’espèce humaine a pu les détraquer. Sans réussir à les empêcher de renaître. Comme chaque jour et nuit. Fidèles à leur poste. Et malgré nos pires abominables, l’aube réussit toujours à percer l’obscurité. Mais pas que du sombre chez nous les humains.
Notre espèce est aussi capable de beauté. Dans le passé et au présent. Des poètes continuent d'offrir leurs mots au Printemps. Pour lui adresser un salut et le remercier de revenir nous enchanter. Les poètes font de même avec les autres saisons. De tout temps, elles ont inspiré les artistes. Sur la palette des peintres, on découvre aussi les quatre saisons. Comme en musique et d’autres domaines artistiques. Mais pas que les artistes pour honorer l’éphémère renouvelé. À travers des mots ou des gestes. Parfois un silence posé sous une parcelle de ciel, comme ce vieil homme assis sur un banc, les yeux face à un cerisier en fleur. Ou cet oiseau qui traverse lentement le regard de la femme aux yeux ancrés dans le ciel, les ricochets sur l’eau d’une main de gosse, un serveur déposant une pizza quatre-saisons sur une table de restaurant, etc. Une multitude de belles signatures de notre espèce.
C’est la saison du renouveau. Tout ce qui était en suspens revient peu à peu sur la ligne de départ. Pour un nouveau voyage à inventer. Mais c’est aussi, pour certains, la saison des absents. Le retour invisible d’êtres proches ou lointain. Partis en douceur ou durement. Leurs bras ne bourgeonneront pas d’un salut, d’un poing en colère, d’une tendre empoignade, d’un doigt d’honneur, d’une caresse, ou de tout autre geste. Des corps émiettés sous terre ou dispersés en poussières dans le vent. Parti loin, immobile. Sans retour. Excepté dans les mémoires en vie. Celles des humains et des saisons. Les racines des absents font un détour par le printemps. Pour un dialogue indicible. La conversation sans fin de l’amour et de l’amitié.
L’être « qui nous a quittés » revient camper. Nos fantômes invités par nos pensées à la belle étoile. Pour passer un moment hors du temps, près de l’être « qui est resté ». Un retour en une ère de renaissance. Quand tout repart, avec ou sans terreau du passé. Pour les hôtes et hôtesses des fantômes, c’était l’occasion de repartir d’avant l'absence à perpétuité. Un instant sans frontières de temps. Quand les de l’au-delà et les d’ici sont attablés à la même saison. Fantômes et vivants levant leur verre sous le même ciel.
À la mémoire du printemps !

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Et à notre jeune siècle !
Essayer de continuer à le soutenir contre vent et marée de pessimisme. Avancer avec lui à travers la confusion du monde et celle de nos cerveaux. De moins en moins facile en ces temps où le monde est livré clef en main à des financiers sans scrupules et à l’intelligence artificielle. Nombre d’artistes (certains très bons, d’autres moins talentueux ou mauvais) aux ailes rognées tournent en cage devant leur œuvre en chantier - suspendue pour cause de gel de budget. Néanmoins pas que le milieu de la culture qui trinque. Même constat sombre à tous les étages de notre jeune siècle. Paraît que monde va de plus en plus mal. Sans doute que pour beaucoup, il n’est jamais allé très bien ; souvent les mêmes avec que le choix de survivre ? Les temps sont plus qu’incertains. On nous le rabâche. Du radio-réveil au coucher. Nous aussi nous relayons la nouvelle des mauvaises nouvelles. C'est la réalité su siècle. Vaste merdier planétaire et sous nos crânes. Notre monde est coincé dans un tunnel très sombre.
Le jeune siècle dernier aussi. Mais coincé dans des tranchées. À peine l’âge de quitter le nid familial que notre connerie humaine lui a plongé le nez dans la boue et le sang. Des années où avoir vingt ans était réellement le pire des âges. De la viande humaine pour alimenter entre autres la boucherie à l'enseigne: Maîtres de forges. Pour, après le « plus jamais » et une embellie dansante belle époque d’une vingtaine d’années, jeter à nouveau jeter le siècle quadra dans des wagons plombés en direction des camps de la mort. Et à la sortie de la nuit sur l'Europe, dans le souffle de la libération des oppresseurs nazis, les champignons massacreurs de Hiroshima et Nagasaki. Sur la même foulée libératoire, l’asphyxie de masse d’une population rêvant de libération à Sétif, Guelma, et à Madagascar. Sans oublier le goulag : autres camps de la mort. Puis tous les autres massacres jusqu’à la bouteille de champagne du 31 décembre 2000. Les bulles de la naissance du nouveau siècle à peine digérées que nous remettions le couvert de l’abominable. Et ça continue. Le pire saison après saison.
Un détour par hier pour rappeler que notre siècle n’a pas le monopole du « ça va mal ». Certes, ce constat de relativisation fera une belle jambe pour le gosse qui vient de la perdre sur tel ou tel théâtre d’opérations de notre connerie humaine. Peu importe les tranchées d’hier pour une mère d’aujourd’hui serrant fort contre sa poitrine la chair de sa chair tuée par arme blanche ou missile. Pourquoi alors ce retour au siècle dernier ? Pour peut-être se donner du baume au cœur en nos temps dits incertains. Rappeler que, même après les pires horreurs, le printemps revient. Fidèle à son poste comme chaque saison. Et avec le printemps, la force du recommencement. Avec l’invitation à souffler sur la moindre braise d’horizon. Même si au fond de nous, une voix nous rappelle que notre connerie humaine renaît aussi de ses cendres pour en créer d’autres. Difficile de ne pas lui donner tort. Sans obligation de lui offrir notre résignation sur un plateau. Comment sortir de notre putain de sale nuit contemporaine ?
Pas qu’une seule réponse. Sans doute qu'il y aura besoin de plusieurs recherches de solutions mêlées - parfois antagonistes - pour tenter de nous sortir de la boue obscure (de nos tranchées mentales et des autres réelles et sanglantes disséminées sur toute la planète) où s’enfonce notre jeune siècle. L’une des réponses serait tout simplement de continuer de continuer. Même si les morts de la folie humaine ne ressusciteront pas et les jambes perdues ne repousseront à aucun printemps. Après l’arrêt «haine et désir de vengeance », recharger le cerveau et le cœur pour reprendre la route. Sa solitude au bras de l’humanité. Et réciproquement. Du premier au dernier souffle de notre espèce, les deux sont indissociables. Remettre le chemin sur le métier de progresser. Même à pas lents, la mémoire du corps lesté de cicatrices apparentes ou cachées. En guerre intérieure, chair apaisée, ou en paix durable. Malgré tous les malgré, prendre la direction : Progresser. Et dans tous les cas, avoir au moins l’élégance de ne pas empêcher les autres de vouloir déployer leurs ailes. Même si elles sont usées ou naissantes. Nous avons le droit d'être désespérés. Même en faire son miel sombre. Sans pour autant vouloir clouer l'espoir à la boue.
Et laisser les tunneliers et tunnelières essayer de percer la nuit contemporaine. Continuer leurs travaux. De jour et de nuit. Même sans l'aide de Sisyphe absorbé par sa story sur Insta. Leur chantier et celui de l’humanité. Tenter de l'extraire du tunnel actuel. Nous aussi pouvons essayer d’être des tunneliers et tunnelières à notre niveau. Qui que nous soyons. À l’endroit où nous sommes. Petits ou grands. Poids lourd, léger, ou sans poids sur la balance du monde. Certes pas toujours possible de reprendre après le pire pour continuer de percer la masse obscure de notre époque. Pour certains êtres, trop touchés, ce sera plus dur, voire impossible. Des individus, pour telle ou telle raison toujours légitime, seront contraints de renoncer à progresser. Pour les autres, encore valides de cerveau et cœur ; au moins essayer de continuer de percer. Parfois commencer ou recommencer. Et enfin sortir notre siècle du tunnel sans lumières.
Pour déployer ses ailes.

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