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Billet de blog 16 mai 2025

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La petite fille qui n'aime plus le ciel

Devant, le vide. Derrière, le chaos. La petite fille s’arrête. Dans son dos, un sac. Ailleurs, il contiendrait des affaires d’écolier. Ou des vêtements pour « une soirée pyjama » chez une copine.Pas cette histoire qu’elle transporte dans son sac.Dedans, la mort. Elle la connaît bien. Jamais loin. Parfois si près qu’elle sent son ombre sous sa peau. La mort déjà installée. Prête à se servir.

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           Devant, le vide. Derrière, le chaos. La petite fille s’arrête. Dans son dos, un sac. Ailleurs, il contiendrait des affaires d’écolier. Ou des vêtements pour « une soirée pyjama » chez une copine. Faire semblant de dormir quand les parents viennent vérifier l’extinction des feux. Double souffle mimant le sommeil. Les pas s’éloignent dans le couloir. Elles rouvrent les yeux. Se marrer à petits rires sous les draps. Pas cette histoire qu’elle transporte. Sans doute qu'elle rêverait d'être la petite fille d'ailleurs. Celle revenant de l'école. Pour rentrer sous le toit de sa famille. Que contient son sac ?

          Dedans, la mort. Elle la connaît bien. Jamais loin. Parfois si près qu’elle sent son ombre sous sa peau. La mort déjà installée. Prête à se servir. La petite fille ne fait même plus attention à sa présence. L’ombre fait partie de sa vie. Comme les cris, le silence, la puanteur. Elle se lève et réveille avec. Parfois, des sanglots dans la nuit. Elle se redresse. Le jour, c’est un homme. Il a toujours le même visage. Le buste toujours droit, le regard sûr. La nuit, son père fond. C’est un enfant qui a peur. L’aube séchera ses paupières.

           Un sac lourd. Pas à cause du poids de livres d’école. Ni de son goûter. Elle porte sa maison détruite. Toutes les pièces sont là. Mêlées à des tonnes de gravats de son quartier réduit en miettes. Son école détruite se trouve aussi dans son sac. Et toutes les rues et ruelles. La ville, le pays, habitent désormais sur son dos. Elle les emportera partout où elle ira. Comme tout le reste, depuis son enfance. Même quand elle tombait, se relevait, un pas, elle retombait … Château de chair branlant. Elle se relevait, un nouveau pas… C’est bien ma fille. Dans son sac, ses premiers pas.

         Une main lui tire le bras. Faut y aller ma fille, maintenant. Elle ouvre des yeux plus gros que le monde. Comme pour aspirer tout ce qu’elle laisse derrière elle. Son sac ne pourra pas tout contenir. Elle lève les yeux au ciel. Lui, elle ne veut pas l’emporter. La petite fille n’aime plus le ciel. Parce qu’il apporte la mort et la désolation. Et jamais, le ciel vient en aide. Pourtant, elle y croit encore. Mais elle ne lui fait pas confiance. Dieu a détourné les yeux. Et ses oreilles. Pourtant, elle l’a souvent appelé. Une grande partie du monde aussi a refusé de la voir et de l’écouter. En qui croire ?

          La petite fille ne sait plus. Partir est sa seule certitude. Elle doit fuir pour ne pas mourir. Essayer de survivre ailleurs. Avec toujours son ombre en elle. Et le poids de son sac. Jamais, il sera vide. Ni sa mémoire. Un jour, elle sera peut-être une adolescente. Le lendemain, une jeune fille. Un jour peut-être une femme. Elle pourra même être heureuse. Voire même oublier. Mais il lui manquera toujours son essentiel. Quoi ? Ce que lui ont arraché des tueurs d’humanité.

          Son enfance.

NB : Une fiction inspirée de l’article sur Fatma Hassona. Les mots ne peuvent qu’être très loin de la réalité vécue par cette petite fille. Et tous les autres survivants dans ce mouroir à ciel ouvert. Un regard est fermé à jamais. Celui d'une témoin. Ses images restent. Et avec elle, la mémoire d’une femme.  Et de l'humanité meurtrie.

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