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Billet de blog 16 juillet 2015

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Fils invisible cherche désesPèrement...

Invisible chez moi. Personne me voit. C'est très cool car je peux entrer et sortir quand je veux. Plein de mes potes de la cité qu'aimerait être à à place. Eux, leurs darons les surveillent tout le temps. Moi, ils regardent même plus mes notes. Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu pour avoir un gosse comme toi ? Parfois, ma mère se fâche. Pas longtemps. Mon père, lui, y me calcule même pas.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Invisible chez moi. Personne me voit. C'est très cool car je peux entrer et sortir quand je veux. Plein de mes potes de la cité qu'aimerait être à à place. Eux, leurs darons les surveillent tout le temps. Moi, ils regardent même plus mes notes. Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu pour avoir un gosse comme toi ? Parfois, ma mère se fâche. Pas longtemps. Mon père, lui, y me calcule même pas. Sûr que si je marche à poil dans la maison, y me verrait même pas.  Je suis transparent pour lui. Il en a rien à foutre de moi. Moi, je l’intéresse pas. Y préfère mes autres frères et sœur. Je suis le dernier de la famille. Et aussi de l’école.

Les autres ont tous réussi. Sur six gosses, je suis le plus nul à l’école. Mon frère  qui  a  juste un an de plus que moi est le meilleur du collège. Lui est en troisième.  Moi, je vais redoubler ma cinquième. Et mes autres frères et sœurs sont tous supers bons. Que des félicitations. Même le maire est venu un jour à la maison. Y a eu un article avec la photo de toute la famille dans le journal de la ville. Je voulais pas être dessus mais on m’a obligé. Tous mes potes m’en ont parlé à la cité. La honte pour moi.

Le plus grand de mes frères est même devenu journaliste. Lui, c’est vraiment une tête. S’il allait à « Questions pour un champion », sûr qu’il les exploserait tous ». Je sais pas comment il a pu faire pour faire rentrer tout ça dans sa tête. Faut se taire quand y passe à la radio ou à la télé. Une fois, mon père m’a collé une claque parce que je parlais en même temps que mon frère sur FR3. Il est toujours invité pour parler des banlieues. Paraît que c’est un exemple pour les autres comme nous. A quoi ça sert tout ce qu’y raconte. Ici, y a rien qui change. Pas les mots qui réparent l’ascenseur. Ou qui vont nous mettre de la caillasse dans la poche. Y peuvent dire ce qu’y veulent : y a que la caillasse qui compte. Pas un hasard si ceux qu’y en ont beaucoup en veulent plus encore. Jamais assez dans les poches. Et y vont même le planquer à l’étranger. En plus de vivre déjà le paradis en France, y ont un paradis pour leur caillasse.  Pas le droit de le faire mais y en ont rien à foutre. Mais pas des malins ces mecs là. On est tous au courant quand  y grugent  l’Etat.

    Mon dernier est pas comme mes autres enfants. Y pense qu’à jouer à la Wii ou traîner avec ses copains. Pour une fois, je suis d’accord avec ma daronne. Je suis pas comme le reste de ma famille. Pas envie de perdre mon temps à l’école. J’ai autre chose à penser, moi. Souvent, je vois ma daronne me regarder. Elle croit que je la vois pas. Mais je sais bien qu’elle est triste. Ses yeux sont plein de larmes. On sent bien qu’elle veut pas les faire couler. Une guerrière la daronne. Pas facile sa vie. Elle a bossé dur pour tous. Sans elle, y aurait pas autant de bac à la maison. Moi, c’est sûr, j’aurais même pas le BEPC. L’école ça rend pas plus malin. Nous, on vaut mieux que leur putain d’école. C’est mon pote Marc qui dit toujours ça. On traîne toujours ensemble. Avec lui et les potes de son frère. On en bien ensemble. Moi, je préfère cette famille que la mienne. Au moins, mes potes me prennent pas la tête. Et c’est pas pour ça qu’on parle pas de choses sérieuses. Le grand-frère de Marc a pas fait d’études mais y sait plein de trucs que je connais pas. Quand y parle, on dirait qu’on est en fasse d’un livre en chair et en os. Un livre que j'aime écouter.

Pas comme mon frère, celui qui passe à la télé, qui me gonfle tout le temps. J'aime pas comment y parle, avec des mots que je comprends pas. C'est pareil pour ma sœur qui va devenir toubib. Y croit que je les vois pas se foutre de moi. Un soir, je me suis cassé du collège avant la fin des cours et je suis rentré. Et je suis allé direct aux chiottes. Moi, j’avais le ventre super dur, ça m’arrive souvent, comme si rien voulait sortir de moi. Je passe des heures sur la cuvette pour rien. Tous les deux sont rentrés  ensemble.  Y ont ouvert mon cartable et pris un de mes cahiers. Je les entendais se marrer. Ma sœur lisait à voix haute mes mots. J’avais les boules.  Y se foutaient de moi. Mes larmes sont sorties d’un coup. J’ai rien pu faire pour les retenir. Les potes disent toujours qu’un bonhomme ça chiale pas. Heureusement que personne me voyait. J’avais envie de les tuer. J’ai attendu qu’ils sortent de la cuisine pour récupérer mon sac. Je suis monté sur le toit de l’immeuble. J’aime bien me poser la haut. Tranquille. J’ai déchiré entièrement tous mes cahiers, en tout petits morceaux comme des confettis à la fête de la kermesse. Et je les ai jetés. Première fois qu’il neigeait en plein été.

Y a trois mois, mon daron est rentré dans ma piaule. Je fumais le pet en écoutant mon I-Pod. Il m’a arraché un de mes écouteurs. Jamais je l’avais vu aussi vénère. Le gardien s’est encore plein de toi. Paraît que t’as pissé dans l’ascenseur. J’ai honte de toi. Tu vaux vraiment rien mon fils. Regarde tes autres frères et sœur. Moi je suis fier d’eux. Ils  font tous des études et réussissent à l’école. Et ton frère… Tu peux pas savoir à quel point que je suis fier de le voir à la télé. Parler à côté des ministres. Encore plus  fier de lui quand la famille en France ou au bled, les voisins, la gardienne, m’en parlent et me félicitent de sa réussite. Toi, je  peux pas être fier de toi. T’es rien du tout. J’ai fait celui qui en a rien à foutre. Le gardien va me le payer. Je vais lui crever les pneus de sa bagnole.  J’ai honte pour toi. Tu seras jamais quelqu’un !   Je serai jamais fier de toi. Y commençait à me gonfler grave le daron. J’ai remis mon écouteur et j’ai foutu le son plus fort.

Le daron continuait de parler au-dessus de moi. On aurait dit un peu comme ces films de Charlot qu’un maître nous passait à l’école. Moi, j’aimais bien ces films. Je l’imitais Charlot dans la cour de récré. Mais ça fait bizarre quand c’est ton daron. Charlot avec des larmes plein les yeux.Jamais vu mon daron chialer.  Pas le genre à se la jouer gonzesse. Il arrêtait pas de secouer la tête et de faire des grands gestes.  Quand il est sorti, j’ai éteint la musique. J’avais les boules. Je me suis mis à la fenêtre. Tu seras jamais quelqu’un !  Impossible de sortir cette phrase de ma tête. J’ai mis mon blouson et j’ai bougé.

Quant je suis arrivé dans le hall, Marc a tout de suite vu que j’allais pas. Y voulait savoir mais je disais rien. Pas son problème. Un truc entre mon daron et moi. Y m’a tellement gavé que j’ai fini par tout lui dire. Après tout, c’est mon meilleur pote. Je lui fais plus confiance à lui qu’aux autres. Son frère et ses potes sont arrivés. Marc m’a demandé s’y pouvait leur dire. J’ai fait ouais avec la tête. C’est un peu comme ma famille. T’es fier de ton daron, toi ? Je savais pas quoi répondre au frère de Marco. Qui est pas fier de son daron ? Tout le monde respecte et est fier de ses darons. Y m’a maté droit dans les yeux. Je lui que, bien sûr, j'étais fier. Toi, t’es fier de lui. Et lui a aucune fierté de toi, son fils. C’est pas normal. Il doit être fier de toi. Comme tous ici, nous devons être fiers les uns des autres. On est rien, on a rien, mais rester fier dans son miroir. Et les yeux des gens qu’on aime et respecte.  On s’est tous regardés.  Pas regardés comme d’habitude.  On était, je sais pas comment dire… On avait envie d’être tous fiers les uns des autres. Etre tous quelqu’un.

Le frère de Marc arrêtait pas de me mater. Déjà commence par ne plus l’appeler daron. C’est pas ton daron mais ton père. Pas un copain de la cité. Pourquoi y me disait ça . C’est une habitude de dire daron et daronne. Comme niquer, enculé, etc… Ca, je savais que je  pouvais pas le faire. Jamais je dirai mon père, encore moins papa. On a tous parlé ensemble. C’était bien. On aurait dit un peu comme un débat à la télé. Marc a de la chance d’avoir un frère qui parle comme ça. Un frère qui connaît la vie comme si… On dirait qu’il a déjà vécu plusieurs vies. Et qu’il peut lire dans les pensées. On a parlé très très longtemps. Y faisait nuit quand je suis rentré. Je me sentais bien. Un peu comme quelqu’un d’autre que moi. Je sais pas pourquoi mais mon ventre était moins dur ce soir là. Pas resté des heures dans les chiottes.  Et j’ai dormi sans penser à rien.

Le lendemain de l’embrouille avec mon daron, j’ai revu le frère de Marc dans la rue, devant le collège. On a encore parlé. Y me disait ce que je devais faire pour que mon père et les gens en général soit fiers de moi. Mon fils est en train de changer. Je sais qu’il fera pas d’études  comme ses frères et sœurs. Mais s’il continue d’être bien comme ça, à la maison, à la cité, y fera pas de conneries. Au moins ça de gagné. J’espère que ça va durer. Elle parlait avec notre voisine avec qui elle fait les gâteaux du ramadan.  J’étais aux chiottes quand j’ai entendu ça. C’est bizarre mais j’ai l’impression d’écouter ma famille que quand je suis aux chiottes. Faut dire que, à part mon lit et devant ma Wii, c’est l’endroit de chez moi où je passe le plus de temps. En tout cas, le frère de Marc me donnait de bons conseils. Je voyais bien que mon daron me regardait avec pas les mêmes yeux que d’habitude. Pas de la fierté mais pas loin. Même mes frères et sœurs me respectaient plus. C’était cool. Fallait que je continue d’écouter le frère de Marc. Grâce à lui, j’allais devenir quelqu’un. Un vrai bonhomme dans les yeux de mon daron. Plus jamais invisible.

Aujourd’hui, c’est mon jour à moi. J'ai réussi à faire ce que m'a demandé le frère de Marc. Y sera fier de moi. Jamais j’oublierai ce jour. Le frère de Marc  m’a dit d'en parler à personne pour l'instant. Vaut mieux attendre pour faire comme une surprise. C’était pas facile à faire mais j’ai réussi. Faut dire que le frère de Marco et ses potes m’ont vachement aidé. Y ont pris beaucoup de temps pour tout m’expliquer. Très gentils avec moi qui est pourtant le plus jeune de la bande. Jamais y se la sont joués les grands qui savent tout et moi le gosse qui connaît rien.  Eux aussi vont être fiers de moi.

J’ouvre la porte de chez nous et rentre dans l'appartement. Toute la famille est là ce soir car mon grand-père est venu du bled. Comme d’habitude, je suis encore invisible. Personne s’intéresse à moi. Mais, grâce au frère de Marco, je leur en veux plus. Je sais que c’est pas de leur faute. Y a plein chose qu’ils savent pas. Que le frère de Marc lui sait. Et en plus, sûr que ça va changer.  Un jour, je serai quelqu’un dans cette famille. C’est sûr.

 Y sont tous scotchés devant la télé. Personne parle. Je rentre dans le salon. Le gardien d’une cité HLM a été retrouvé décapité dans sa loge. Pour l’instant, cet acte barbare n’a pas été revendiqué. Le maire et son conseil municipal ont décidé d’organiser une marche blanche dans la cité endeuillée par ce drame. Ma mère se met à chialer. Mes frères et sœurs commencent à tous parler ensemble. Je regarde mon daron. Il est assis sur le canapé. J’arrive pas à voir ses yeux car il a la tête baissée. Marco m’a dit que tout le monde serait fier de moi. Jamais plus, je serai invisible dans ma famille. Et partout ailleurs. Pourquoi y relève pas sa tête ? Je veux qu’il me regarde.Voir la fierté dans ses yeux.

Regarde moi le daron !

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