«Tel un général à la tête de dociles soldats, Deschamps a transformé son équipe en un commando discipliné, prêt à endurer les pires souffrances pour aller jusqu’au bout. ». Proposition d'un petit jeu de lendemain de finale. De quelle source provient cet extrait qui sent le bon sable chaud du légionnaire ? Certes les "dociles soldats Bleus"portent aussi des tatouages. Quelques lignes d'un journal de droite nationaliste ou même d’extrême droite ? Le commentaire d’un supporter ancien para au vocabulaire militariste ? La future pub pour enrôler de jeunes recrues dans l’armée française ? La provocation d’un internaute ? Encore une fake news ? Une nouvelle parodie du Gorafi ? Vous donner votre maillot bleu au chat ? Un extrait d'un article du journal le Monde. Prestigieux quotidien du soir venant de nous annoncer que le pays vient de gagner la guerre. Merci de nous avoir informé de la victoire de nos troupes. Mais pour quelle guerre ?
Nous sommes des millions en France à avoir regardé la coupe du Monde. Et avoir pris du plaisir en compagnie de milliards de regards sur toute la planète. Sans pour autant avoir basculé dans l’hystérie collective ou la posture guerrière. Eh ! la rédaction du Monde, c’est juste un jeu de ballon. Faut revenir sur le plancher des lecteurs. Juste un jeu qui n'a rien à voir avec la période sombre de la trajectoire de Hubert Beuve-Méry, le fondateur de votre journal. Quand il était va-t-en-guerre et proche du régime de Vichy. « « Il faut à la révolution un chef, des cadres, des troupes, une foi, ou un mythe. La Révolution nationale a son chef et, grâce à lui, les grandes lignes de sa doctrine. Mais elle cherche ses cadres. ». Une phrase de Hubert Beuve-Méry avant de quitter les pétainistes et basculer dans le camp de la résistance. Merci à lui d’avoir changé son stylo de mains pour nous offrir «Le Monde» et plus tard « Le Monde Diplomatique». Deux outils parmi d'autres pour prendre le pouls de son époque.
Nombre de photos «multicolores» circulent en boucle sur le Net. Preuves par l'image d'une belle joie collective sans frontières de races ( le mot supprimé à quelques jours de la victoire) et de classes sociales. Plutôt agréable tous ces visages ensoleillés de tous âges. Rares ce genre de communion mélangeant toutes sortes de citoyennes et citoyens. Belle mixité sociale tant recherchée et trouvée autour d’un ballon. On ne va pas s’en priver. Jouir de l’instant de fraternité républicaine. Une belle fête populaire gâchée par les habituels abrutis de service "défoncés au Lacoste"casseurs de vitrines. Réappropriation violente des mêmes signes extérieurs de richesse et vêtements civils que les Bleus ? Baroud de déshonneur récurrent de ceux qui se savent condamnés à la contrefaçon ? Visiblement plus Lacoste que Che ou Rimbaud. Mais cessons de philosophorâler à un euro pour une fois que des sourires s'affichent partout en France. Une joie au profit des amateurs de foot ou pas. Des millions de gens si heureux.
Sans pour autant oublier ce qui se déroulera après cette belle liesse. Le RER et les bus ramèneront les fêtards dans leurs banlieues. Si loin, si proche des Champs Élysées. Les provinciaux rejoindront peu à peu leurs lotissements ou centres-villes paupérisés. Les bobos retrouveront leurs lofts et leur rêve de mixité- mais pas dans leur jardin. Le jeune homme, à poil ivre mort sur une bagnole, reprendra sa place derrière un écran de contrôle, son maillot bleu remplacé par celui de trader et autre coast-killer. Prêt à dégraisser des stades entiers d’ouvriers, employés, cadres, pour permettre aux gros actionnaires de continuer de s’engraisser. Où va cette femme au rimmel tricolore coulant sur ses joues ? A Neuilly Auteuil Passy en taxi ? Ou à pieds ou dernier métro à Zep Zad Rsa? Et lui là-bas avec une chaussure en moins et maquillé comme une victoire volée (certains «français de souche» auraient préféré une victoire blanche croate)? Ce couple chaloupant dans les rues de la nuit bleue? Le chauffeur de taxi tournant en klaxonnant sans se soucier de son compteur ? Le migrant à la perruque tricolore dansant sur un trottoir ? Le flic en uniforme ne pouvant s'empêcher de klaxonner ? Cet ado en scooter, torse nu bleu blanc rouge, en orbite autour de la deuxième étoile ? Millions d'anonymes soudés dans le même but. Puis chacune et chacun finira par retrouver son avenir ou absence d’avenir. La victoire des Bleus n’y changera absolument rien. Mais le ballon rond, qui fait rêver des millions de supporters, n’est pas là pour remplacer le travail politique. Chacun son boulot.
Rabat-joie ce billet ? Sans doute. Sûrement me faire tacler et qualifier de «peine à jouir national». Le jeu assumé de ce genre de texte à contre pied général. Après tout pourquoi le plaisir et la joie empêcheraient la lucidité post match ? Même si l’immense poète René Char- rugbyman et capitaine d’une équipe de résistants-trouvait que c’est la blessure la plus proche du soleil. En l’occurrence plus près de la deuxième étoile de ce dimanche. Que se passera-t-il quatre ans après cette coupe du monde ? La même chose qu’après la précédente ? Pourtant c’était pas mal parti cet autre dimanche de 1998. Vous vous souvenez de l’improbable et incroyable Black Blanc Beur éclairant la dernière demeure du soldat inconnu (petit clin d’œil à mon quotidien du soir) mort sans nom dans une vraie guerre. Une boucherie sans Selfie ni caméras. Contrairement à ce soir d'été où un français de souche kabyle mettant deux coups de boule fut intronisé Président de lumière sur l’Arc de Triomphe. Un arc en ciel de toutes les couleurs et origines dans le ciel républicain. Qui aurait pu imaginer une telle fraternité des villes et des champs ? Indéniable parenthèse enchantée de l'été 1998.Certains voudront y croire encore vingt ans plus tard. Miser une nouvelle fois sur la parenthèse bleue. D'autres échaudés - dindons de farces successives- ne feront plus le pari; trop usés mentalement pour avoir la force de perdre une énième fois. Soyons plus optimistes que lucides pour dans quatre ans. En espérant que la victoire des Bleus de 2018 ne reproduira pas le même scénario catastrophe.
Le Pen au second tour en 2022 ?
NB: Plus "vivant" cet article du même quotidien....