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Lumière se traîne. Comme percluse d’arthrose. Elle, si vive, est devenue une lueur penchée. Chacun de ses petits pas semble lui coûter. Elle avance en rasant les murs. Avec le moins de bruit possible. Elle n’a surtout pas envie de se faire repérer. Se faisant la moins visible possible. Pourquoi une telle volonté de se fondre dans le décor contemporain ? Par appréhension d’être montrée de l’index avec mépris ou rire moqueur. La même inquiétude chez Intelligence, Pensée complexe, Nuance, Poésie, Doute, Ironie, Autodérision, Pensée contre soi… Tout ce qui est traqué par le clan des grandes gueules bas du front et du cœur, mais équipé de certitudes et de mono-vérité. Nombre d’ennemis pour Lumière et ses alliés.
Pendant ce temps, la nuit avance très vite. Sans la moindre inquiétude. Elle se déploie à grand pas, droite dans ses certitudes. À peine ici qu’elle est là. Une belle nuit ? Non. Pas la nuit percée d’étoiles et de questions sans réponse. Ni les autres qui bercent nos regards de la naissance à la mort. La nuit dont il est question ricoche d’écran en écran. Avec le plus souvent face à elle des regards éteints. Dont celui de Crépuscule. De plus en plus avide de réponse. Incapable de jouir d’une question restant interrogation ne serait ce qu’un instant. Après le toujours plus de la consommation, le toujours plus vite de la réponse ? La question que se pose Crépuscule.
Une réponse va arriver ou non. En tout cas, Crépuscule a constaté une tendance dans son histoire au quotidien : se prendre de plus en plus pour une « lumière » parce qu’un moteur de recherche a trouvé à sa place. Sans avoir fait le moins du monde travailler son intelligence naturelle. Celle dont est équipé tout cerveau en état de fonctionnement ; il ne s’use d’ailleurs que si on ne s’en sert plus, pour le laisser notamment entre les mains de moteurs qui trouvent. Notre humanité serait-elle dans une mauvaise passe ? Oui, affirment certains. Et à juste titre. Et d’autres, lâchant parfois les moteurs qui trouvent, continue de s’interroger. Une mauvaise passe ou impasse ?
Encore une question pour Crépuscule. Avec son regard à perpétuité contradictoire. Un crépuscule qui était « Ni dieu, ni maître ». Avant de basculer. Désormais « Ni dieu, ni humains. Crépuscule est en colère. De plus en plus. Une colère surtout contre Dieu et les humains. Pourtant ne croyant ni en l'un ni en les autres. Et très sceptique sur le reste. « Ni libertaire, ni libertarien, ni libertatoujours plus… ». Reniant tout ce que Crépuscule a été, est, et sera. Tout et son contraire mêlés. Dans une colère dirigée encore plus contre son être. S’en voulant de sa propre soumission à une machine sous le feu croisé de ses critiques. Avant de peu à peu se détacher de sa colère.. Et fouiller son histoire. Remettre en cause certains de ses points de vue. Pas si ouverts qu’ils en avaient l’air. Des angles de vue faussement ouverts.
Comme celui de penser à la place des autres. Qui suis-je pour m’octroyer cette place ? Quelle est ma légitimité d’occuper cette position dominante pour indiquer à l’autre la bonne ou mauvaise voie ? Cette posture de la « vérité unique » que Crépuscule connaît de l’intérieur. Pour l’avoir pratiqué. Notamment dans sa grande « période athégriste ». Regardant avec une forme de moquerie hautaine celles et ceux adeptes d’un culte religieux. Ne pouvant s'empêcher de les considérer comme de grands gosses confondant contes et réalité. Jusqu’à ce que Crépuscule constate la part de mépris dans son regard de haut. Et pas que sur le sujet de la religion. Depuis sa prise de conscience, Crépuscule a décidé d’arrêter de donner des bons ou mauvais points aux autres. Pas si facile que ça.
Depuis la nuit des temps, certains êtres sont comme Crépuscule. Persuadés - souvent sincèrement - de savoir ce qui est bien pour l’autre. Des peuples le pensent aussi. Avec la certitude d’être de la bonne civilisation. Celle du progrès et de l'humanisme. Donner un exemple ? Difficile tellement les individus et peuples de ce genre sont nombreux. Prendre le premier exemple qui pointe son nez ? Le massacre de la culture et de la civilisation des Indiens d’Amérique. Dans quel but ? Apporter le progrès d’une civilisation dite plus civilisée que les sauvages. Une modernité qui a débuté par l’arrachage des scalps d’Indiens par des mains fort civilisées. Et depuis, on voit où l'arrivage de tout ce progrès a mené. Qui est le plus civilisé entre l'actuel Président des États-Unis et « le sauvage » ayant prononcé cette phrase ?
Une tarte à la crème, ironise Crépuscule. Se méfiant de folklore des phrases vidées de leur sens à force d'être utilisée. Jusqu'à être récupéré par la pub. Geronimo a-t-il réellement prononcé ces mots ? Une citation potentiellement attribuable à un autre peuple ? Et pas que le peuple indien d’Amérique à avoir vécu ça, se dit Crépuscule pour élargir le champ de réflexion. D’autres populations ont subi la pression d’une force venue de l’extérieur. Pour le plus souvent venir coloniser et évangéliser les barbares. Et au passage, faire main basse sur les terres et ressources des sauvages qui doivent bien ça aux apporteurs de progrès. Sans oublier non plus la destruction de croyances et coutumes présente en imposant d'autres apr la force. Rien de nouveau sous le ciel de la prédation humaine.
Et ça continue de nos jours, soupire Crépuscule. Des êtres et des peuples voulant encore décider de l’histoire des autres. En plus, difficile de leur jeter la pierre, car c’est très souvent dans un souci sincère d’apporter du progrès et de l’humanité. Mais rarement avec le consentement des êtres et peuples concernés. Avec une grande peine à accepter de les laisser accomplir leur chemin de l’intérieur. Comme des êtres et peuples adultes. Se méfier de mes putain de bons sentiments et de me croire indispensable, se piqûre de rappel Crépuscule. Conscient notamment de son réflexe à vouloir « désoumettre » l’autre. Que ce soit un individu ou un peuple. Sommes-nous si sûrs d’être un bon exemple à adopter ? Nul individu et ni peuple est parfait. Chercher à «desoumettre» l’autre dans quel but ?
Toujours un objectif et une pensée non-visible dans chaque acte. Même à travers un désir humaniste. Le libérer d’une soumission pour le soumettre à notre propre vision du monde ? Vouloir le transformer à notre image pour qu’il puisse ne pas faire tache dans le « bon miroir » ? Les bons sentiments peuvent être une forme de colonialisme de l’autre différent et nous gênant dans notre mode de vie et pensée. Quand un individu ou une population appelle à l’aide, il est essentiel d’essayer de lui apporter notre soutien. Et plus si on en a les moyens. Sans pourtant jamais se croire en mission. Tendre la main sans la verrouiller. Laisser l’individu ou la population se mettre debout. Puis marcher. Et choisir la destination de son histoire. Juste une main tendue et parfois qui accompagne. Pas plus.
En réalité, se dit Crépuscule, je me trompe. Ce ne sont pas du tout les écrans qui génèrent de la nuit. Au contraire. Comme Gutenberg, Numérique est une ouverture. L’arrivée d’une fenêtre de plus ouverte sur le monde. Sans l’imprimerie, le siècle des lumières aurait-il été possible ? Rompant son jeûne de « moteur qui trouve », Crépuscule a interrogé la machine à répondre plus vite que la question. Et voilà le résultat express : Le Siècle des Lumières (le 18e siècle) est surtout la conséquence d'un progrès technologique fabuleux : l'invention de l'imprimerie. Un nouveau Siècle des Lumières grâce à Numérique ?
Sans doute que l’arrivée de l’imprimerie a aussi généré du trouble et des réticences. Comme pour un certain nombre d’entre nous, pense Crépuscule plus ou moins critique avec cette révolution similaire à l’invention de l’imprimerie. N’allons pas chercher des poux aux écrans. Plutôt fouillons sous nos crânes. Le lieu de nos ombres et lumières. Une grande partie des soucis de notre monde se trouve dans cet espace occipital. Avec nos poux d’intérieur.
Aux poètes et à la poésie ! Depuis quelque temps, c’est la devise de Crépuscule. Un des lieux qui le nourrit et l’abrite. Chaque poème est une sorte de cabane à l’abri d’une époque de réponses et d’étiquettes permanentes. La poésie lui offrant la possibilité de naviguer en « hors temps ». Crépuscule a toujours un recueil de poèmes à portée de mains. Pour pouvoir plonger dans une lecture à tout moment. Du réveil au coucher. Parfois refermant le recueil pour se lever et, pied-nus à travers le silence nocturne, s’approcher de la fenêtre. Puis cliquer du regard sur la page.
Pour lire l’instant en cours. De l’autre côté des carreaux, la belle nuit avec ses pointes de lumières. Même invisibles, on sait qu’elles sont là. Telle la lumière du soleil ou celle de la lune. Aujourd’hui, comme depuis la naissance de l’univers, cette belle nuit se trouve au-dessus de nos histoires passagères. Suffit de lever les yeux pour l’admirer ou lever le poing en l’accusant de tous nos maux, prier-pour les croyants - vers elle, la faire infuser sur un clavier ou - et - sur une feuille de papier, l’ignorer… Quoi qu’on fasse, elle prendra son quart jusqu’à l’aube. Pas de premières lueurs du jour sans la nuit. Ni de lumière.
Comme celle qui se traîne en ce moment. Ralenti par toutes les «fausses nuits » actuelles. En réalité, il ne s’agit que d’obscurité. Voire d’obscurantisme. Rideau sombre sur le siècle. Avec ici et là des lieux plongés dans le noir où danse ensemble un couple d’obscurantistes : Droit du sang et de la pureté nationaliste dans les bras de Fou de Dieu et de la mort. Tous deux sont extrêmement liés. Avec un objectif commun : détruire toutes les lumières. Pour régner sur les ténèbres. Et instaurer comme hymne planétaire : « La danse des obscurantistes ». Ce couple réussira-t-il à tout éteindre ?
Tout n’est pas perdu, sourit Crépuscule. Son soudain optimisme n’est pas le fruit du hasard. Elle vient de tout lui avouer au creux de l’oreille. Lumière ne traîne pas. Elle s’économise. Dans quel but ? Au cas où, un jour, elle reprend de la vitesse. Pour redevenir une sorte de phare universel. Et remettre de l’éclairage sous le crâne de l’espèce humaine. Elle en a bien besoin. Nous aussi, pense Crépuscule. Avant de commencer sa tâche.
Crépuscule cherche l’interrupteur.
NB : C’est un extrait d’un texte à ses premiers pas. Sans doute qu'il va souvent chuter. Une fiction avec les interrogations de Crépuscule : un personnage inspiré de conversations et de rencontres. Un être né sous Gutenberg et qui va mourir sous Numérique. Questionnant son histoire et l’ époque.