Réveillé par un maigre rayon de soleil et un oiseau qui chante. Que demande de plus le peuple? J’allume la radio. Un moment que j’aime bien. Prendre la température du monde dès le réveil. Souvent la fièvre en ce moment. Ça commence bien: monsieur cent mille casseroles a encore frappé. Il veut remettre le droit du sol en cause. Lui qui passe son temps dans les plus hautes sphères, dort dans des quatre étoiles, ne fréquente que la haute finance… Qu’est-ce qui connaît lui du sol ? Que dalle. Pas le seul. A gauche et à droite, ils sont nombreux à parler sans savoir. Je dis pas qu’ils sont tous pourris. C’est pas vrai. Mais faut reconnaitre que , au-dessus de nous, y en a un paquet d’escrocs. Des escrocs de haut vol entre Falcon et Jet. Ils nous voient de haut. Pareil pour l’un de nos prix Nobel qui veut se barrer si Marine Le Pen crèche à l'Elysée. Gentil le grand humaniste prêt à nous laisser dans la boue. Lui peut le faire. Cela dit, si j’avais son pognon, peut-être que je ferai la même chose. Mais moi, contrairement à lui, je peux pas décoller d’ici. Embourbé dans ma p’tite vie à ras de terre. Ca y est, je sens que France Inter a encore bousillé ma journée. Je crois que je vais remettre FIP. Au moins on entend pas les mensonges de ce genre de personnage. Espérons qu’ils vont pas nous sucrer aussi cette station. Aucune confiance en eux. Trop loin du sol.
Redescendront-ils sur terre ?
Pas à moi qu’on peut apprendre le droit du sol. J’en suis très proche. Né dans ce pays en 1959 d’un père auvergnat et d’une mère bretonne. Côté cuisine c’était le grand écart mais on a toujours bien mangé chez mes parents. Sûr que, s’ils étaient encore de ce monde, ils feraient la gueule de me voir comme ça. Pas le sujet du jour… Racines et sol. On arrête pas de nous bassiner avec ça. Moi je m’appelle François. Pas Mohamed ou Malika. Un vrai de vrai. Personne me fera déguerpir de cet endroit ou j'habite. C’est mon choix de vivre dans cet endroit, en bord de rivère. Et j’y suis très bien. Le premier qui m’emmerde, je lâche mes deux chiens. Je suis chez moi. Moi, je la sens bien la terre de mon pays.Vraiment très proche d'elle.
Etrange que je m’énerve sur ce truc. Chaque fois, je me fais avoir. Les uns et les autres balancent des phrases pour… Comment y disent déjà les journalistes ? Ah Ouais… Des effets d’annonce. Ils jettent des petites phrases pour draguer les électeurs. Maintenant, ils appellent des « éléments de langage ». Bref, c’est les rois de l’enfumage. Ces mecs ont fait des études pour apprendre à rendre les autres d’accord avec eux. Ils sont balèzes. Entre eux, ils se castagnent un peu. Juste assez pour la galerie, les cons comme moi. Mais ils finissent dans les mêmes cantines de luxe. Pour eux tartines beurrées des deux cotés. A propos de pain, tu peux faire le test dès ce matin pour savoir si tu es un bon français. Un de souche comme certains disent. Pas comme tous ces basanés qui viennent bouffer notre pain. Tiens justement; pousse la porte de ta boulangerie et demande ta baguette habituelle. Souris à la boulangère, ton plus beau sourire, et propose lui pour payer tes racines ou du fric. Tu vas voir ce qu’elle va choisir. Les racines pas même une monnaie locale. Très sincèrement, pas de la terre qui faut dans ses poches pour vivre en France ou ailleurs. Plutôt de la caillasse.
Racines, sol, souche, drapeaux… Tous ces machins, je leur laisse. Pas ça qui changera mon ordinaire. Ni celui des millions de François comme moi ou de Karim, mon voisin le plus proche. Le droit du sol, on s'en fout. On préférerait avoir nous aussi un bout de place au soleil. Pas un hasard que je revienne toujours au soleil. Moi, depuis tout gosse, j’ai qu’une envie. Sans doute pas le seul à avoir eu ce rêve de gosse. Ca m’est arrivé un jour en ouvrant un bouquin à l’école sur les mythes grecs. Si je me souviens bien, il étaient blancs avec une couverture assez classe. C’était quoi comme édition déjà ? Ca me reviendra. Toujours quand on cherche qu’on trouve pas. Bref, le mec qui m’a plus fait rêver c’est Icare.
A mon âge encore, je me rappelle de la première fois où j’ai vu une image d'Icare. J'étais en classe de CM2. Une vraie claque pour un gosse de 10 ans. Tu veux faire quoi quand tu seras grand ? Je répondais toujours « voler comme Icare» . Mon super héros à moi. Monter haut, très haut dans le ciel…. Me rapprocher du soleil. Moi, je suis sûr que j’aurais fait la même connerie qu’Icare. Le soleil à portée de mains. T’as envie d’y aller. Les gosses qui font des conneries en bagnoles ou en scooter, les mecs qui picolent ou se cament, ceux qui font du parapente, du saut à l’élastique, tous les sports de l’extrême, les artistes…. Tous cherchent à approcher le soleil. On a tous le soleil qu’on peut. Certains, plus prudents, le regarderont de loin. Et eux survivront. D’autres voudront le toucher… Pour finir par se cramer complètement. J’en sais quelque chose. Mon soleil est mort plusieurs fois au fond d’une bouteille. Noyée définitivement aujourd'hui dans mon verre d'eau.. Plus d’ailes à bruler, les pieds bien au sol. J’en veux à Dédale. Lui si ingénieux. Pourquoi il a inventé des ailes en cire ?
Je délire mais faut que j’aille bosser. Pas loin à vélo. J’ai réussi à dégoter un boulot dans un garage. Pas payé lourd. Mais à mon âge, après tant d’années de chômage, c’est une chance d’avoir été embauché. Pas durer longtemps car le tôlier va bientôt fermer. En attendant, ça me fait des thunes une fiche de payer. Surtout l’impression d’être comme tout le monde. Ne pas être qu'un raté.
J’ouvre ma tente. On est que deux à habiter ici. Karim est de l’autre côté du terrain vague. On a construit une p’tite barrière. Personne nous emmerde. Le seul truc emmerdant c’est les trains qui passent. Pas le bruit qui me gêne. Mais les regards des gens. Jamais aimé qu’on regarde chez moi. Karim a préparé le café. On le boit ensemble sans un mot. Pas besoin de se parler. Lui est venu sur un bateau. Ce mec là a pas des papiers mais un paquet de diplômes. Lui aussi avait des racines ailleurs.
Avant de partir, je nourris mes chiens. Jamais je toucherai le soleil. Mais j’ai ces deux paires d’yeux qui comptent sur moi pour bouffer. C’est Karim qui s’en occupe quand je suis pas là. Je vais bosser et lui pêche dans la rivière à côté. C’est un bon jardinier aussi. Quatre ans qu’on est là, pas une saison sans tomates. Sans domicile fixe mais bien chez soi. On est peu comme un vieux couple. Chacun sous sa tente avec son histoire. Tous deux à essayer de rester debout.
Droits sur le sol.
Le garage est à huit bornes. Je monte sur mon vélo et roule jusqu’à la petite route. Le soleil commence à pointer son nez. Belle journée en perspective. Icare sans ailes mais avec deux roues.