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Billet de blog 17 juillet 2024

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Chair passagère

La douleur des gens heureux. Elle est très difficile à voir. Contrairement  à la souffrance plus ou moins affichée des gens malheureux. Comment alors la reconnaître ? Souvent au sourire retenu. Pourquoi le retenir ? Pour qu’il ne détonne pas dans le tableau sombre. Rester dans la noirceur ambiante.Baisser le rideau sur sa joie.

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Les étoiles filantes © Les Cowboys Fringants - Topic

            La douleur des gens heureux. Elle est très difficile à voir. Contrairement  à la souffrance plus ou moins affichée des gens malheureux. Comment alors la reconnaître ? Souvent au sourire retenu. Pourquoi le retenir ? Pour qu’il ne détonne pas dans le tableau sombre. Rester dans la noirceur ambiante. Bien sûr pas d'excès de rire. Le bonheur doit être caché. Vécu uniquement avec de très proches. Aucun signe ostentatoire de bonheur en public.  Ce serait de l’indécence. Voire de la provocation. Que faire ? Baisser le rideau sur sa joie.

           Au début, on voulait la partager. Même en offrir aux êtres qui n’en ont pas du tout ou pas assez. Certains acceptent. Et répondent en écho joyeux par un sourire. Même maigre. Tandis que d’autres détournent les yeux. Peut-être pour ne pas se laisser influencer. Conserver parfois leur seul bien: la douleur. Ce qui donne une consistance à leur histoire. Vouloir ôter la douleur d'un être  peut faire de gros dégâts. Ne jamais rentrer dans l'histoire de l'autre sans son autorisation.  Même avec une effraction bienveillante. Nous ne sommes qu'invité chez l'autre.

         Se retenir d’être heureux dans un monde sans rêves de lendemain  ? Certains et certaines doivent le faire. Ravalant discrètement leur joie. Muselant leur rire. Pas du bruit de joie. Surtout ne pas se faire remarquer dans l’atmosphère plombée par l’actualité. Pourtant rire n’empêche pas d’être lucide et empathique. Mais c’est mal vu. Faut afficher une face sombre. Répétant que tout va mal. Ce qui est vrai. Mal ici ou là ? Partout. Avec les nouvelles technologies, le malheur mondialisé a désormais ses podcasts. À tout instant, vous pouvez vous plonger dedans. Reprendre une piqûre de sang versé, de viol, d’humiliation, etc. Sans oublier les mensonges et toutes les petites et grandes mesquineries au magasin de l’humanité. N’en jetez plus. Parce que la cour est pleine? Non. Pourquoi ne plus en jeter ? La cour vient d’être bombardée. Embouteillée de cadavres de gosses. Où jeter alors nos regards de voyeurs impuissants ? Pas de souci : d’autres cours à remplir. Comment ? Juste changer de chaîne de télé. Où passer à un autre tweet.

        Le bonheur en notre siècle sombre est pesant. Sa rétention le rend encore plus lourd. La culpabilité est pesante. Encore plus quand on est coupable de rien du tout. Si ce n’est d’être heureux. Ou simplement joyeux de dépenser son temps qui passe. Avec des proches ou des inconnus traversant votre trajectoire d’éphémère vivant. Mais tout n’est pas aussi simple. Sauf pour les individus totalement aveugles et sourds à la douleur de leur époque. Certes pas la première fois que l’humanité saigne. Le siècle dernier a beaucoup donné aussi en horreur. Comme les précédents. Toutefois, la première fois qu’on peut accéder à toutes les horreurs d’un clic. Autrefois, les horreurs mettaient du temps à venir jusqu’aux regards et aux oreilles. On pouvait « autruchiser » plus longtemps. Goûter les petites joies du jour et de la nuit. Avant de recevoir des mauvaises nouvelles du monde.

          En donne-t-il des bonnes ? Très rarement. Le monde est impudique. Il ne cesse d’étaler ses petites et grandes douleurs. Pas un jour ou une nuit sans dire j’ai mal. Un étalage permanent de son malheur. Qu’il se passe au coin de sa rue ou à l’autre bout de la planète. Je vais mal et je veux que vous le sachiez. Du réveil au coucher. Je vais mal ; regardez ma douleur, écoutez ma souffrance. Vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas. Tout est là, devant vous. Plus qu’à se servir. Pas de souci ; il y en aura pour tout le monde. Le sang et la connerie humaine en vente libre.C’est à la portée de toutes les bourses. Juste besoin du réseau pour accéder aux images et au son des petites et grandes horreurs quasiment en direct. Le monde dit-il parfois « je t’aime » ? Sans doute. Mais d’une voix à peine audible. Loin de tous nos écrans.  Le monde ne dit je t'aime que dans la pénombre ?

           Échapper à la noirceur ambiante est une gageure. Quelle stratégie pour éviter de se faire polluer par les actualités ? Se connecter à sa poésie. Huit milliards de poètes ça changerait notre monde. En plus, quelle belle gueule à offrir à l’univers. Bonjour, je viens de terre. Quelle est votre nationalité ? Poète. Et vous ? Poétesse. Et vous ? Autre genre poétique. Pourquoi le monde irait mieux ? À quelques exceptions près, les poètes ne massacrent pas leurs semblables, ne veulent pas envahir le pays voisin, ne violent pas, ne veulent pas toujours plus de fric à n’importe quel prix, ne manipulent pas des êtres fragiles, ne crachent pas leur haine de l’autre en continu dans un micro… Plus d’autres petites et grandes saloperies. Sûr que la planète irait mieux. Et que tout le monde pourrait profiter de son temps imparti sous le ciel des mortels. Stop utopie. On ne s’improvise pas poète. C’est un boulot de fond. Faut gâcher du temps et y mettre beaucoup d'énergie pour y parvenir. Pour en général ne jamais réussir à atteindre le fond. Ou parfois dans le très mauvais sens du terme. Tout peut-être poésie. Mais tout le monde n'est pas poète de naissance. Que faire alors de son passage sur la planète  ?

         De son mieux, à sa place. Quelle qu’elle soit. Une place visible ou invisible. Sans être poète ; la poésie se trouve dans cet espace. Présente dans sa gestuelle au quotidien. Tous nos actes et pensées tissant notre histoire. Devenir un être parfait ? C’est irréalisable. A moins de vouloirs verser dans la quête du sang et de la pensée pure. On a déjà essayé… Comment alors occuper du mieux possible sa place dans une époque de suspicion – toujours à devoir se justifier de ne pas être ci ou ça - et de manipulation à tous les étages ?  Très compliqué. Mais pas impossible. Comment ne pas se noyer dans la confusion ambiante et ni l’alimenter ?Pas de mode d’emploi. Sauf peut-être un. S’employer à se libérer de certains modes d’emploi. Les plus enfermant.

            Les modes d'emploi sont de plus en plus nombreux. Pour tout et son contraire. Notre existence est devenue un labyrinthe de codes et autres applications. Amour, amitié, sexe, création… Tout doit-être balisé. Un mode d’emploi pour nombre de nos actes au quotidien. Avec obligation de s’y conformer. L’erreur n’en est plus une ; elle devient d’emblée une faute ineffaçable sur le casier de la mémoire numérique. Certes, tous les modes d’emploi ne sont pas négatifs. Même nécessaires. Certains sont utiles pour ne serait-ce que pour pouvoir cohabiter. Une cohabitation avec la plus grande intelligence de voisinage possible. Sans empiéter sur l’histoire de l’autre. Encore moins la détruire d’un seul coup ou à petit feu d’une intime violence. Le fameux « ta liberté s’arrête là où commence celle de l’autre.» Un certain nombre d’individus - notamment des hommes - ont du mal à situer la frontière de l’autre. Important donc d’établir certaines règles.

          Sans pour autant enfermer chaque moment de nos existences dans un mode d’emploi permanent. Pourquoi pas inverser le processus. En mode d’exploit de soi ? Couper tous les cordons pour se retrouver. Et réussir à s’exploiter. Jour après nuit. Ne laisser personne exploiter sa mine unique. Celle où l'on extrait les plus beaux diamants. Invendable. Pourquoi ? Hors de tous les prix. Sauf de Soi.  Sa mine à cœur ouvert. Avec elles et ceux avec qui on a envie de la partager. Ce qu'on nomme les affinités électives. Sans être élitiste. Ni fermé au reste du monde. Juste le désir de s'exploiter. jusqu'à la fin du filon de soi.

       Dans tous les cas de figure,on a  souvent le même but. Accéder plus ou moins à sa part de bonheur. Pas celle vendue par les médias et les politiques. Du bonheur; ils en ont à vendre: produit à la chaîne made in ici ou ailleurs. Jamais en manque de stock. Suffit de dégainer sa CB pour rajouter à son caddie de la joie manufacturée. Du bonheur obsolescent et interchangeable à la demande.  Rien à voir avec votre part unique. Elle ne peut se vivre que hors de leur zone d’influence. Ne surtout pas les laisser s’en emparer. Ni tous les autres, même aimés ou appréciés, qui pourraient tenter de vous en délester ou de vous en éloigner. Parfois préférant vous voir malheureux avec eux que heureux loin de leurs yeux. Qu'est- ce qui motive ce genre de  réflexe ? La peur que vous sortiez du miroir commun. Et les rassurant.

           Comment nommer ce bonheur irréductible ? Impossible car il n’a pas toujours le même nom. Ni le même visage. Quelles sont ces racines ?  Le bonheur, qui en a besoin, se les invente. En se méfiant qu’elles ne deviennent pas à terme des boulets. Son nom est en fait : multiple. Même s'il ne germe que dans un seul lieu. Hors de tout GPS.  Cet irréductible y fleurira. Puis, si on le désire, il pourra être partagé. Mais avant, il doit prendre le temps de germer.  Bien à  l’abri du regard des vendeurs de mode d’emploi de la vie des autres. Là où notre histoire unique est irrécupérable. Quel est cet endroit de liberté ?

         Sa chair poétique.

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