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Billet de blog 18 avril 2025

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Il voulait juste soigner ...

Un homme hurle sa souffrance sur une plage. Qui appelle-t-il ? Sa mère. Un demi-siècle plus tard, un autre homme dit ses derniers mots. Il s'adresse à sa mère. Deux hommes assassinés pour ce qu'ils étaient. L’un parce que poète homosexuel et engagé contre le fascisme. Le second car issu d’une «population à détruire». Et en plus, il était engagé dans le soin. Un secouriste de 23 ans.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Je n'ai plus le temps de haïr. Nous devons apprendre à nous servir de notre douleur. Investir dans notre paix, pas dans notre sang, voilà ce que nous disons. »

Colum McCann

Pour Guillaume: travailleur de l’humanitaire

          Un homme hurle en pleine nuit sur une plage. Ses cris de souffrance sont entendus de maisons de pêcheurs. Qui appelle-t-il ? Sa mère. Un demi-siècle plus tard, un jeune homme dit ses derniers mots. Il s'adresse à sa mère. Un point commun semblable à nombre d’hommes. Sans doute que des femmes, au seuil de la mort, appellent aussi leur mère. Les histoires de ces deux hommes sont totalement différentes à de nombreux niveaux. Mais, en plus d'adresser leurs derniers mots à leur mère,  ils ont un autre point en commun: assassinés pour ce qu'ils étaient. L’un parce que poète homosexuel et engagé contre le fascisme. Le second car issu d’une « population à détruire ». Et en plus engagé dans le soin. Un secouriste de 23 ans.

         Pour le poète nommé Pier Paolo Pasolini, des zones d’ombre persistent autour de sa mort atroce. Même si la thèse d’un assassinat politique est souvent évoquée. Pour le deuxième mort, pas le moindre doute ; le jeune secouriste nommé Rifaat Radwan a bien été assassiné par des soldats de l'armée israélienne. Il a filmé et enregistré ses derniers moments. Sur la vidéo, on l’entend s’adresser à sa mère. Lui expliquant son choix de soigner, et ce malgré les dangers de la guerre. Ses derniers mots pour témoigner  et empêcher toute tentative de falsification de la réalité. Rappelant qu'il s'agit bien de militaires tuant des « êtres de soin » armés uniquement de leurs mains. Leur présence dans le but de soigner et soulager. Sa parole a survécu à sa mort. Elle est parvenue aux oreilles du monde.

           Et sûrement jusqu'à celles et ceux ayant provoqué sa mort. Détruisant aussi ses compagnes et compagnons de soins. Des militaires ayant tué des soignants et des soignantes. Sans apparemment la moindre sommation. Assassinant des secouristes qui, dans d’autres circonstances, auraient pu apporter de l’aide à ces militaires ou à leurs proches. Des militaires  qui ne seront évidemment pas inquiétés. Encore moins jugés. C’est la guerre. Violence et désinformation sont au menu quotidien de théâtres d’opérations. Et pas de conflits militaires qui soient propres et éthiques. Le droit humanitaire passant toujours après le principal objectif de tout conflit armé : la victoire avant tout. Pas une seule guerre aux mains propres.

        Certains avancent des arguments pour essayer de justifier un crime de masse. Ce n'est pas nous qui avons commencé. En effet, le massacre en cours de toute une population est arrivé après un autre massacre. Celui de civils tués, blessés, violés, et certains enlevés. Une horreur indéniable. Même si le sang versé dans cette région date depuis plusieurs décennies. Se défendre ? C’est le réflexe de n’importe quelle démocratie attaquée. Rien de plus normal. Se venger et vouloir anéantir tout un peuple sont les réflexes de la barbarie. Plus du tout une démocratie. Et c’est ce à ce que nous assistons depuis deux années. Plus de la légitime défense. Mais un carnage.

       Une nouvelle forme de fascisme ? Certains n’hésitent pas à l’affirmer au regard de crimes de guerre commis par des militaires  (pas toute l'armée à cautionner la tuerie en cours). En effet, le fascisme n’est pas circonscrit à son pays d’origine qu’est l’Italie, là où un grand poète a été assassiné – des mains de fascistes ? Une idéologie qui a essaimé partout sur la surface du globe. Elle s'est installée sous une foule de crânes avec perte de mémoire de l'histoire de l'Europe et du monde. Le fascisme n’est pas le monopole des Italiens de Mussolini. C’est un virus meurtrier qui peut toucher des Français, des Algériens, des Russes, des Américains, des Israéliens, des Danois, des Palestiniens, des Anglais, des Musulmans, des Juifs, des Catholiques, des athées, des blancs, des noirs, des jaunes, des métisses, des incultes, des intellectuels … La liste des pays et des individus pouvant être touchés par la pandémie fasciste n’est pas exhaustive. Nul peuple ou individu n’est à l’abri. Surtout en notre époque de confusion et prime à la haine. Que faire avant une contamination planétaire ? Une question d’urgence. Trouver un vaccin dans les labos des encore démocraties ?

       Les derniers mots du jeune secouriste sont une nouvelle preuve de l’urgence. Sa chair est froide, sa parole encore vivante. Que reste-t-il de lui ? L’intime d’une histoire unique qui appartient exclusivement à ses proches. Et pour le monde entier, son ultime message laissé en héritage. Ainsi que les dernières images ayant été prises avant sa mort. Avec des mots pour sa mère et la mémoire de notre humanité. Quelques phrases lancées contre l’oubli. Son témoignage avant de mourir est visible sur de très nombreux écrans. Fake news ? Manipulation ? C'est possible que je me sois fait avoir. Toutefois une information qui a été validée par plusieurs organes de presse très différents, dont «Courrier International ». Son message, sera-t-il aussi visible et audible de quelques miroirs ? Rappeler que la guerre n’exonère pas des horreurs et de l’abominable commis en son nom. Des mots post-mortems générant une prise de conscience et peut-être une pointe de culpabilité ? Les réponses dans certains miroirs.

       Et les massacres du 7 octobre ? Et l’antisémitisme ? Souvent les questions qui fusent quand on parle de l’horreur en cours à Gaza. Évoquer la mort de ce jeune secouriste ne m’empêchera pas de vomir l’antisémitisme d’où qu’il vienne. Un fléau - la bête immonde bouge encore - à combattre. Un combat sans relâche. Écrire sur ce secouriste assassiné ne m’empêchera pas non plus de ressentir de l'empathie pour les victimes de l'horrible massacre  du 7 octobre. Et d'avoir de la solidarité pour leurs proches détruits aussi. Un abominable gravé dans la mémoire de n’importe quel être équipé d’un cœur et cerveau. Certains tentent de nous diviser en demandant de choisir le «bon sang » qui coule. Cette volonté de division confère à l’ignoble. De tout bord, nous sommes nombreux pourvus d’empathie multiprise. Les être massacrés du 7 octobre et de Gaza ont été assassinés par les mêmes mains : Barbarie et Abominable. Comme d'autres massacres sur la surface du globe. Toutes les tueries de masse ont des similarités. Et le sang des victimes est toujours de la même couleur.

        Revenons aux hommes qui hurlent. Le poète, le secouriste, et d’autres assassinés sans témoin. Les derniers mots sortant de leur bouche sont adressés à leur mère. Les barbares de tout camp ont dû tuer des hommes ayant hurlé leur dernier message. Sans oublier le massacre de femmes et d'enfants. Peut-être qu’un jour, ces tueurs et tueuses seront victimes à leur tour d’une extermination. Et qu’au moment d’être aidés, leurs secouristes soient décimés. Quels hurlements sortiraient de la bouche de bourreaux passant dans la peau de victimes ? Difficile de répondre. Chaque solitude blessée a une réaction unique. Mais souvent des derniers mots à une mère.

        Cesser d’évoquer la boue et le sang versé de notre siècle ? Non. Pas le moment de jouer à l’autruche. Même si ressasser la boue et le sang devient pénible. Pour celles et ceux qui la transforment en mots et en images. Plus ou moins utiles et pertinentes. Mais c’est pénible aussi pour celles et ceux qui lisent et regardent des images. Sans doute, comme la majorité d’entre nous, ils aimeraient ne pas subir ce genre d'infos. Occulter ne changera rien. À part de se préserver un plus ou moins long moment. Avec les nouveaux outils de communication, on se fait toujours rattraper par le fil de l’actualité. Les notifications des horreurs en cours vibrant même au fond de nos poches. Autant regarder l'actualité droit dans ses yeux sombres et trop souvent couleur sang. En essayant de continuer à jouir du temps qui passe en compagnie des être aimés. Sans détourner le son regard de la réalité contemporaine. Rester les yeux et les oreilles bien ouverts sur son époque. Parce qu’elle, la réalité, ne détourne jamais le regard. Toujours présente.

         Parler ne sert à rien. Se taire aussi. Mais la parole a plus de chance d’aboutir que le mutisme résigné. La preuve par l’ultime parole de ce jeune secouriste. Par le passé, aujourd’hui, certaines voix refusent de laisser le silence devenir un charnier planétaire à rallonges. Des hommes et des femmes refusant de laisser le silence en cadeau à ces tueurs et tueuses. Souvent au péril de leur vie. Contrairement à nous dans nos zones calmes du monde ou parler n’a rien de dangereux. En tout cas, rien à voir avec ce que lui a vécu. Et d'autres paroles à travers la planète. Notre parole est celle de nantis.

      Pas le cas dans d'autres pays. Que risquons-nous ? Une salve de sales commentaires ? Une ou plusieurs engueulades avec de vieux copains et copines ? Être mis tricard dans tel ou tel endroit ? Usons de cette parole libre en territoire démocratique. Pour évoquer les plaies contemporaines.  Toutefois sans sombrer dans le désespoir. Ni le cynisme, ni le tout est foutu. Se morfondre dans la culpabilité impuissante et l’autoflagellation ? S’empêcher de jouir et d’être heureux ne changera rien. D’autant plus que ce n’est pas incompatible avec l’indignation, et même la colère. Continuer de vivre et dire. Répondre présent à l'appel du monde. Et de la mémoire à nourrir et honorer. Pour - si possible - qu'on oublie aucune victime de notre inhumanité. Qu'elle qu'elle soit. Sans hiérarchie du sang des victimes.

        Chaque goutte se nomme humanité.

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