«La haine rend décidément encore plus bête que l'amour. C'est tout dire.» Louis-Ferdinand Céline.
« Quitter la France ou rester ? Ça va être très chaud pour nous ici, après tous ces attentats. Déjà que c’était pas le grand amour.... Longtemps qu'un arabe a pas marqué de buts décisifs en coupe du monde de foot. ». Plusieurs jeunes maghrébin, entre vingt et trente ans, s’interrogeaient à une terrasse de bistrot. Regards abattus et anxieux. Parmi eux, une femme ne cessant de jeter des coups d’œil autour de leur tablée et d'exhorter ses amis à parler plus bas.«Ce fumier de Mohamed Lahouaiej-Bouhle c'est un barge. Un musulman de mes couilles ! Si t'es barge aujourd'hui et que tu veux avoir un max de buzz, fais-toi passer pour un muslim. Bien sûr que le terrorisme existe et qu'on le subit tous. On doit tous ensemble le combattre. Mais faut pas tout mélanger. Sûr que bientôt on va nous sortir la radicalisation post-mortem. N'importe quoi. Les arabes morts écrasés à Nice étaient-ils radicalisés ? ». Un gars et une fille, les plus remontés du groupe, étaient très bruyants. Souvent péremptoires. La femme sur le qui vive leur demanda sèchement de baisser le ton. Visiblement apeurée à l'idée que leur conversation soit entendue. Que risque-t-elle à s'exprimer ? Nous sommes en France, pas en Turquie ou dans d'autres pays totalitaires. Faut raison garder. Une inquiétude exagérée, me suis-je dit avant aller prendre mon train. Hors de question de sombrer dans la parano. Ne pas offrir en plus ce cadeau aux barbares.
Mon boulot en cours nécessite pas mal de recherches documentaires sur le Net. À un moment, je tombe sur une vidéo de promotion d'une des villes sur laquelle je dois bosser. Une cité très charmante du Sud-Ouest où je n'ai jamais mis les pieds. Un film très axé sur l'Occitainie. Tout à fait normal en Occitanie. Excepté que la vidéo est en fait un tract viscéralement anti-islam. Syndicat d'initiative sauvage fleurant bon le pétainisme. Pas d'amalgame. Cette image n'est aucunement représentative de toute l’Occitanie. Je continue de prospecter. D'autres vidéos m'offrent une vision, intéressante et accueillante, de cette ville. Avec plusieurs références à la culture occitane ; une base très importante de cette région. Mais pas du tout la même vision étriquée de cette culture, véhiculée par une minorité d'occitans obtus. Certains devant une fenêtre ouverte, d'autres enracinés face à un mur. Tant pis pour les sans horizon. Pause bière et picorage de quelques tweets, avant de visiter d'autres villes. Des visites express.
Un internaute, le regard martial, s'exprime très froidement. Avec un français châtié, avec toutes les liaisons, tel un politique annonçant une nouvelle grave.Il ordonne à toute la population musulmane de sa commune et de sa région de quitter le territoire. L'ultimatum est d'une à deux semaines. Je passe à un autre sujet. Des tweets d'actu, de culture, ou d'humour. Toujours à boire et à manger sur la toile. Toutefois un voyage virtuel très intéressant pour prendre la température du moment. Grosse fièvre nationale et internationale. Plus tard, la proposition ( citation de mémoire) d'un autre internaute: « Si chacun tue un musulman en France, on va bien finir par tous les éradiquer.». D'autres crachats numériques viennent de temps à autre ponctuer ma lecture aléatoire. Plus que de coutume. N'y pense pas. Que quelques-uns à avoir ce genre de réactions. Tous les français ne sont pas radicalisés fachos. La plupart des gens sont équipés d'un cerveau désamalgateur. Mon auto-persuasion a du mal à marcher. Difficile de ne pas pas ruminer ce que je viens de lire. M'interroger sur l’épaisseur de la couche de haine nationale. Plus épaisse qu'après les morts de janvier 2015 et novembre 2015? Des interrogations inévitables.
On ne trouve que ce qu'on cherche à trouver. Une lapalissade mais si pleine de bon sens. Chacun trouvant souvent ce qui peut alimenter sa colère, sa haine, ses obsessions, sa machine à fantasmes et appréhensions personnelles. Peut-être effectivement mon cas. Pourquoi ne pas lire ou relire un bon poème, regarder le ciel bleu ou les yeux de l'aimée, rire avec ses gosses, déguster un bon verre de rouge accompagnée d'un camembert de caractère… Suffit de cesser de lire les tweets et de surfer sur le Net, pour ne plus subir ces insultes. Arrêter d'alimenter ma trouille de métèque, certes légitime en période obscurantiste - de souche ou religieuse. Comment éradiquer cette parano naissante ? En me déconnectant de la connerie virtuelle et réelle.
Redevenir un citoyen lambda, très heureux de vivre dans ce pays des lumières, du demi bien frais en terrasse, des milliers de médiathèques, des salles de concerts, du Canard enchaîné, de San Antonio, de Radio nostalgie, des impôts qu'on rêverait de payer, du réveil quotidien France Inter, des râleurs, de la littérature, des premières tomates du jardin, de la laïcité, du con qui dégaine sa perceuse à l'aube, des saisons françaises, de l'école publique, du café clope… La France de mes amis, de mes amours, de mes emmerdes. Bref, retrouver mon existence de pékin moyen. Pas un citoyen meilleur, ni pire que mon voisin. Pour ce retour à la normal, je vais donc me déconnecter totalement. Pas tout à fait entièrement; faut bien que je bosse. Juste des connections pour raisons professionnelles, des passages sur des sites précis; sans céder aux sirènes de la sérendipité. Ne plus lire le pire de la connerie humaine. Ouvrir un bon bouquin. Rêver ou une autre activité. Me dépolluer.
Mais certains amis ne m'aident guère. Ils me confient avoir les mêmes interrogations et inquiétudes sur l'état de notre époque. Notamment cette radicalisation d'une partie de la presse, des intellectuels, et des politiques ( gauche et droite), contre les musulmans. N'hésitant pas à mettre même les athées de mon espèce dans le même panier des produits du terroir de la «musulmanie ». Cet amalgame me gonflant énormément, en tant qu'ancien athégriste reconverti dans l'athéisme soft, toutefois très vigilant sur la place des religions. Mais il y a des problèmes plus importants que cette confusion entre origines et religion. Revenons à mes potes abondant dans ma vision pessimiste, notamment concernant la cohabitation -surtout dans les quartiers populaires -à venir entre les «de souche» et les «autres»…. Vous voyez ce que je veux dire, les… tous les… les radicalisés potentiels… Paraît que certains d'entre eux sont radicalisés depuis leur expulsion du ventre de leur mère. À quand un spécialiste pour détecter la radicalité musulmane dans le cri primal des bébés basanés ? Comme toujours, je m'égare. Donc, mes potes, constatant ce phénomène d'appel à la haine et à la mort des musulmans ( en langage bornée: tout individu non-caucasien), ont un prénom de « saints de la Poste ». Pour la plupart baptisés. Ils sont encore plus véhéments que moi sur ce sujet. Souvent je suis obligé de les tempérer. Atteints eux-aussi de la parano du métèque ?
Le meurtrier de Nice s'était-il radicalisé ? Pour ma part, je n'en sais rien. Apparemment, nombre d'officiels et d'experts – de longue date ou récemment convertis à l'expertise- semblent dubitatifs. Ça polémique sec sur ce sujet. Affaire à suivre... Radicalisé ou pas, ce type demeure une ordure et un lâche. Comme tous les autres barbares massacrant des femmes, hommes, gosses, chrétiens, juifs, musulmans, athées, etc, dans les lieux publics. Ordures au même titre que tous ceux qui décapitent ( l'un d'entre eux arborant une légion d'honneur made in France) des hommes et des femmes sur leur territoire royal, ou leurs alliés et fournisseurs de munitions bombardant des pays, uniquement pour des raisons strictement géopolitiques et économiques. Allez, un petit coup de complotisme pour la route… Les tueurs islamistes ne sont pas apparus d'un seul coup dans nos villes et nos campagnes. Ils sont en partie le produit du jeu des apprentis sorciers, pour lesquels nous votons ; d'excellents joueurs de monopoly planétaire avec explosion de points sur la case « puits de pétrole » et ventes d'armes. Sans se soucier des premières victimes: les peuples de leur pays, ou d'autres contrées lointaines. Peu leur importe les lampistes, non protégés au moindre déplacement. Ce paragraphe, en plus de complotiste, sera sûrement qualifié de poujadiste et faisant bien sûr le jeu du Front national. En voie de radicalisation complotisto-populiste ? C'est grave, docteur ?
Un copain, quelques journalistes, des commentaires ici où là sur le Net, ont comparé le profil du tueur de masse de Nice à celui du pilote allemand qui assassina 150 personnes. Tous deux en effet atteints de graves problèmes d'ordre psychiatrique. D'autres commentateurs ont évoqué le film «Taxi driver». Cette évocation a plus attiré mon attention. Sans doute parce que je trouve que c'est très grand film. Une de ses scènes d'ailleurs reprise dans l'un des meilleurs long-métrages sur les banlieues : La Haine. Même si le contexte est très différent, sans islamisme ni Daesh en toile de fond, le personnage incarné par Robert de Niro a quelques similitudes avec le tueur en masse du 14 juillet. Pétage de plombs de deux solitaires ressassant, derrière un volant. Doit-on demander à tous les chauffeurs de taxi et livreurs de se désolidariser? Là où s'arrête la comparaison c'est que Travis Bickle, le chauffeur de taxi, cible ses victimes. Contrairement à l'assassin de la promenade des Anglais. Lui voulait tuer le plus de monde possible.
Pas un scoop de dire que la fiction ne dépasse jamais la réalité. Mais elle ne verse pas de sang sur les trottoirs de Paris, de Nice, de Bagdad ou d'ailleurs. Les barges sortis de l'imaginaire de certains scénaristes n'occasionnent que des dégâts fictifs, contrairement aux monstres nés de notre société. Fruits aussi d'une époque où les valeurs essentielles sont le fric, le cynisme à tous les étages, et le buzz sur le Net ou à la télé. Sans oublier une pincée d'islam frelaté, des doses de frustration sexuelle et-ou- social, le gavage quotidien de jeux vidéo pour des esprits déjà fragilisés, l'inculture historique, la connerie personnelle et de proximité… Plus d'autres ingrédients. Le tout bien touillé dans la cocotte obscurantiste de ce début de siècle. Siècle dont, chacun à son niveau, est co-responsable. Quelles solutions urgentes à apporter pour que ce cocktail explosif ne fasse pas imploser le pays ? Empêcher l'émergence des conflits entre "bons" et "mauvais "français". Une confrontation très bénéfique pour les extrémistes politiques et religieux. Un billet d'humeur écrit à chaud, souvent dérivant au gré des idées, sûrement parfois donneur de leçons, approximatif, ne peut apporter de solutions. Juste constater et poser des questions. Solutionner c'est normalement le boulot de nos représentants. Avec l'aide des médias et des penseurs de ce pays. Sans oublier: nous. La majorité.
Fort heureusement, tous les frustrés et malades mentaux ne commettent pas des horreurs comme celle de ce 14 juillet. Quoi qu'il en soit, le tueur au camion, radicalisé ou pas, est totalement coupable. Aucun discours ne peut atténuer la douleur des victimes directes et de leurs proches. Les mots semblent vains contre une telle souffrance. Même le silence est impuissant. Leurs existences marquées à jamais par ce massacre. Certains polémiquent pour savoir si le crâne du tueur était habité par une folie semblable à celle du pilote tueur allemand, ou une« folie de Dieu » daeshisée. Dans les deux cas, ce sont ses mains sur le volant. Tout seul à avoir accéléré et semé la mort. Aucun co-pilote ne l'accompagnait dans la cabine. Coupable de ce carnage. Transformer une joie collective en un charnier. Les proches des morts, les blessés, ressentent sans doute une irrépressible haine contre ce tueur. Un désir de vengeance pour certains d'entre eux. Sans être touchés dans notre chair, beaucoup parmi nous ont aussi des bouffées de haine. N'importe qui, humainement constitué, ne peut que ressentir, à minima, du dégoût et de la détestation pour un tel meurtrier. Comment éprouver d'autres sentiments ? Peu échappent à ce réflexe naturel.
Même si c'est plus facile à dire que faire, l'aveuglement post-traumatique, susceptible de naître de la douleur fort légitime, ne doit pas l'emporter sur l'intelligence. Pour éviter par exemple d'imiter ce genre de réactions, indignes, lors de la minute de silence sur les lieux du drame, à Nice. Une minorité de femmes et d'hommes, évidemment en colère, passant leur rage sur des «minutes de silences» maghrébines; leur ordonnant de dégager de France. Sans doute ont-ils oublié que des Rachid et des Malika ont péri aussi sous ce linceul d'été. Comment des morts pourraient-ils dégager de France ? Écrasés par le même assassin que celui de Pierre, Marie, et les autres. Les roues du 19 tonnes n'ont pas fait le tri, massacrant sans aucune distinction. Nombre de basanés expulsés aussi, comme les autres; à perpétuité. Toutes les victimes étaient juste venues admirer la belle rouge, la belle bleue…Pas pour l'horreur en bouquet final.
À quand une minute d'intelligence par minute, pour tous ?