Mouloud Akkouche (avatar)

Mouloud Akkouche

Auteur de romans, nouvelles, pièces radiophoniques, animateur d'ateliers d'écriture...

Abonné·e de Mediapart

1809 Billets

0 Édition

Billet de blog 18 juillet 2024

Mouloud Akkouche (avatar)

Mouloud Akkouche

Auteur de romans, nouvelles, pièces radiophoniques, animateur d'ateliers d'écriture...

Abonné·e de Mediapart

Vigilance Métèque ?

Faut-il se méfier à nouveau ? La question se pose. Désormais, le retour de la parano. Avec bien sûr des erreurs de ressenti ; pas dix millions de racistes et d'antisémites dans ce pays. Mais certains se lâchent ici ou là en douce France. Avec des mots ou des regards. Comme tout à l’heure dans le TER? Réalité ou mauvaise interprétation de ma part ?

Mouloud Akkouche (avatar)

Mouloud Akkouche

Auteur de romans, nouvelles, pièces radiophoniques, animateur d'ateliers d'écriture...

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Georges Moustaki - Le Métèque © FreeNeverSaid

             En niveau très élevé après l’attentat de Charlie. Nombre de métèques de France ont ressenti une bascule. Avec une fracture nationale. Rien de plus naturel face à une telle horreur. Indéniable qu’au-delà de la colère, la tristesse ; le national - dans toutes ses acceptions - était revenu en force. Avec notamment tous les avatars des pages FB en Bleu Blanc Rouge. Même d’individus plutôt enclins à une bannière noire et à l’internationalisme. L’explosion de ventes de drapeaux tricolores. L’extrême-droite présente dans toutes les manifs. Pour engranger sur la mort de caricaturistes qui les détestaient. La bande à Charb était très anti extrême droite. Je suis Charlie ou contre Charlie  ?

          Fallait se positionner. Je n’ai jamais été Charlie. Ni contre. Tour à tour effondré et fou de rage contre l'assassinat des Charlie. Avec un sentiment de très grande impuissance. Ce blog a été créé le lendemain de l’attentat. J'ai longtemps été abonné à Charlie. Et encore lecteur occasionnel avec grand plaisir. Pourquoi ne pas se ranger derrière la bannière de «  Je suis Charlie » ? Je n’ai pas porté non plus la main jaune diviseuse des potes, ni un quelconque «  Je suis » interchangeable, ni un autocollant porteur d’une quelconque idéologie. Jamais, je n’ai porté de signes ostentatoires de ce que je pense au revers du blouson. Avec toujours une méfiance de tous les slogans. Même Ni dieu, ni maître. Uniquement porteur d'un badge à 15 ans, confectionné avec un morceau de miroir brisé : traversé un instant du reflet de l’autre. C’était mon petit jeu d'ado. L'âge de la quête d'originalité. Une époque où des épingles à nourrice ponctuaient certaines peaux. Aujourd'hui, d'autres quêtes d'originalité.

         Ne pas dire où ne pas penser je suis Charlie vous mettait d’emblée dans la case Suspect. Même auprès de certains amis. Comme d’être critique du gouvernement israélien peut vous valoir l’anathème d’antisémite. Pareil quand on dénonce l’islamisme (qui n’est pas l’islam), vous êtes taxé d’islamophobe. Imaginez quand vous êtes contre le Hamas, contre le gouvernement d’Israël, pour pouvoir critiquer le sionisme ( comme le communisme, le macronisme, le LFIsme, le centrisme, le capitalisme, le féminisme, et tous les istes), etc. Unanimité contre vous. Dans une époque où si vous n’êtes pas en-tiè-re-ment de mon bord, vous êtes de fait to-ta-le-ment mon ennemi. Et je crois que l’attentat contre Charlie a accentué cette façon de penser pour ou contre. On en voit bien les dégâts de nos jours.

        Quelques jours après l’attentat de Charlie, je rentre chez moi. Environ trois km à pied sur une nationale. «  Rentre chez toi ! ». Une invite peu amène de quatre types dans une bagnole. Prêt à m’expédier hors du pays. J’ai failli leur répondre ; c’est ce que je fais de rentrer. Mais leur mines extrêmement bas du front mon poussé à une certaine prudence. Que faire ? Ils ont ralenti. Faire demi-tour et cavaler ? Attendre qu’il s’éloigne ? J’opte pour continuer de marcher à mon rythme. La bagnole roule au pas. Soudain, elle accélère. Sauvé par une autre bagnole. Hasard ou en lien avec l’attentat de Charlie ? Je ne peux affirmer quoi que ce soit. Si ce n’est l’impression ressentie à cette période. Bientôt 10 ans que la joyeuse bande d’irrévérencieux de Charlie a été massacrée. Ils manquent. Mais d’autres continuent leur combat. Dont certains vraiment capables de rire de tout. Même de blasphémer Charlie. Rien de plus vivant que la dérision et l'autodérision. Souvent le marqueur d'une bonne démocratie.

          Niveau encore plus élevé au massacre du Bataclan. Plus tous les morts dans les rues de Paris. La tension m’a paru beaucoup plus forte que pour Charlie. Pas la presse qui était attaqué. Mais tout un chacun chacune. Un fils, une fille, une mère, un père, un grand-père, une copine, un copain… Et bien sûr soi. N’importe qui pouvait donc être l’une de ses victimes. On va encore payer, me disait un copain vivant à Paris. À nouveau, il s’était fait contrôlé par les flics. Pourtant un sexagénaire vraiment pas le profil de l’islamiste ou du voyou de quartier populaire. Il me raconte sentir des regards lourds dans le TER et chez les commerçants. Pas le seul à ressentir ce retour de la suspicion.

          Bien longtemps que je n’avais lu dans certains regards de la suspicion liée à mon faciès. Ça semblait s’être apaisé. Peut-être pour moi vieillissant. Pas du tout la même chose pour les jeunes des quartiers populaires. Pour eux, toujours le contrôle de police au faciès plus d’autres humiliations au quotidien.  Des gens ont peur de moi car métèque. Terroriste  ? Voile-t-il de force son épouse ? Je ressens à nouveau des inquiétudes chez certains concitoyennes et concitoyens. Et parfois une violence plus ou moins retenu dans tel ou tel  regard. Faut-il se méfier à nouveau ? Désormais, le retour de la parano. Avec bien sûr des erreurs de ressenti; pas dix millions de racistes et d'antisémites dans ce pays. Même si certains se lâchent ici ou là en douce France. Avec des mots ou des regards. Comme tout à l’heure dans le TER ?

          Deux trentenaires s’installent en face de moi. Chacun a un sac Mac do. Celui en face de moi ne semble pas très à l’aise. Il gigote sur son siège. D’un seul coup, il se lève, reprend son sac dans le râtelier. Je vais voir s’il y a de la place plus loin. Et il s’éloigne. Son copain affiche une mine stupéfaite, mais reste assis. Il commence même à manger. Je lui souhaite bon appétit. Il me remercie d’un sourire. Son téléphone vibre. Ok, répond-il, j’arrive. Il hausse les épaules. Avant de me parler. Pas très à l’aise non plus. Réalité ou mauvaise interprétation de ma part ? 

         Son copain ne voulait pas me déranger en mangeant en face de moi. Ce serait donc la motivation de son départ précipité. Ça ne m’aurait pas gêné du doute que vous mangiez ici. Il esquisse un sourire, me salue de la tête, et va rejoindre son compagnon de repas. Bien sûr, la machine à gamberger se met en branle. Tournant et tournant la scène en boucle. Je ne savais pas trop quoi en penser. Le premier qui s’était levé me semblait très troublé. Évitant mon regard. Ayant senti son malaise, j’ai détourné les yeux sur le paysage. De temps en temps, un regard en coin sur lui. Visiblement tendu.

           Timide ? C’est possible. Ne se sentant pas de manger face à un inconnu ? C’est possible aussi. Parti à cause de mon faciès ? Je me suis posé la question. Seuls, eux deux ont la réponse. Dans le doute, j’opte pour la timidité. Une façon de ne pas plonger dans la suspicion permanente. Même si la méfiance s’est ré-accentuée aux résultats électoraux du dimanche 30 juin. Et la semaine qui a suivi avec son lâchage de haine verbale contre les métèques. Avec quelques violences ici et là. Nombre de métèques désormais en vigilance ratonnade ?

         Ça fout la haine. Une réaction entendue ou lue ici et là. Et pas uniquement par des météquisés ( pour changer un peu de l'affreux et enfermant terme de racisé). Des gens dits de souche très remontés contre le déferlement de la parole raciste et antisémite. Mais aussi sexiste, homophobe, transphobe, etc. C’est vrai que ça fout la haine toute cette connerie humaine. Quelle bêtise de détester son prochain à cause de la couleur de sa peau, sa religion, son sexe, ou son orientation sexuelle. Alors qu’il y a tant d’autres raisons de détester son prochain. Parce qu’on le trouve con, radin, hypocrite, lâche, jaloux, pervers, vulgaire… Presque le paradis en France et sur terre de revenir à nos détestations classiques. Pouvoir à nouveau se traiter naturellement de con. Ce n’est pas la tendance actuelle. Une époque plutôt encline à détester l’autre (différent de soi, de ses proches, de sa manière de vivre, de prier, de penser, de manger, etc. ) uniquement pour ce qu’il est. Et indépendamment de ses agissements : bon ou mauvais. L’autre est coupable parce que l’autre.

       La colère. Ce genre de réaction me fout parfois  en colère. Mais c’est surtout la tristesse qui prévaut. Une forme d’abattement mêlé d'incompréhension. Comment des êtres équipés d’un cerveau peuvent-ils réagir d’une telle façon avec quelqu’un de leur espèce ? Qu'est-ce qui pousse à nier en partie l'humanité de l'autre ? Et contrairement à ce qu’on pense, pas que des bas du front avec les neurones noyés dans les p’tits jaunes à rallonges. Des intellectuels, des artistes ( très talentueux), des scientifiques, ont ce genre de réaction, même si ce n'est pas avec les mêmes expressions. On est tombés vraiment bien bas du front de France. Comme ailleurs en Europe dans le monde.

           Mais revenons à notre pays. Fort attristé pour un pays qui vaut beaucoup mieux que ça. Même s’il n’est pas parfait. Marianne ne mérite pas d’être d’une telle façon. Elle qui guide le Peuple depuis si longtemps. Sans jamais baisser les bras. Marianne n’a pas dit son dernier mot. Et a envie d'en transformer un. Pour s’adapter au nouveau monde en cours. Quel est ce mot qu’elle veut changer. En fait, le dernier d’un trio célèbre. Présent partout dans le pays. Jamais loin de Marianne.

Liberté Égalité Adelphité

          Basculer dans la haine contre la haine ? Certains individus ont franchi le cap. Leur jeter la pierre ? On fait tous comme on peut ou on veut. Pas toujours facile de tenir son cerveau reptilien en laisse. Qui peut se targuer d’avoir des réactions parfaites à chaque situation ? Des menteurs. C’est un mensonge de se croire un être parfait avec toujours la bonne attitude. Rien de nouveau sous nos cerveaux et poitrines de mortels imparfaits. Pour ma part, un certain nombre de défauts à mon ardoise. Mais il y a un sentiment que je ne ressens jamais. Où peut-être un dixième de seconde ou inconsciemment. Depuis l’enfance. Fort heureusement pas le seul dans ce cas ; l’état du pays et du monde serait encore pire. Beaucoup d’entre nous à être étranger à la haine.

           Contrairement à la colère qui peut m’habiter longtemps. Parfois rester vive très longtemps. Et même ne jamais retomber. Souvent, elle est liée à de l’injustice, du mépris, de l’arrogance, de l’humiliation ; tous les actes et propos cherchant à abaisser l’autre. Voire à le détruire physiquement. Mais pas de haine. Nulle intention de me charger de ce poison. Nocif pour soi et les autres. Et bien sûr pour elle. Souvent au bord de la dépression. Avec l’envie de tout plaquer. Mais elle se ravise à chaque fois. Pour donner l’exemple. Consciente de sa responsabilité. Pour 68 millions d’histoires de ce pays.

        Marianne la sans haine.

NB : Définition d'Adelphité : le mot désigne la relation entre deux personnes qui ont les mêmes parents, indépendamment de leur sexe ou de leur genre. Ce mot recouvre à la fois les notions de fraternité et de sororité.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.