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Billet de blog 18 août 2024

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Mettre les mots dans le cambouis

Répétition du chaos. C’était le premier titre de ce billet.Trop ronflant. Néanmoins,le sujet est bien la répétition du chaos. La propension des humains à reproduire de l’abominable. Retour toujours à la case destruction. Le chaos qu’un très grand auteur a si bien décrypté au siècle dernier. Une analyse au scalpel.Un homme à cheval sur deux siècles.Ses mots encore dans le cambouis de l'actualité ?

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Le Groupe Caute s'inspire de L’homme sans qualités, de Robert Musil. © © Amis du Garage-Théâtre

                 Répétition du chaos. C’était le premier titre de ce billet. Trop ronflant, m’a dit une de mes voix. Et avec raison. Titre ronflant mais qui ne réveillera personne dans « l’anesthésie général du buzz », a ironisé une autre voix. Elle a aussi raison. Néanmoins, le sujet est bien la répétition du chaos. La propension des humains à reproduire de l’abominable. Le chaos qu’un auteur a si bien décrypté au siècle dernier. Une analyse au scalpel d’une période avant la Première Guerre mondiale et jusqu’à la montée du nazisme. Un «  capteur d’époque » à cheval sur deux siècles et mort au bord d’une des nuits les plus carnassières générées par notre espèce. Autre temps, même répétition du pire ? La question s’est posée un soir d’été dans un ancien garage. Une bâtisse désormais recyclée en théâtre.

          Un ami nous a proposé d’assister à une sortie de résidence. En quelque sorte les premiers pas d’une pièce de théâtre. Elle a été inspirée de « L’homme sans qualités » de Robert Musil. Du lourd, très lourd, me suis-je dit d’emblée. Guère préparé à cette rencontre estivale de haut vol intellectuel. Les comédiens, le metteur en scène, la scénographe, les techniciens, sont issus d’une des « grandes écoles » du théâtre de France. Un groupe en résidence de création en bord de Loire. Y a-t-il de grands talents dans les « petites écoles »  de théâtre ? Question d’une de mes voix cherchant toujours la petite bête. Peu importe l’école. Ce qui compte est le travail en chantier du groupe Caute. Leur première représentation face à un public.

       Et une claque en direct. Un spectacle très fort et beau. Et avec cerise sur le gâteau de scène: la dérision. Pas du fast-humour dans une époque où ne pas rire est jugé quasi suspect. Une dérision parfaitement huilée. Ce groupe n’a pas eu peur de secouer la « divinité Musil ». Jouer avec sa pensée. Au risque de froisser les « vigiles de la pureté littéraire » enclins à momifier la littérature en ne l’offrant qu’à l’entre-soi de nos corps aux cimes dégarnis ou blanchis. Cette joyeuse bande œuvre avec une grande impertinence. Pour mettre une immense œuvre à hauteur d’oreille. Mais pas un spectacle pas pour n’importe qui. Quel niveau requis pour y assister ?

         Se sortir les doigts du cul. Une formule vulgaire ? Peut-être. Mais raccord à plusieurs niveaux avec ce spectacle inspiré de L’homme sans qualités. Une formule qui a du sens dans ce travail iconoclaste autour de l’œuvre géante de Robert Musil. Envie de rajouter en entendant certaines bouches pédantes ; parfois savoir se sortir les doigts du QI pour se laisser envahir par l’émotion brute, sans telle ou telle référence lue sur le magazine à demeure sur la table basse, ou la voix - qui sait - entendue à sa radio préférée. Fin de digression ; revenons au niveau requis pour voir une pièce traversé par le fantôme d'Ulrich, l’Homme sans qualités. Un texte inachevé qualifié de difficile d’accès. Quel degré de culture requis pour assister au spectacle du groupe Caute ?  Sa présence. Être là où il se passe quelque chose. En soi et à l’extérieur de son corps. Une présence au cœur de l'instant.

            C’est une pièce trop intello ? Une langue que vous ne maîtrisez pas  du tout ? Nombre de références vous manquent ? C’est possible. Même si complexe n’est pas nécessairement compliqué, et simple pas simpliste. Dans tous les cas, pourquoi pas laisser votre corps s’accaparer les mots d’un auteur à travers d’autres corps - ambassadeurs d’une langue et pensée - sur scène. Sans toujours chercher à tout vouloir comprendre d’emblée. Ne pas savoir peut-être un bel outil pour entrer dans une œuvre.  Comment se lâcher ? Se laisser aller comme face à la musique du vent, du ressac, le chant des oiseaux, un jour qui se lève, une nuit étoilée… Le théâtre, la littérature, la peinture, le cinéma, la danse, et tous les autres arts, ne sont peut-être que des paysages. Et nous en visite en terre intime.

            Le groupe Caute nous a envoyé une carte postale du monde intérieur de Robert Musil. Un paysage sombre. Son Homme sans qualités nous parle bien sûr d’hier. Et de l'abominable rimant souvent avec innommable. Mais l'auteur vient aussi nous éclairer sur aujourd’hui. Rappeler que le chaos se répète. Une répétition mortifère. L’avenir d’un jeune siècle en suspens. Plongera-t-il dans une nouvelle nuit ? Cette fois beaucoup plus dangereuse que les précédentes. Voire rédhibitoire pour notre planète et espèce humaine. Le siècle plongera-t-il dans une nuit nucléaire ?

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Le Groupe Caute s'inspire de L’homme sans qualités, de Robert Musil. © © Amis du Garage-Théâtre

        Certes un chaos avec d’autres visages et une langue contemporaine (communication, éléments de langage, like… ? ) Mais toujours le même but. Celui de vider l’homme de son humanité et pénétrer au plus profond son intime. Pour n’en faire qu’une mécanique à obéir. Une obéissance à Papa-Maman, l’instit, le prof, Dieu, le psy, le journaliste,le politique, son caddie… La liste n’est pas exhaustive de tout ce qui peut asservir et rendre manipulable. Toutefois pas interdit de croire en toutes ces images, et même de les admirer. Sans pour autant oublier que son existence est comme les soldes : ni reprise, ni échangée. Pas d’accord, dit une de mes voix. Je lui demande de préciser. La vie est toujours reprise à la fin, rajoute-t-elle. C’est vrai. Autant donc prendre son existence à bras-le-corps et l’instant. Redevenir le personnage principal de son histoire. Se mettre en haut de son affiche. Un monde avec huit milliards de Panthéon éphémères ?

        D’une grange  à un garage. Deux lieux avec désormais un autre chantier. Celui des mots et des images. Une grange visitée récemment dans un village isolé du Causse du Lot. Plus loin sous le toit du monde, un garage dans une petite ville de bord de Loire. Des espaces sur des lieux habités par des gestes du passé et dédiées à de nouvelles activités. Dans deux endroits loin des centres. Un éloignement en apparence. Car, en réalité, ce qui s’y fait nous ramène au centre. Celui de chaque être. Pour nous rappeler que nous habitons nos murs de chair, avec les fenêtres de nos regards et oreilles. Des portes sur l’autre et le monde. Pour un voyage permanent. Du lever au coucher. Même pendant le sommeil, on largue les amarres. Quelle est la destination de notre voyage ? Le centre de son histoire passagère.

           Comment conclure les digressions du jour ? Retour au Garage Théâtre de bord de Loire. Pour une invitation à un festival, sous le ciel de l’été d’ici. Une poignée de jours et de nuits dans un garage avec de nouveaux véhicules. Et des langues singulières en circulation. Avec comme carburant essentiel des mots – parfois venus d’hier ou plus loin – en écho avec le présent. Celui de chaque individu d’ici et d’ailleurs. Et le présent du monde. Avec son fumier et son cambouis. Plus toutes les beautés en cours ou à réaliser. Un lieu du vivant et de tous ses possibles. Un espace qui s'interroge sur les pannes de l’humanité. Pour réparer ce qui est réparable. Et inventer de nouveaux moyens de transport. Pour voyager de soi à l’autre. Et inversement. Voyage à bord d'un véhicule unique.

          Avec moteur à créations.

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© Amis du Garage-Théâtre

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