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Billet de blog 19 mai 2025

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Se remettre en cause

Quelques questions après un frottement générationnel. Notamment sur le pouvoir. Est-il inhérent à l’histoire de notre espèce humaine ? Tout me porte à croire que c’est en effet le cas. Mais j’aimerais avoir tort. Parce que notre espèce vaut beaucoup plus que la course au petit ou grand pouvoir. L’humanité mérite mieux que les egos et vanités des humains. Est-ce possible ?

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Illustration 1
© Photo: Marianne A

« C'est le b.a.-ba. C'est un peu idiot dit comme cela. Mais, s'il le faut, je le répète. Rester curieux, avide de l'autre. S'interroger. Se remettre en cause. Chercher les bonnes questions, les mettre noir sur blanc.»

Henning Mankell


          Un week-end en compagnie d’un groupe de jeunes. Plus deux couples d’amis. Une dizaine en tout. Deux générations différentes partageant une parcelle de printemps. Les jeunes sont des LGBT qu'on pourrait qualifier de militants. Un monde que je ne connais pas du tout. Commencent des échanges autour d’un apéro sous le ciel de Picardie. Je tends l’oreille. Ils m’apprennent nombre de choses sur leur existence et leur lutte. En les écoutant et les regardant, j’ai ressenti très vite une étrange impression. La sensation - à côté la plaque ? - d’être comme face à des exilés. Bien sûr toutes proportions gardées avec l’exil de la « mer ou -et- la mort ». Un grand écart très casse-gueule ? Sans doute. Pourquoi alors employer le terme d’exilés ?

           Parce qu’ils et elles m’ont paru  se trouver dans une sorte d’entre deux. Venus d’un ailleurs sans avoir traversé de frontières. Ou invisibles. Mais plus ou moins contraints à fuir un territoire dangereux pour eux et elles. D’où sont-ils venus ? En quelque sorte, les exilés d’une humanité en majorité hétérosexuelle et patriarcale. Ils et elles ayant un certain nombre de points en communs avec les « immigrés métèques ». Notamment l’appréhension d’une violence à leur encontre. Dont la peur de la ratonnade LGBTphobe dans les espaces publics. Malheureusement, c'est toujours une réalité. Et comme pour les immigres inquiets des ratonnades, l’importance de se regrouper pour se protéger. Restés très soudés. Ensemble pour faire front contre les attaques de la haine de la différence. Comme pour les émigrés de tous les pays. Une population fragilisée et en danger.

          Pourquoi ne pas m’être intéressés plus à leur lutte ? Je me suis interrogé sur mon  peu d'intérêt. Des vieux relents de ma jeunesse baignée dans un milieu homophobe et sexiste ? Cette question m’a traversé. D’autant plus que, à plusieurs reprises, l’une de mes interlocutrices m’a dit que j’étais sexiste. Et si elle avait raison ? Peut-être que je le suis sans m’en rendre compte. Homophobe et sexiste à l’insu de mon plein gré, comme disait un cycliste pris la main dans la dose de dopage.Dopé toute mon enfance au masculinisme ? À mon avis, je ne suis pas ce dont on m’a qualifié. Néanmoins, souvent pas le mieux placé pour voir ce qui est intériorisé. Quoi qu'il en soit, je vais creuser plus le sujet du genre et des luttes LGBT. Un sujet contemporain incontournable. Et des combats d'aujourd'hui qui ont du sens.

        Au fil de la soirée, la conversation s’échauffe. Avec les verres et les degrés qui augmentent. Le duo ayant participé à ce long échange nocturne aura sûrement une autre vision que la mienne. De mémoire sujette à caution et sans doute fictionnée, je me souviens d’une accélération polémique notamment autour de deux de mes propos. Le premier est ma critique du vocable enfermant à perpétuité de racisé. Et mon deuxième propos concernant les manifs. Persuadé depuis mon très jeune âge que ça ne sert pas à grand-chose. Si ce n’est de ne pas se sentir seul. Et c’est au fond très important. Pas parce que battre le pavé n’est pas mon moyen d’expression de colère ou de joie que c’est pareil pour la majorité. Qui es-tu- pour polluer leur espoir ? À chaque être, sa façon d'essayer d'agir sur le monde. Ou de s'en tenir à l'écart. Voire de s'en foutre de l'état de notre espèce humaine. Pas une règle unique d'être au monde.

         Pour le terme racisé, je n’en démords pas. Ce terme aurait dû rester dans les labos de la sociologie et des autres sciences humaines. Comme, durant le Covid, une terminologie cientifique n’aurait pas dû envahir la toile et nous transformer en pathétiques épidémiologistes auto-proclamés. Ce terme de racisé est un ferment de division. Comme à l’époque de Touche pas à mon pote. Une forme de néo-colonialisme planqué derrière le masque de la bienveillance. Les potes d’un côté avec leurs bons protecteurs blancs. Et de l'autre côté les méchants   petits blancs ». Celles et ceux qui refusaient de porter cette main jaune étaient aussitôt qualifiés de réacs, voir racistes. Fallait marcher au pas de « la bande à Harlem et Mitterrand » ou être du côté des salauds. Que va penser un  « racisé » rencontrant un « non racisé » ? Ai-je affaire à une ou un raciste ? Bonjour l’ambiance.

         Critiquer le terme racisé vous place très souvent dans le « mauvais camp ». Un lecteur de Médiapart m’a reproché ma prise de position dite « réac » sur ce sujet et dit qu’il ne me lirait plus si je persistais. C’est son droit. Et le mien de ne pas penser comme lui et de persister. Déjà plusieurs fois que ce sujet a été abordé sur ce blog. Et ce sera la dernière. Pour que ça ne devienne pas une obsession. Bien que, comme d’autre sujets, c’est important d’en débattre. Et que chaque souffrance humaine a sa légitimité. Toutefois, il me semble qu’une problématique sémantique est moins urgente que des urgences. Comme le massacre génocidaire en cours d’un peuple à Gaza et ailleurs en Palestine, la guerre en Ukraine, la destruction du Yémen, les migrants entre vie et mort sur les flots, les centaines de millions d’enfants et adultes vivant dans la pauvreté et lmisère… … Sans bien sûr oublier le réchauffement climatique. Vaste urgence-s contemporaine-s. 

       Misanthrope et réac. Deux ou trois fois ces dernières années, j’ai eu le droit à ces étiquettes. Et peut-être pas entièrement à tort. Notamment, quandnd je me retrouve dans la position du « desespéreur » d’espoir. À ma décharge, cela m'arrive peu souvent. Je fais très attention à ne pas polluer les rêves de monde meilleur. Mais parfois dans la peau du vieux coq bardé de sa vision misanthropique et peut-être aigrie. Après le débat récent, j’ai repensé au « Steak », de Jack London. Me trouvant dans la peau du vieux boxeur. Comme quand jeunes, nous nous « faisions » un vieux con. Souvent qualifié de vieux beauf, stalinien, gaulliste, réac, raciste, sexiste, et autres joyeusetés. Aujourd’hui, je me sens parfois dans la peau de celui que nous nous « faisions ». Plus ou moins paumé. Avec quelques certitudes en bandoulière. Mais aussi fort heureusement une bonne dose de doute. Et des questions sans réponses. Les vieux coq(e)s toujours mis KO par les jeunes coq(e)s ?

          J'ai repensé à mes deux contradicteurs : un homme et une femme. Duo très brillant et sympathique. Avec comme on dit de nos jours, des réfes très variés. En plus impliqué dans le quotidien, à travers leur boulot et actions politiques sur le terrain. Développant des arguments qui m’ont permis de m’interroger et de remettre en cause certaines de mes idées, et même réflexes. Sans doute sont-ils plus à même d’évoquer la réalité qu’un sexagénaire restant planqué en recul sur son clavier. Toutefois, un élément m’a paru non négligeable dans notre échange. Celui du désir de pouvoir. Celui de mes contradicteurs et le mien. Sont-ils en train d’intérioriser les réflexes des dominants qu’ils combattent ? Déboulonner pour à terme se « boulonner » à leur tour en nouvelles statues à déboulonner  ? Et moi, suis-je en train de conforter un désir de pouvoir ? Héritier des réflexes de domination du vieux monde ? Un débat entre un vieux coq et deux nouveaux coq(e)s ? Des questions à se poser. Une problématique transgénérationnelle.

           Un jour, on m'a qualifié de mâle blanc dominant et privilégié. Ce genre de raccourci (j’essaye d’en être de moins en moins adepte.) n’est-il pas un désir de disqualification d’emblée de l’autre et gagner des points sur le dialogue en cours ? Le débat, quel qu’il soit, n’est-il pas une volonté de prise de pouvoir. L’amour, l’amitié, ne sont-ils pas aussi dans cette même mécanique ? Cette course à avoir le premier la réponse du moteur de recherche n'est-ce pas une quête de " pouvoir de table" ? Les artistes, les journalistes, les politiques, ne cherchent-ils pas eux aussi à dominer d’une façon détournée ? Le pouvoir, sous toutes ses formes, visible ou non, est-il inhérent à l’histoire de notre espèce humaine ? Tout me porte à croire que c’est en effet le cas. Mais j’aimerais avoir tort. Parce que notre espèce vaut beaucoup plus que la course au petit ou grand pouvoir. L’humanité mérite mieux que les egos et vanités des humains. Est-ce possible ?

          En tout cas, très heureux d’avoir rencontré cette bande de jeunes. En plus pas du tout des militants bornés. Ne se confinant pas à une « lutte de niche ». Engagés dans de nombreux autres combats. Et capables aussi de vivre des histoires d’amour, se marrer, s’engueuler, être en désaccord, réfléchir, se contredire, dire des conneries, reprendre une bière, rêver… En bref, une jeunesse vivante. Certes déstabilisante. Voire déboulonnante. Mais elle nous pousse à penser plus loin que nos certitudes. Sans pour autant tomber dans la démago consistant à mimer leur pensée. Certains et certaines abondent dans le sens de la jeunesse pour bien se faire voir et ne pas avoir d’ennui. Leur jeter la pierre ? On fait comme on veut ou on peut.

            Peut-être que ce texte est à côté de la plaque. Et que j’ai tort. C’est possible. Dans ce cas, j’espère être capable de contredire ce billet. Et même de changer d’avis. Dans tous les cas, rien de plus naturel que le frottement de générations différentes. Même avec des heurts et des incompréhensions. Toutefois, on peut avoir quelques éléments en commun pour le présent et le futur de notre monde. Sans bien sûr être en accord sur tout. Mais au moins ne pas remettre de la boue sur de la boue. Ni une dose de confusion et de division. Toujours ça de ne pas rajouté au pire. Et donc de positif.

        Le chantier du frottement d'idées reste ouvert.

         En guise de conclusion de ces interrogations-digressions, une poésie qui refuse de marcher au pas...

Léo Ferré : Il n'y a plus rien © Léo Ferré

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