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Billet de blog 19 juil. 2022

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Vue sur cendres

[Rediff] L’écran est en flammes. Son enfance aussi. Sa première chambre avec vue sur les bois. La forêt de ses premières frayeurs. À l’âge où elle était encore imprégnée des contes lus par sa grand-mère. Plus tard, la forêt est devenue sa confidente. Elle lui racontait ses joies et ses malheurs.Dès le réveil, elle voyait les arbres de la fenêtre de sa chambre. Ses amis. Sa dernière chambre avec vue sur cendres.

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Mickey 3d - Respire (Clip officiel) © mickey3d

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               L’écran est en flammes. Son enfance aussi. La forêt de ses premières frayeurs. À l’âge où elle était encore imprégnée des contes lus par sa grand-mère. Plus tard, la forêt est devenue confidente. Elle lui racontait ses joies et ses malheurs. Parfois partageant de longs moments de silence toutes les deux. Elle construisait des cabanes et y dormait avec des copines. Restant des heures à observer les animaux avec les jumelles offertes pour ses dix ans. Sa première chambre avec vue sur la forêt. Elle ouvrait sur ses centaines d'amis. Avec des branches ouvertes comme des bras. Une présence nuit et jour. Les bruits de moteurs dans l’air matinal la mettait souvent en colère. C'étaient les ouvriers de la scierie  située à une dizaine de km. La petite fille les avait surnommés « tueurs d’arbres ». Aujourd’hui, le tueur avance sans grand bruit. Il est beaucoup plus rapide et efficace pour la destruction. Un tueur sans état d'âme. Avec un seul objectif: plus rien dans son sillage. Il vient de détruire une grande part d'elle.  Touchée dans la chair de son histoire. Sa dernière chambre avec vue sur cendres.

      Elle change de chaîne. La forêt incendiée remplacée par la plage. Là où elle avait appris à nager, jouer au volley, pêcher… Et l'aube sous un ciel étoilé d'août. Il était hollandais. En vacances avec ses parents dans un camping-car. Il avait 17 ans, elle 15. Son prénom ? Elle l’a oublié. Pas son corps. « Mon premier amant était un très bon. À cause de ça que j’ai toujours mis la barre haute en matière d’homme ?» , ironisait-elle. Six décennies de ciel, de vagues, de vent... Jusqu’à cette fumée noire. Nuit en plein jour.

       Ses yeux se posent sur la fenêtre. Le soleil est devenu le complice des tueurs d’arbres.  Elle lui en veut. Pourtant qu’est-ce qu’il lui manque. Chaque centimètre de sa peau en a été nourri. « Notre fille est un vrai lézard ». Elle était capable de rester des heures durant immobile sur le sable sous un soleil écrasant. Une adepte du naturisme. Désormais, elle est contrainte à l’ombre dans sa chambre. Une infirmière vérifiant sans cesse qu’elle s’hydrate. La retraitée de la 211. Une bière bien fraîche en terrasse du «  Bar des vents », avec une clope, le regard sur les beaux nageurs et la danse des vagues. Son dernier rêve vient de partir en fumée.     

  Le soleil n’y est pour rien, se ressaisit-elle. Consciente qu'il n' a pas trahi son enfance et le reste de son existence. Ce n'est pas le responsable principal du réchauffement climatique. Elle le sait. Les hommes en sont les principaux responsables. Certains beaucoup plus que d’autres. Notamment les cyniques aux leviers de la planète ; ils sont en course permanente à toujours plus de fric . Peu importe la destruction, si les chiffres sont bons et surtout à la hausse. Leur cynisme planqué derrière des discours allant dans le sens de la colère contre leurs propres agissements. Indéniable qu'ils sont très forts en enfumage. Capable de se faire passer pour des champions de la défense de l'environnement en continuant de polluer en distanciel. Le col toujours blanc, les mains sur le clavier. Des caméléons planétovores et spécialistes de la com. Guère un scoop, souffle-t-elle. Etre colère et défaitisme.

      Comme beaucoup, elle a adopté tous les petits gestes du quotidien pour préserver la planète. Même en ne supportant pas la culpabilisation écolo lui rappelant celle de la religion. Une athée indécrottable, même en fin de vie. Depuis toujours, elle ne supporte pas les religions du « iste » avec ces nouveaux missionnaires voulant éduquer à la baguette. Une baguette qui ne s'abat plus sur des doigts serrés mais sous le crâne. Je m'habille comme je veux. Je baise comme je veux. J'écris comme je veux. J'aime qui je veux. Je hais qui je veux. Je pense comme je veux. Une façon de vivre qu'elle a toujours défendu bec et ongles. Je meurs comme je veux. Prête à un voyage en cachette de ses enfants en Suisse ou Belgique pour, quand elle l'aura décidé, une fin sans souffrance. Elle se revendique « Commejeveutiste». Contrairement aux faux-culs plus immaculés qu'immaculés, mon égoïsme est assumé, réplique-t-elle quand on la critique sur sa manière de penser et de vivre. Plus aucun mot dans sa poche en vieillissant.

         Un sourire pointe sur ses lèvres. Quel beau ciel ensoleillé, se dit-elle en rapprochant son fauteuil roulant de la fenêtre. Qu'est-ce que c'est ? Un vol d'oies sauvage. Elle les suit des yeux. « N'écoute pas trop mes délires de vieille femme. Je peux raconter n'importe quoi. Tu y es pour rien dans ce merdier.» Bien longtemps qu'elle parle au soleil. Comme à un vieil ami. « Tu te contentes de faire ton boulot depuis des millénaires. Notre éclairage chaque jour plus tout le reste. Tu n'as rien à te reprocher. C'est nous les humains qui faisons des conneries. Moi, lui, elle... Mais en réalité les réchauffeurs de climat les plus dangereux ne sont qu'un une minorité de Terriens. Des clones fabriqués dans les plus grandes écoles du monde.  Très brillants et puissants, ils peuvent jouer avec le feu s'il peut rapporter. Faut que l'industrie tourne même si ça crame la planète. Des pyromanes planétaires alimentant la machine à tuer le vivant.  Des gens qui ne pensent qu'au pognon et garder leur pouvoir. Si eux ne dégagent pas, ce que je fais, mon p'tit tri sélectif, servira pas à grand chose. Si ce n'est à ma conscience. Mais, bon, je le fais quand même. Toujours ça de merde en moins.» Elle fait un signe vers le ciel.

      Que faire pour échapper à leur pouvoir mortifère ? Inquiets que quand leurs actions sont à la baisse. Moins consommer c'est un bon début pour couper leurs vivres. Ne pas remplir son caddie en fonction de leurs injonctions à acheter relayées par nombre de médias vivant sur la pub. Les attaquer à ce qui est le plus cher pour eux: leur portefeuille d'actions. Elle l’a fait à son petit niveau. Sans le moindre souci. Une femme peu encline à la sur-consommation. La contemplation et le plaisir de l'ennui l'ont protégé de la quête fébrile à combler à tout prix son vide au lieu de l'habiter. Elle achète encore moins, fait réparer de plus en plus. Une femme écoresponsable - un terme qu'elle déteste. Les autres tous des irresponsables ? Encore une habile façon de diviser entre bons et méchants, pense la liberterre. Elle a boycotté Amazone, Uber, et d’autres entreprises ne respectant pas l’humain et la planète. Refusant de cautionner ce modèle de société.

        Et le quasi-esclavage dans les mines de cobalt. Elle le cautionne. Chaque jour sur son Smartphone. Un téléphone performant alimenté par la sueur et le sang de gosses et adultes grattant le sol pour survivre. Grande militante pour l’Ukraine. Elle a fait des dons et proposé son appartement resté vide pour accueillir des Ukrainiens. Beau réflexe contre une ordure de dictateur. Un homme responsable de l'invasion d'un pays, de milliers de morts et de blessés, plus tous les exilés. Le même réflexe ni indignation pour les centaines de milliers d'Irakiens morts sous les bombes américaines ? Non. Ni pour les Yéménites tués par les armes françaises. Et toutes les autres populations écrasées en ce moment.

           La douleur de l'autre plus importante quand l'autre nous ressemble ? Impossible de ne pas avoir de contradictions. Elle en a conscience. C'est pour ça qu’elle ne donne jamais de leçons aux autres. Préférant se concentrer sur son petit apport pour que ça aille moins mal. La goutte d'eau d'une vieille femme qui a encore de l'espoir. Moins à l'Homme qu'en l'humanité. Malgré nombre de désillusion, déçus de proches et d'éloignés, elle n'a pas voulu céder au «y a plus rien à faire» ou «c’était mieux avant ». Toujours active. Certes plus par la tête que le reste du corps lui échappant de plus en plus. Toujours ouvert son chantier de vivante. Chaque jour à construire. Continuer de s’améliorer est son credo. La mort cueillera une imparfaite, sourit-elle. Un sourire cache-anxiété. La date butoir se rapproche.

        Rien de pire que ses images de terres brûlées. Une sorte de carte postale de la désolation sur le seuil de son départ sans retour. Partir avec ses images lui noue le coeur. Elle ne cesse de chialer devant son écran. Une vieille gosse assistant à la destruction de milliers d’hectares de forêt. Le décor de son passé, de ses premiers pas jusqu'à la retraite, qui est en train de disparaître. Elle pense aussi à tous les jeunes, passagers de l’été ou habitants à l’année, qui vivront leurs premières fois dans un paysage bouffé par les flammes. Comment rêver et jouir sur les braises  d'un monde en feu ? Consciente en accéléré de la chance qu'elle a eue. Privilégiée même avec son salaire d'employé de bureau.

       Arrête de culpabiliser sinon les vrais nantis auront gagné, lui susurre sa petite voix. Bien sûr que je suis privilégiée, insiste-t-elle. Persuadée d'être une gâtée du siècle. La petite voix rajoute : les privilégiés ne finissant pas avec une retraite de 1400 euros en ayant commencé à travailler à seize ans. Pas la première fois que toutes les deux sont en désaccord. « Plusieurs feux pourraient être d’origine criminelle ». Le bandeau de mots défile sous des images de canadairs allant puiser l’eau de l’océan. Ce même océan asphyxié par nos  déchets de plastiques. Putain de pyromanes ! gueule-t-elle. Impuissante dans sa chambre d’EHPAD. Elle ne peut que constater. Juste une colère ponctuée de larmes. Inutile.

            Comment vouloir s'amuser alors que tout brûle autour de soi ? Tous chaussés de tongs et en maillots de bain. Deux d'entre eux tiennent un surf. Elle leur a gueulé dessus. Avec une brusque envie de traverser l'écran et de leur botter le cul pour qu'ils aillent aider les secours. Secouer ces jeunes cons ne pensant qu'à jouir. Puis elle aurait voulu aller insulter les parents les ayant élevés dans cet état d'esprit. Liberterre très en colère. « On va tout replanter. Ce sera notre rôle à nous. ». Les quatre mots du jeune homme la calment. Le même à qui elle voulait botter le cul. Lui et ses copains sont interviewés sur une plage hors de portée des flammes. Le nuage de fumée provenant de très loin. Ces gosses veulent continuer de profiter des plaisirs de leur âge Pourquoi les juger ? Les pyromanes de toutes sortes ne doivent pas brûler aussi le désir, se dit-elle. Les yeux fixés sur l'océan.

          Toutes ses premières fois remontent à la surface. Elle repense à la forêt, la plage, le souffle du vent, le lever et le coucher de soleil, les poissons aussitôt pêchés et grillés, la fraîcheur de l'eau sur sa peau, les grains de sable glissant entre ses doigts, les mots, les silences sur l'horizon… Tout ce qui l’habite encore. Elle se sent redevable.  Commes des ardoises jamais réglées. Partir sans les règler ? Hors de question pour elle. Aujourd’hui, elle a envie d’honorer sa dette avant son grand voyage. Rendre la monnaie de sa pièce à tous ces lieux et instants. Comment régler tout ce qui a nourri son cœur ? Juste un mot. Pour effacer ses ardoises.

        Merci.

NB: Une fiction inspirée de tweets de plusieurs internautes dévastés par les incendies. Certains parmi eux évoquaient toute leur histoire dans ces lieux calcinés. Avec colère, tendresse, tristesse, abattement... Une poignée de caractères numériques pour tout un pan de vécu réel. Comme si des " cartes postales de leur enfance" partaient en fumée sur l'écran.

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