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Billet de blog 19 octobre 2022

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Quelles clefs ?

Perdre pour se gagner. Parfois nécessaire le passage par la perte. Le fera-t-il ? Lui, le coq, le mâle dominant, décidera-t-il de cesser de vouloir gagner à tout prix ? Peu importe les dégâts s’il obtient son gain. Sans se soucier du mépris et de l’écrasement de l’autre. S’en rend-il compte ?

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Illustration 1
© Marianne A

« Pour conserver, il faut accepter de perdre, et pour vivre, il faut mourir un peu. »

Jack London

                    Perdre pour se gagner. Parfois nécessaire le passage par la perte. Le fera-t-il ? Lui, le coq, le mâle dominant, décidera-t-il de cesser de vouloir gagner à tout prix ? Peu importe les dégâts s’il obtient son gain. Sans se soucier du mépris et de l’écrasement de l’autre. S’en rend-il compte ? Certains en ont conscience. D’autres, comme lui, pas du tout. C’est intériorisé. Quasiment naturel puisque c’est sa façon de penser et de vivre depuis l’enfance. Quel que soit le lieu. Même dans un enterrement, ses larmes devaient être au centre du deuil. Tout doit transiter par sa personne. Surtout sa langue. Il parle jusqu’ à plus soif. Sur quels sujets ? Lui ou ses projets. Au début, certains et certaines sont fascinés. Un séducteur très brillant. Capable d'emballer n'importe qui. Notamment en divisant pour mieux séduire. Au fil du temps, ses spectateurs finissent par détourner le regard et se taire. Le silence s’effaçant aussi. Que reste-t-il ? Ses traces de crocs dans le vide autour de lui. Abandonnera-t-il sa panoplie de coq ?

La rencontre avec une femelle dominante. Ça ne se dit pas ? L’auteur de fiction libre de choisir ses mots et d’en inventer, est inscrit dans le marbre de la fiction. Quand un mâle dominant rencontre une femelle dominante…. Ce genre de femme n’existe pas ? Certes, dans la réalité, elles sont très minoritaires, mais on peut en croiser sur son chemin. Ce qui lui est arrivé. Plus intelligente. Plus cultivé. Plus talentueuse. Plus belle. Plus riche. Plus que lui. Il a essayé de rivaliser et de la dominer. En vain. Elle a d’abord fait semblant de ne pas le voir. Ayant tout de suite compris que ça le déstabiliserait. Puis elle a daigné peu à peu faire mine de s’intéresser à lui. De loin et surtout haut. Pour finir par piquer sur sa proie, planter son regard dans ses yeux. Et le vider de l’intérieur.

En une conversation.  Dans une grande tablée lors d’un séminaire. Tous et toutes travaillaient pour le même groupe. Une nouvelle dans la société. Il n’a pas vu tout de suite qu’elle occupait un poste beaucoup plus haut que le sien. En bref, une des membres du staff venue du siège social. Elle lui a laissé croire qu’il lui était supérieur. Au début de leur échange. Puis, peu à peu, elle a élevé la voix et commencer à détruire chacune de ses phrases. « Qui c’est cette nana ? ». Il a glissé la question à l'oreille de son assistant direct : un quart de siècle qu’ils travaillent ensemble. « Paraît que c’est elle qui va diriger toutes les opérations du groupe.». Il s’est redressé et a remis sa panoplie. Elle a redoublé ses coups. L’œil méprisant, elle lui a rappelé sa place dans l'organigramme : un banal cadre commercial. Qu’il s’estime heureux qu’elle aie accepter l’échange. Une remise à sa place par une humiliation publique. Puis, après un silence, elle s’est levée. Un dernier regard à son adversaire. Elle sourit. Un large sourire partagé avec le reste de la tablée. Son adversaire sonné au-dessus de son assiette.

Une nuit d'homme sous le ciel de ses larmes. C’est ce que tu fais tout le temps, lui répétait une petite voix. Première fois qu’il l’entendait. Pourtant, elle a si souvent tenté de l’alerter. Cette fois, une voix refusant de baisser le ton pour ne pas le gêner. Il allait l'entendre. Et même l'écouter jusqu'au bout. Elle égrenait les visages dévastés des hommes et des femmes qu’il avait détruit de la même manière. Toujours le plus fort. Jusqu’à ce soir où tout a basculé. Une sorte de prise de conscience en accéléré. Comment changer ? Ce masque dominant était sa protection. Sans lui, il se serait senti à poil. Vulnérable. Pourtant une soudaine envie de fragilité. Ne plus avoir à se prouver qu’il est le plus, le plus… Une preuve adressé à lui. Mais aussi à celui qui lui disait : « Ta sœur a réussi. Toi, t’as même pas eu ton bac. ». Jamais la moindre félicitation du père. Quelques instants avant sa mort, le père tenait la main de sa fille. Il la dévorait du regard. Avec des larmes dans les yeux. Son fils lui a pris l’autre main. Il l’a repoussé. Parti sans un regard pour son fils. Laissant dans son sillage brisant un homme de cinquante ans paumé dans une chambre d’hôtel.

 Le lendemain, son téléphone vibre. Un numéro qu’il ne connaît pas. Répondre ou non ? Il ne sent pas de parler à qui que se soit. Plus sa langue de combat et de séduction. Complètement à terre. Il accepte l’appel. « Bonjour cher Monsieur. Comment allez-vous depuis notre conversation ? ». Il fond en larmes. «  Désolé, mais je… Je… ». Il n’arrive pas à parler. « Votre silence est un bon début. Le signe que votre votre boulot a commencer. Si bien sûr, vous l’acceptez. ». Il fronce les sourcils. « De quel boulot s’agit-il ? ». Silence au bout du fil. «  Pas celui que vous croyez. Je ne travaille pas dans votre société. En fait, j’ai réussi à me glisser dans ce cocktail grâce à vos deux enfants et deux de vos collègues. Il se frotte la joue. Une blague ? « En fait, je suis comédienne et psychanalyste. ». Il ferme les yeux. «  Putain ! Vous m’avez humilié et… Et en plus, je vais paumer mon boulot à cause de vous ! ». Il se redresse. Le mâle bombe le torse. « Votre lettre de licenciement est partie ce matin. C’est votre collègue qui a dû l’envoyer. Vos supérieurs ne voulaient plus de vous. ». Il reste sans voix. « Ce que j’ai joué n’est pas un rôle de composition. Je suis une femme dominante. Une manière d’être que j’essaye de changer. Mais pas facile. J’ai encore du boulot. Et pour vous, ce serait... ». Il coupe la communication. « Grosse conne ! ». Il se laisse tomber sur le lit. Abattue. Son orgueil noyé de larmes.

Environ une heure après, il incendie son collègue. Un vrai torrent de reproches et d'accusation de trahison. Persuadé qu'il se confondra en excuses. «  Les filles de l’équipe se sont plaintes de harcèlement. Elles ont des preuves. Tes mails méprisants ont circulé. Même des gars de l’équipe se sont plaints aussi. Impossible de te parler. Tu es si sûr d’avoir raison. Nous écrasant tous. Pareil pour moi. Pourtant on a commencé ensemble dans la boîte. Tu me traites comme une merde. Faut que tu comprennes qu’on en a marre. Même tes gosses... ». Il a coupé. Nouvelle éruption de larmes. Cette fois de rage. Il appelle ses deux enfants. Tous les deux sur boîte vocale. Il les agonise d’injures. Puis il envoie un mail groupé à toute son équipe pour les insulter. Un grand soupir de soulagement. En les insultant, il a repris sa place. C'est lui qui a décidé de leur relation. Remonté sur le ring.

Dans la nuit, l'annonce sonore d'un texto. « Papa, arrête avec ton image. C’est pas toi ça. C’est ton père qui t’a mis ça dans la tête. Lâche tout et c’est sûr que tu te sentiras mieux. Avec toi. Et avec nous. On t’aime, Papa. Mais faut que tu changes. Sinon, tu vas tout détruire. Nous et toi. Faut que tu arrêtes de tout vouloir dominer  écraser. nous ne sommes pas des objets. Écoute un peu les autres.». Le texto de son fils a fait l’effet d’une gifle. Il se serait attendu d’une telle réaction de sa fille. Pas de son fils. Je l’ai élevé comme j’ai détesté que mon père m’élève. Je l’ai élevé comme j’ai détesté que mon père m’élève. La phrase tournait en boucle dans sa tête. Une soudaine prise de conscience. Ce qu’il avait vomi et fui était en lui. Bien accroché sous sa peau. Et il avait continué de le transmettre. Sa fille aînée sur un piédestal, son fils relégué dans l’ombre. Une claque dans ses certitudes d’avoir échappé aux griffes de son père.Il a ouvert la fenêtre et allumé une clope. Sa chambre se trouve au dix septième étage. Il a promené le regard sur la ville avant de baisser les yeux. Aimanté par le trottoir.

Deux ou trois mois plus tard, il attendait dans une petite pièce. Seul. Qu’est-ce que je fous là ? Il gigotait sans cesse sur son siège.Tire-toi, tu as rien à faire ici.Tu n'est pas un faible, toi.  Il s’est levé. Rien à foutre ici, se dit-il. Ses clefs de voiture à la main. « Bonjour cher Monsieur. ». Elle a un large sourire aux lèvres. Il dansait d’un pied sur l’autre. Face à celle qui l'avait  mis KO. Pas un jour sans penser à la scène du restaurant. «  Tout d'abord, un grand bravo. C'est très sincère. Venir jusqu’ici et déjà une victoire. Si vous le souhaitez, vous pouvez vous en contenter. Rester sur cette victoire. Ou en obtenir d’autres. À vous de décider de la suite des événements. Je suis dans mon bureau.». Elle est sortie de la salle d’attente. Que faire ? Ses clefs de voiture dans la main.

Et celles de son histoire ?

       PS : Le mâle dominant n’est pas une espèce en voie de disparition. Je l’ai été. Notamment par une forme d' humour permanent parfois prise de pouvoir.  Je le suis sûrement encore de temps à autre.  De moins en moins. Autrement dit, cette fiction recèle une part autobiographique. Mais ( des restes de mâle dominant ?), je trouve que le terme déconstruction est mis à toutes les sauces. Une sorte de mantra sociétal incontournable. Comme résilience- bel outil de reconstruction des êtres blessés- à une époque. Pas un jour sans se résilier. Aujourd’hui, la résilience est devenue quasiment un slogan de pub et mis à toutes les sauces commerciales. Bientôt, on vendra des voitures déconstruites ou des I-Phone déconstruits ?

Critiquer l'omniprésence du terme déconstruction (un concept pour s'améliorer très intéressant) vous relègue aussitôt dans le camp des ringards ou carrément des réacs. Parfois sans laisser la place à un quelconque débat. Comme quand tout non porteur du badge «  Touche pas mon pote » était  catalogué comme potentiel raciste. Après «  Lettre à ceux qui sont passés du Col Mao au Rotary club », « Celles et ceux qui sont passés de la déconstruction à la construction de leur pouvoir. » ?La question peut se poser en écoutant certains et certaines ici ou là.

Ces quelques lignes ne seront peut-être pas du goût de la rédaction de Médiapart et de certains de ses lecteurs et lectrices. Même de très bons copains et copines auront des désaccords avec ces propos. Pour ma part, il me paraît important aussi de déconstruire la déconstruction. Même en étant d'accord sur de nombreux points. Sans pour autant être une grenouille de bénitier de la déconstruction. Critiquer ce qui est incritiquable me semble un bon réflexe mental ? Encore plus important pour les poètes, les caricaturistes, les artistes en général. Et tous les irrévérencieux et irrévérencieuses. Tout pouvoir critiquer est un des signes de la  bonne santé des libertés individuelles. À commencer par la critique de soi.

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