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Billet de blog 20 mai 2015

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Les voyages forment la vieillesse

       C’est notre jour. Je sais qu’il adore y aller. Moi aussi, ça me change d’ici. C'est bien de sortir un peu. Depuis qu’on est installés dans cette maison, on bouge quasiment plus. Faut dire que c’est pas avec sa retraite qu’on pourrait aller très loin. Et moi, j’ai bossé que quelques années. A cause d’un problème au ventre.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

C’est notre jour. Je sais qu’il adore y aller. Moi aussi, ça me change d’ici. C'est bien de sortir un peu. Depuis qu’on est installés dans cette maison, on bouge quasiment plus. Faut dire que c’est pas avec sa retraite qu’on pourrait aller très loin. Et moi, j’ai bossé que quelques années. A cause d’un problème au ventre. Certains l’appellent l’intestin irritable. Les plus savants disent colopathie fonctionnelle. En tout cas, j’ai des crises qui m’ont toujours empêché  de bosser. Elles peuvent arriver à n’importe quel moment. Y en a qui disent que c’est dans la tête tout ça. Que je pourrais faire un effort. Y  savent pas ce que c’est d'avoir le ventre comme en feu. Je suis pas une fainéante. Pas un choix. Lui sait que c’est pas du cinéma pour rester à rien foutre. Et il m'a jamais fait de reproches.

 Il se prépare dans la salle de bains. Sûr qu’il va mettre sa plus belle veste avec une chemise blanche. A 83 ans, il est toujours intransigeant sur les vêtements. Tout doit être propre et bien repassé. C’est lui qui repasse depuis qu’on est ensemble, presque soixante ans.  Il veut pas que je m’occupe de ses vêtements. C’est un maniaque de la propreté. Pas que sur ce qu’il porte sur lui. Chaque matin, il se rase avant même de prendre son café. Un homme ça doit toujours être présentable. Qu’est-ce qu’il a pu emmerder notre fils à cause de ses cheveux longs et jeans troués. Jamais il l'a frappé mais il arrêtait pas de lui faire la morale. Fait pas ci, fait pas ça. Sans doute pour cette raison qu’il est parti très tôt de la maison. Pour aller vivre en Afrique. 

 Au début, il nous envoyait des lettres d’Afrique. Plusieurs fois, il nous a proposé de lui rendre. On y serait bien allés, même pas longtemps. On a jamais eu assez d’argent pour payer le voyage. Mon grand regret. Un jour, on a plus eu aucune nouvelle. Sa ligne téléphonique coupée et aucun retour de courrier. Nous avons fait des démarches auprès de l’ambassade de France.  Aucun résultat. Nptre unique enfant disparu depuis cinquante deux ans.

 Et moi à l’attendre devant la fenêtre.

 J’espère qu’il pleuvra pas. Même sous la pluie, il voudra qu’on y aille.  Ce matin, la proposition est venue de lui. Mais c’est soit l’un, soit l’autre.  On y va aujourd’hui ? A de rares exceptions, la réponse est oui.  Une virée qui dure toute la journée. On prépare un panier pique-nique. Un moment très important dans notre semaine. Ca change un peu des jours qu’on passe à la maison. Le plus loin qu’on va, c’est l’épicerie du village. Y a pas grand-chose mais ça nous suffit. En plus, il nous connaît bien et nous laisse payer en plusieurs fois. Il a confiance en nous. On paye toujours. Pas comme certains du village. Bon, faut que j’aille aussi à la salle de bains.

Me faire belle pour le spectacle.

       Pas du tout envie de m'y rendre. Un vrai pensum pour moi. Chaque été, c’est la même chose. Elle tient absolument  à ce que nous passions deux semaines dans la villa de son frère. Au sein de sa tribu. Marre d’entendre toujours les mêmes histoires de famille. Et moi raconter aussi les mêmes anecdotes que tout le monde écoutera poliment une énième fois. Sans doute que les autres s’emmerdent tout autant que moi. Mais tous reviennent d'été en été. Accrochés à ce moment  de retrouvailles familales en plein mois d’août. Comme rassurés par ce rendez-vous annuel.

Qu’est-ce que j’aimerais rester à Paris? Pas faire grand chose. Juste déjeuner sur ma terrasse et regarder la ville.  Mon café à la main, je poserai les yeux sur notre vieille voisine, inamovible, puis descendrai le long de son corps chargé de touristes profitant des hauteurs de la capitale. Notre Dame de fer dont je ne me lasse jamais. Puis mon regard se promènera sur les berges de la  Seine avant de revenir se perdre dans les rues de la ville.  Mon plaisir favori.

Dans moins de deux heures, nous seront dans les embouteillages. Paris est devenu infernal pour circuler en voiture. Le taxi nous laissera devant la gare bondée. Faudra traverser la cohue jusqu'à notre train.  Puis la queue à l'intérieur.  Aujourd’hui, même en première classe, il y a du monde. Avec ma chance, je ferai encore le voyage avec quelqu’un qui me racontera sa vie.  Tout ça pour aller m’emmerder dans une villa au bord de la mer. Alors que j'ai tout mon plaisir à portée de regard.

Refuser d’y aller ?

      Je mets le panier au fond de notre caddie de courses. Il prend la poignée et le tire derrière lui. Nous sortons de notre jardin. Les roues grincent dans le village. Personne ne sait où on va. Moi, ça me dérange pas. Lui a un peu honte. Il préfère que ça reste entre nous. Notre secret de vieux.

Pas trop chaud. Tant mieux car grimper le chemin sous le cagnard c’est pas du gâteau. J’ai de plus en plus de mal. Il le sait et marche lentement. Quand je suis trop fatiguée, on s’arrête. Je bois un peu d’eau et je reprends ma respiration. Pour rien au monde, je les raterai. Faut y aller. Ils nous attendent. La formule magique pour me redonner des forces. Et repartir.

C’est lui qui a eu l’idée la première fois. Au début, je trouvais ça vraiment bête. J’y  suis allée pour lui faire plaisir. Lui était comme un gosse. Et moi j’attendais impatiemment le moment du retour. Hâte de me replonger devant la télé ou regarder par la fenêtre du salon. Mais très vite, moi aussi ça m’a plu. Comme s’il avait réussi à m’inoculer son virus. Comment l’expliquer ? Pas facile à dire. Je sais pas mettre des mots dessus. On est comme deux gosses. C’est comme une espèce de magie. Sans doute qu’on es un peu fous. Mais ça nous fait beaucoup plaisir.

 Un plaisir qui se paye très cher. Chaque fois, je rentre très fatiguée. Mal partout. A peine assise sur le canapé, je ferme les yeux et m’endors.  Toujours heureuse. Lui et moi on peut plus se passer de cette escapade.

 Notre petit spectacle privé.

       Elle esquisse un sourire. Malgré son air heureux, elle a encore quelques miettes de colère dans les yeux. Quand je lui ai dit que je ne partirai pas, elle a d’abord cru à une plaisanterie. Je l’ai répété en insistant. A ce moment là, elle est devenue folle furieuse. Impossible de l’arrêter. Profitant d’un silence, j’ai pu argumenter et expliquer ma lassitude. Elle m’a regardé avant de s’affaler en soupirant sur un fauteuil.  Nous sommes restons longtemps silencieux.  Elle s’est mise à sangloter.

Le chauffeur de taxi peste contre les chauffards. Puis, peu à peu, sa colère glisse et trouve d’autres cibles. Il se lâche comme s’il était dans son salon. Je détourne les yeux pour éviter d'avoir à discuter avec lui. Elle, toujours aimable, lui répond.  En deux temps trois mouvements, le molosse haineux détestant la moitié de l’univers, devient un animal de compagnie très agréable. Je ne sais pas comment elle fait pour désamorcer la haine chez un inconnu, l’obliger à trouver ce qu’il a de meilleur en lui et le mettre en avant.  Douée pour ça. Peut-être son côté ancienne prof ?

Moi, je n’ai plus la patience avec les cons. Surtout ceux nés quelque part, fier de racines qu’ils n’ont jamais plantées. Où les autres qui veulent imposer leur Dieu à coup de kalachnikov. Aussi bornés et stupides les uns que les autres. Sans doute un héritage invisible  de mon père sans Dieu, ni maître.  Réalisateur de documentaires animaliers. Quand ton fauteuil prend la forme de ton dos, fais ta valise. La devise de mon père qu’il a respectée à la lettre. Toujours sur les routes, caméra au poing. Pas comme moi qui a  effectué toute sa carrière dans le même bureau. A ma sortie de HEC, j'ai rapidement intégré le staff de direction d'un grand groupe industriel. Un poste qui me convenait parfaitement Jusqu’à ma retraite depuis quatre ans.

 Le chauffeur nous dépose à la gare. Un monde fou tout autour de nous. Je ne supporte pas la foule. La promiscuité avec des inconnus me tend. Cette tension m’a souvent occasionné des difficultés professionnelles. Au fond, j’aime être chez moi. Où, loin, dans un autre pays. Etre entièrement dépaysé. Destabilisé par la nouveauté.

     Nous sommes bien installés.Il a étalé la nappe et posé tout le pique-nique. Il ouvre la bouteille de vin rouge et nous sert à boire. Nous trinquons. Il me redemande de leur regarder droit dans les yeux. Il y tient. Avant, on avait pas besoin de tout ce cinéma pour trinquer. Je sais pas d’où ça vient ce truc là. En tout cas, on est bien tous les deux. Il s’assoit à côté de moi. Ce poste d'observation est mieux placé que le précédent. 

A nos âges, on a pas beaucoup de plaisir. Encore moins quand on doit se serrer tout le temps la ceinture. Trimer aussi longtemps pour finir aussi pauvres, me révolte. Mais je lui dis jamais. Ca le mettrait en colère. Lui est tellement fier de son boulot. Eboueur dans la communauté de communes. Jusqu’au jour où le camion lui a roulé sur le pied. Il a été licencié. Comme on est pas forts dans tous les  trucs administratifs, on a rien fait pour se défendre. Sûr qu’il avait des droits. Mais, bon, c’est comme ça. Il a plus jamais retrouvé de boulot. A plus de 50 ans, t'es déjà comme fini. A dégager.

Heureusement qu'on avit notre p’tit bout de jardin et les colis alimentaires. Il a jamais su que j’allais chercher des colis alimentaires. Il aurait pas accepté. Trop orgueilleux pour tendre la main. Je lui faisais croire que c’était des promos ou des jeux comme y a parfois dans les grands magasins. Je sais pas s’il m’avait cru.  Mais il m’a jamais rien dit. Et on a vécu comme ça jusqu’à sa retraite. Cet argent nous a fait du bien. Quand sa retraite est arrivée, on a en pu respirer. Un peu. Parfois, je retourne en cachette chercher des colis alimentaires. Quand on peut pas faire autrement.

    Le spectacle devrait pas tarder. Lui et moi on est pressés que ça commence. Il bouge plus. Moins non plus. Tous les deux prêts au spectacle. Chaque fois comme aimantés. Sûre que c’est un spectacle que pour nous. Y a que nous pour aimer ça. Personne peut voir notre spectacle. Rien que pour nous deux. Le voilà ma chérie. Il sourit.

Je lui prends la main. 

        Elle s’est levée du siège. Je l’ai suivie dans le couloir. Tous deux très en colère.  Après quelques énervements, la plupart des voyageurs avaient pris leur mal en patience. Pas la première fois qu’un train est contraint de s’arrêter en pleine voix. Déjà deux heures. Je n’aimerais pas être le premier contrôleur que nous allons croiser.

Très professionnel, il réussit très rapidement à nous calmer.  Après tout, il n’était pas responsable. Lui comme nous dans la même galère momentanée. Il met plus de temps à l’amadouer car, pour elle, les vacances d’été sont très importantes. Surtout dans cette maison de famille qu’elle fréquente depuis son enfance.  Déjà deux heures de perdues sur ce plaisir qu’elle attend chaque année. Elle ne peut s’en passer. Ses vacances incontournables.

 Pourtant, nous ne cessons de voyager sur la planète. Privilège de la retraite de partir quand et où nous le souhaitons. Nous ne nous gênons pas pour voyager dans le monde entier. J’aime beaucoup rencontrer d’autres cultures, traverser d’autres paysages que les nôtres. Les voyages ouvrent vraiment l’esprit. A tout âge, on peut apprendre. S'émerveiller du spectacle du monde.

Les nés quelque part devraient voyager un peu plus. Pas uniquement en club ou ce genre d’organisme où l’ont ne peut pas ressentir l’autre, le différent. Faire comme nous deux, débarquer à l’improviste dans un pays et s’y perdre. La bêtise et la haine régresseraient si les gens voyageaient plus. De nos jours, c’est quand même facile de bouger. Les moyens de transport et de communication ne sont pas aussi mauvais qu’à l’époque de nos parents et grands parents. Voyager est à la portée de tout le monde.

     Au bar du TGV, nous trouvons une place face à la vitre. Nous commandons des boissons fraîches et des sandwichs. Elle soupire. Tandis qu’elle pianote sur son mobile, je promène mon regard sur le paysage. De l’autre côté de la voie, à une cinquantaine de mètres,  une route serpente le long de la falaise.  Quelques maisons troglodytes ponctuent la roche. On dirait un décor de western. Plus bas, presque à notre hauteur, il y a une espèce de promontoire. 

         Deux vieillards assis fixent le train.

       On est rentrés plus tôt que prévu. Il est très en colère. Moi aussi mais j’essaye de penser à autre chose. On pouvait pas prévoir quand même ce truc qui a bousillé notre journée. Le deuxième train s’est arrêté. Il a empêché tout le reste de la circulation. Et notre spectacle était foutu. Tout ça pour rien.

Les gens sont sortis du train. On les voyait s’engueuler.  A la télé, ils viennent de dire qu’ils sont restés plusieurs heures bloqués. La circulation est encore bloquée. Je plains tous ces voyageurs. Leurs vacances commencent mal.

Il a vraiment la tête des mauvais jours. J’irai plus. Dernière fois que j’y vais. Depuis tout à l’heure, il répète ça en boucle. Vraiment très contrarié. Mais je sais que ça va lui passer. Et qu’on y retournera.

Notre voyage à nous deux.

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