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Billet de blog 20 juin 2022

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« A rêvé »

La nuit passée à veiller sur lui.Il est resté à ses côtés. Seul et dernier proche. L'un et l'autre liés depuis une dizaine d'années. Leur histoire a débuté un matin d'hiver. Très tôt. La rue était déserte. L'un était assis sur un banc. L'autre marchait, visiblement paumé.Il s'était arrêté. Depuis, ils ne se sont plus quittés. Jusqu'à ce jour sous un ciel de printemps. Son compagnon reviendra-t-il?

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Illustration 1
© Marianne A


  « Il y a des limites au désespoir. Il n'y a pas de limites à l'espérance. »

Edmond Jabès

                La nuit passée à veiller sur lui. Il est resté à ses côtés. Seul et dernier proche. L'un et l'autre sont liés depuis une dizaine d'années. Une relation qui a traversé toutes les saisons. Bonnes et mauvaises. Leur histoire a débuté un matin d'hiver. Très tôt. La rue était déserte. L'un était assis sur un banc. L'autre marchait visiblement paumé. Il s'est arrêté. Depuis, ils ne se sont plus quittés. Jusqu'à ce jour. Il l'attend. Inquiet. Immobile face à une école primaire. Reviendra-t-il ?

          Des riverains ont fini par appeler les secours. Le Samu est arrivé en fin de nuit. " On va pas quand même pas le laisser là, lui.". La médecin qui dirigeait l'opération a fusillé du regard le pompier. " Vous connaissez le protocole. Que la famille qui peut accompagner." Le pompier a serré les dents pour ne pas laisser sortir les deux mots de colère. Il ne supportait pas la nouvelle patronne de l'équipe. Cinglante et autoritaire. Jamais le moindre sourire. La seule à tenir au vouvoiement. Mais le protocole c'est le protocole. Il a claqué la portière. Un dernier regard aux deux yeux noyés d'inquiétude. La sirène s'est éloignée dans la nuit. 

          Le lendemain, la médecin est passée en voiture à l'endroit de l'intervention. La rue traversée de jour. Il se trouvait encore là. Assis sur le même banc. Elle l'a tout de suite reconnu. Son regard encore plus noyé. Il finira par faire son deuil, se dit-elle en continuant sa route. Le soir suivant, il était encore là. Et tous les jours de la semaine. Elle a fini par s'arrêter. Il l'a regardé droit dans les yeux. Un fantôme s'est assis avec eux. " Faut pas le laisser tout seul dans la rue. C'est une solitude qui tue. " La voix d'un sans voix. Déterminé à ne pas laisser son compagnon seul et sans issue.  Le sortir de la rue de la solitude qui tue.

         Que faire ? Rester l'être rigide accroché à toutes sortes de règles et de protocoles depuis l'enfance. Ca ne se fait pas. C'est interdit. Pourquoi c'est interdit ? Parce que c'est interdit. Ne jamais remettre en cause la parole de l'autorité. Comme celle de Papa, de Maman, et du qu'en dira-t-on. Des boucliers contre la peur de ne pas être dans la norme ? Elle a tendu lentement la main. De plus en plus près. Elle l'a caressé. Il la regardé. La marée commença a descendre dans son regard inconsolable. Il a posé sa tête contre elle. Depuis, ils vivent tous les deux. Le chien du SDF et la médecin du Samu.

       La médecin et le chien de rue ? Une fable ? Le teaser d'un film pour faire chialer dans les chaumières avec écran plasma ? Un clip de com pour une association de défense des animaux ? Non. C'est une histoire vraie. Bien sûr fictionnée quelque peu sur les bords du réel. " Non, ça s'est pas passé comme ça. Je te dis que si ! Mais non, tu affabules. J'y étais. Moi aussi. On y était ensemble, je te le rappelle.  Tu veux toujours avoir raison. Non, c'est comme ça que ça s'est passé. "  Très drôle quand un couple ( le sien n'y échappe pas)  raconte un instant vécu ensemble,  pas avec le même point de vue. Une divergence pouvant pourrir un repas. Quel est le vrai sexe du médecin ? Si ma mémoire est bonne, l'article ne le stipulait pas. Et peu importe. La couleur politique du médecin ? Sa religion ? Son orientation sexuelle ? Son genre ? Écrit -il ou elle en inclusive ou non ? Roulant en 4 x 4 ou à vélo ? Au fond, on s'en fout. En l’occurrence, seul son geste compte. Rien d'autre. Un geste rentré avec moi dans l'isoloir.

         Ce SDF n'a plus de voix à tous les sens du terme. Mort dans une ville de France. A quelques mètres de chambres, de salons, de cuisine. Une insomnie derrière cette vitre éclairée ? De beaux rêves au premier étage de cette maison ? Pendant qu'il partait, la vie continuait derrière les fenêtres de ses voisins. Peut-être une "petite mort" de proximité quand lui glissait sous les draps du ciel pour son grand sommeil. Avec comme dernière main dans la sienne, une patte tremblante de peur. Son dernier compagnon muet et fou de douleur. Sans toit et sûrement sans carte électorale. À moins d'avoir toujours une adresse officielle même en vivant dans la rue. De sa faute ? Degré de volonté : zéro ? Sa famille et ses autres proches ont tenté de l'aider, mais il n'a fait aucun effort ? Alcoolique ? Violent ? Pervers ? Raciste, antisémite, homophobe, sexiste, ....? Malade mental ? Je n'en sais rien. Et ça n'a plus vraiment d'importance. Rejouer le match ne le ressuscitera pas. Ni ne changera sa trajectoire d'homme. Celle d'une  histoire unique se terminant dans la rue. Dernier souffle sur un banc.

      Comme celui devant la salle municipale équipé d'isoloirs. Je me suis assis sur le banc. Besoin de gamberger. À quoi sert ce geste ? Sans doute inutile. Une enveloppe officielle de plus jetée à la mer dans l'espoir qu'elle remonte jusque sur la rive des tapis rouges de la République ? Un fantôme m'a rejoint. Son chien aussi. Nous sommes restés assis silencieux. À l'intérieur des froissements de papier et  des " A voté" ponctuaient un silence quasi religieux. Les élections : religion avec un Dieu élyséen et son clergé ? Pendant que la poubelle et les urnes se remplissaient, nous étions toutes les trois côte à côte sous le soleil d'un village d’Occitanie. Ce truc de religion revenant en boucle. " Ni Dieu, ni Maître. Tu me fais rire, mon gars. Tu viens de sortir de l'église. La seule différence est que tu n'as pas mis l’hostie dans ta bouche. Mais dans une enveloppe et une urne. "L'athée en moi commençait à se foutre de moi. Il me titillait. Et tant mieux ; ça alimentait ma machine à penser contre moi. Le vote comme une sorte de religion avec des dieux d'emblée hors-sol ou le devenant en tutoyant le pouvoir ? La monarchie républicaine nouvel opium du peuple ? Je reste méfiant. Sans doute un vieux fond libertaire qui perdure. Peut-être que je rebasculerai dans le clan des absents de la République. Loin des urnes et des promesses non tenues. Comme celle d'un toit pour tous.

          Pourquoi avoir voté ? "Si voter pouvait changer quelque chose, ce serait interdit. Couper la tête du roi c'était le premier geste de com pour instaurer une monarchie républicaine ? Fallait un geste fort pour que les gueux croient avoir gagné. Toujours des serfs mais avec un bulletin de vote et du théâtre d'ombre et de leurres sous les ors de la République. Rien n'a changé depuis 1789, sauf les mots et le protocole. Dans tous les cas, qui est-ce qui l'a toujours dans le cul ? Les pauvres.  Les enfants croient au Père Noel, les adultes votent.". Combien de voix se télescopant sous ma tête ? Desproges, Coluche, et d'autres, connus et inconnus, irréductibles libertaire, n'ont cessé de me parler sur la route de l'isoloir. Me convaincre de ne pas aller à l'église. Je m'y suis rendu avec une pointe de honte.

          Pas à cause de la ritournelle en période d'élections du " Après, faudra pas ouvrir ta gueule. Y en a qui sont morts pour ça", etc. Même rhétorique que les militaires répétant qu'ils ont versé leur sang pour les autres. En oubliant de rappeler qu'ils ont vidé d'autres corps de leur sang. Et le SDF mort sur un trottoir, les autres ombres dans nos rues, n'ayant pas mis leur enveloppe dans l'urne; les potentiels " morts à la rue" ont-ils le droit d'ouvrir leur gueule ? La culpabilisation: rien de plus contre-productif pour lutter contre l'abstention. Et pour d'autres causes aussi. Convaincre sans culpabiliser l'autre  est beaucoup plus complexe mais très élégant. Une élégance de l'empatthie. Revenons à ces voix ralentisseuses. J'avais l'impression de tous les trahir. En partie vraie. Mais je n'avais pas envie non plus de rester confiné dans un dogme. Celui de l'abstentionniste pur et dur. Une posture pour Dieu et Maître. Affaire à suivre à la prochaine saison des urnes....

        Pendant que des voix ralentissaient ma progression vers le bureau de vote, quatre autres m'ont encouragé. En fait, elles étaient cinq. Le banc est trop petit pour nous six. Je me suis levé pour regarder mes encourageurs. Un homme, une femme. Et un chien assis entre eux. Prendre une photo ? Nul besoin. Tout est gravé dans l'instant chaud et chaleureux de cette matinée d'un dimanche du monde. Le chien s'est assis sur son maître. Un compagnon, pas un maître, rectifièrent ses yeux. Un regard traversé d'ombres et de lumières. Son compagnon sur deux pattes souriait. Un maigre sourire. Le sourire d'un sans voix de papier ni toit. Mais avec des choses à dire. Comme toi, comme vous, comme moi, comme nous... Sa parole digne d'intérêt, même sans toit. À côté de lui le médecin (vous l'imaginez comme bon vous semble). Et Olivier et Jeanne.

        Eux deux ne se trouvent pas sur le banc. En plein boulot dominical pour leurs idées et vision du monde. Qui sont-ils ? Des invisibles actifs. Deux non-politiques professionnels pratiquant la politique au quotidien. Leur cœur grand comme un cœur de simple humain, semblable à des millions d'autres pompes à émotions sous la poitrine, leur cerveau qui doute et s'interroge, leurs mots simples sans être simpliste et sincères, plus quelques silences... Sans oublier leurs imperfections qui font le charme des individus. N'en jetons plus, la cour est pleine. Pourquoi les mettre dans cette photo sans image ? Tous deux m'ont convaincu de remplir une enveloppe du dimanche et aller pêcher au bord du fleuve Utopie. Présents eux aussi avec moi dans le secret des urnes. Quelle foule dans cet isoloir.

        Clic-clac. L'image en encre-pixel invisible sur l'écran. Notre rencontre sur le banc est déjà immortalisée. Merci à ces trois paires de mains et quatre pattes de leur présence dans l'isoloir. Et Jeanne et Olivier. Plus d'autres que je ne connais pas et qui ne laissent pas toute la part du gâteau à la fatalité. Même s'il n'y a que des miettes à récupérer. Avant de cuisiner un nouveau gâteau. Avec mon petit bulletin, j'avais l'air d'un con, ma mère. Sans d'autres, je me serai senti isolé. Même s'il faut relativiser. Il y a pire en termes d’ isolement. En France et dans le monde. Moins isolé qu'une main et une patte sur un banc solitaire.

       La semaine commence. Le fameux lundi qui va comme un lundi. Comme les cinquante et une prochaine. La médecin a repris le fil de son quotidien, retour à l'urgence d' un SAMU ralenti par le cynisme du fric. Avec peut-être une nouvelle corde à son histoire : la transgression. Le chien l'attend tous les soirs avec impatience et queue fouettée sur le sol en entendant la clef dans la serrure. Perdure en héritage la trouille au ventre que son nouveau compagnon ne rentre pas, comme le précédent. L'un et l'autre reliés par un fantôme sûrement heureux pour un nouveau compagnonnage. Jeanne et Olivier ont repris aussi le fil de leurs activités. Pareil pour moi. Tout a changé ce matin ?

      Rien de vraiment nouveau ce lundi sous le ciel du temps qui passe. Les salauds et les salopes continueront de polluer l’éphémère des autres. Et le leur. Des cyniques à chaussures pointues et power-point planchent sur de nouvelles manières d'essorer la vie des moins nantis et de continuer d'engraisser les poches d'une minorité. Reconnaissons qu'ils sont brillants (comme des lamapadaires bien élevés; pas des phares )  pour obscurcir le présent de la majorité de leurs contemporains. À cette heure, la planète est toujours en orbite autour de la connerie humaine. Avant que le soleil ne mette le point final. Retour à la case lucidité. Demain n'est pas gagné d'avance. Ni perdu.

      Et il restera toujours quelque chose dans ce qui ne sert pas à grand-chose. Ne serait-ce qu'une poussière d'espoir avalée par l’aspirateur de l'actualité. La canicule, une guerre en cours ou une nouvelle, un attentat, un féminicide tous les deux jours, le virus nouveau. est arrivé.. La boucle de nos quotidiens tourne en boucle. Mais ça restera. Quoi ? Cet infime que personne ne pourra s'accaparer.

     Son geste pour un meilleur demain.

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