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Billet de blog 20 septembre 2015

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Des ailes sans racines

Pas facile notre installation. Au début, quasiment personne ne voulait de nous. Indésirables sur leur territoire. Nous allions perturber leur tranquillité. Un refus très violent. Fort heureusement, quelques habitants ont pris notre défense. Très difficile pour eux d’expliquer que nous n’étions pas un danger. Au contraire. Une nouvelle richesse.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Pas facile notre installation. Au début, quasiment personne ne voulait de nous. Indésirables sur leur territoire. Nous allions perturber leur tranquillité. Un refus très violent. Fort heureusement, quelques habitants ont pris notre défense. Très difficile pour eux d’expliquer que nous n’étions pas un danger. Au contraire. Une nouvelle richesse.

Une grande partie des habitants avaient peur. Notre implantation venait déranger leurs habitudes. Certaines familles étaient enracinées depuis des siècles ici. Fallait absolument rien toucher. Ceux qui nous défendaient venaient de divers horizons. Beaucoup de jeunes, des hommes avec des queues de cheval, des retraités, qui se relayaient pour défendre le lieu où nous devions nous installer. Ils tenaient absolument à notre installation. Des heures à argumenter auprès de ceux qui ne voulaient surtout pas de nous chez eux. Sans compter toutes les manifs et les articles de presse. Un combat finalement gagné.

 Que de saloperies et de mesonges balancés sur notre compte ! Notre arrivée allait tout bousiller. Bien sûr, tout n’était pas rose. Une greffe est rarement sans difficultés. Des peurs et un rejet des habitants qui peuvent être compréhensibles. Besoin de temps et de beaucoup d'explications. Ceux pour notre arrivée et les autres totalement contre ont fini par s’entendre. Nous avons été installés un peu à l’écart, sur un terrain à trois cent mètres. Peu à peu, les tensions sont retombées. Le calme revenu.

 Cela dit, ce n'est pas pour autant le paradis sur terre. De temps en temps, on continue de nous accuser de tous les maux. Sûr que nous faisons souvent du bruit. Difficile de  faire autrement. Toutefois, les habitants du coin râlent moins. Nous faisons partie du décor. Tolérés sur leur territoire.

 Moi, je suis la plus vieille. Enracinée depuis bientôt un quart de siècle. Moi, j’aime bien où je me trouve. Et très heureuse que ceux qui refusaient ma présence m’acceptent aujourd'hui. Et, qu’en plus, ils se rendent compte que je leur apporte quelque chose. Celle qu'il refusait leur est désormais utile. Pas qu’une profiteuse de leur terre et de leur horizon. Un beau point de vue que je ne quitterai pour rien au monde.

 Sûr que la falaise en face de moi, certains arbres, la rivière qui coule en contrebas,  leurs maisons, etc, sont là depuis plus longtemps que moi. Et que je ne resterai sans doute pas autant qu’eux ici. Mais tous les habitants, nés ici ou implantés depuis un certain nombre d’années, disparaîtront  beaucoup plus vite que la falaise.  Juste des oiseaux de passage sur l’échelle de la naissance de l’homme. Mon temps de passage à moi sera sans doute plus court. Et je me sens de plus en plus rouillée. Parfois à bout de souffle. Jamais simple d’être la première nouvelle arrivante sur un territoire. 

 Tout a une fin. Même la falaise s’érode, sa fin juste moins visible et plus longue à venir que la mienne et celle de l’église du village.  Chaque chose vouée à finir et à se transformer.  Un début et une fin programmée dans le temps.  Des squelettes d’humains ou d’animaux aux roches et objets divers, tout peut être daté par des scientifiques. Sauf  les émotions et le reste qui échappe à la comptabilité du temps. Impalpable.

Comme ce vent qui me fait travailler depuis vingt cinq années. Lui et moi œuvrons ensemble pour des milliers de foyers. Parmi eux, ceux qui ne voulaient pas du tout de mon implantation sur la colline. Même heureux de ce que je leur apporte concrètement. Mes pales faisaient plus peur que celle du moulin du village. La doyenne des éoliennes du pays.

Mais, d’ici ou d’ailleurs, rien ni personne ne reste accroché éternellement à son bout de terre.  Même les racines, les plus solides et profondes, finissent par être arrachées et disparaître. Le temps a toujours le dernier mot. Il emporte tout et tous sur son passage.

 Sauf les racines du vent.

NB) La photo de l'illustration est l'oeuvre de deux artistes qui en parlent sur ce lien.

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