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Billet de blog 20 novembre 2024

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Perte(s)

Avoir tout perdu. Même ce qu’on a jamais possédé. Une sensation souvent ressentie par les exilés. Comme si, en fuyant, ils emportaient avec eux toutes les « pertes cumulées » depuis le début de l’humanité. Ce qui tour à tour manque et pèse très lourd. Un sensation ressentie sûrement par d'autres exilés. Avec un exil moins visible. Qui sont ces «  porteurs de perte » ?

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Illustration 1
© Marianne A

              Définition du mot «  exil », source Wikipédia.« Du latin exsilium, « bannissement, lieu d'exil » (de ex, « hors de », et solum, « le sol », littéralement « hors du sol »), l'exil prend en ancien français le sens de « détresse, malheur, tourment » et « bannissement »1. Au sens moderne, l'Académie française définit l'exilé comme une « personne qui a été condamnée à vivre hors de sa patrie, en a été chassée ou s’est elle-même expatriée ». »

             Avoir tout perdu. Même ce qu’on a jamais possédé. Une sensation souvent ressentie par les exilés. Comme si, en fuyant, ils emportaient avec eux toutes les « pertes cumulées » depuis le début de l’humanité. Ce qui tour à tour manque et pèse très lourd. Qui sont ces «  porteurs de perte » ? Des êtres fuyant la mort. Pour parfois la rencontrer en pleine mer. Leur patrie est désormais la perte au pluriel. Comme celle des proches laissés derrière soi. Certains sont encore vivants. Souvent, des proches au bord de la mort. Et de la folie générée par le chaos permanent. D’autres proches se trouvent sous leur terre natale. Mais tous, vivant et morts, se transforment en fantômes. Aussi loin que près. La perte aussi des odeurs, des paysages, du ciel au-dessus de son toit, du vent, de ses premiers pas… Tout ce qu'aucun douanier de la planète ne pourra saisir. Ni dépouillé par un voleur de passage. Son irréductible intime. Un bagage invisible.

           Toutes proportions gardées, certains « exilés du coin de la rue » ressentent sûrement cette perte. Certes d’une autre façon que l’exilé fuyant les bombes et-ou- la famine. Hiérarchiser la perte ? Pas du tout le but de ce billet ; à moins que ce ne soit très inconscient. Tout simplement une tentative d’évoquer la perte (s) sous tous ses visages. Comme de notre semblable allongé sur un trottoir, sous un carré de ciel. Sans doute à parfois comptabiliser tout ce qui a été perdu. Perte momentanée ou à jamais, avant d’arriver sur ce trottoir - bientôt carnassier aux premiers grands froids. Qu’ont-ils (des hommes, des femmes, d’autres genres, des enfants… ) perdus ? Des bras aimés et aimants, un toit, un boulot… L’œil dans le vague, une ombre des villes ou des champs dresse une sorte d’inventaire de ses pertes. Petites et grandes. Les classe-t-il par ordre de préférence ? Reviennent-elles sans aucun ordre ? Sûrement pas de règle. Toutes ces pertes sont conservées par la mémoire. Poids mort ou fenêtre d’espoir ?

           Les « exilés de l’amour » vivent aussi une profonde perte. Même si ce n’est pas sur le même registre que les deux précédents exemples. Les «  exilés de l’amour » ne meurent pas sous les bombes. Ni de froid sur un trottoir. Quoi qu’il y a quelques fois des suicides. Sans oublier ce qui se nommait avant « crime passionnel ». Est-ce réellement de l’amour ? Juste de la possession ? Pour certains, le verbe aimer n’est pas le synonyme de tuer. Tandis que d’autres pensent que la passion peut tout faire imploser. Les points de vue divergent sur cette formule de moins en moins employée. Dans tous, la « victime passionnelle » ne vit plus aucune passion. Et ne peut nous donner son avis sur le sujet. Revenons aux individus qui vivent – subissant ? - une peine d’amour. Plus ou moins douloureuse. Ici ou là, des êtres ont perdu leur amour. Dans le silence ou des cris et des larmes. Une perte qui les fait errer. Paumés. Un exil à l’intérieur de son cœur blessé.

           Retour sous la peau.  Quand votre corps vous expulse. Le même qui a abrité vos nuits à rallonges. Un corps qui vous a fait voyager de la jouissance à la souffrance.  De la beauté à la boue. Parfois au fond trou.  Mais avec toujours le désir en bandoulière. Pour vous sortir du trou. Sans cesse à faire le tour du rond-point pour trouver la direction du bonheur. Cette chair de tous les possibles qui, jour après nuit, égrène désormais tous les impossibles. Le malade grave ou l’être vieillissant ont un point en commun : un catalogue. Que contient-il ? C’est un catalogue de tous les renoncements. Plus ou moins nombreux selon chaque corps. Tout ce qui a été et ne pourra plus être. Mais contrairement à certains « vrais exilés », pas la moindre possibilité de fuite. Contraint de rester dans un corps qui, en quelque sorte, vous maltraite. Certes pas la même maltraitance pour les uns et les autres. Le vieillissement et la maladie sont-ils des exils sous la peau ?

          Un être qui tue n’est pas a proprement dit en exil. Qu'il s'agisse d'un meurtre isolé ou d'un crime de masse. Une main avec du sang ou celle qui donne l'ordre de massacrer. Tous les tueurs sont dans une sorte d’auto-bannissement. Mais personne ne leur a imposé. On ne va pas les plaindre. Ni s’autoproclamer juge ; c’est à la justice de les juger. Et à leur miroir. Notre empathie prioritaire va bien sûr aux victimes. Néanmoins, tout tueur est en quelque sorte en exil de l'humanité.  Certes par sa volonté. Avec une perte de l'essentiel en ayant ôté la vie. Jugés, condamnés, libérés après avoir purgé leur peine ; ils ou elles redeviennent un être libre. Avec normalement la possibilité de reprendre le fil de leur activité (sauf certains domaines, comme le travail avec des enfants pour des pédophiles) avant d'avoir basculé dans le pire. Dans tous les cas, ils ont perdu. L'humanité aussi. Bien sûr, ils ont moins perdu que leur victime et ses proches. Rien ni aucun être ne peut remplacer une vie arrachée par une main tueuse. Rien. Le geste du tueur restera gravé dans la mémoire du sang versé. Incontournable. Assassin à perpétuité. Et à jamais entièrement sur la rive de l’humanité ?

            Écrasés du réveil au coucher. Et de la naissance à la mort. C’est la trajectoire de certains êtres. De quelle couleur ? Quel sexe ? Quel genre ? Quelle religion ? De quel pays ? Peu importe. Des écrasés sociaux. Comme pour les malades et les vieillissants, des individus qui ne pourront fuir. Rivés à leur écrasement. Peut-on dire qu’ils et elles vivent un exil ? Oui. Si on prend une partie de la définition du mot exil : la détresse. On peut y ajouter « malheur, tourment  et  bannissement ». Jamais avant aujourd’hui, je n’avais lu la définition de l’exil. Pour me rendre compte qu’elle est beaucoup plus large que je pensais. Toutes sortes d’exils. Même si certains sont moins dangereux que d’autres. Comme entre autres l’exil des écrasés. Mais la souffrance – même invisible - n’en est pas pour autant réelle. Bien qu’elle soit de plus en plus occultée. L’écrasé social est-il moins bancable que l’écrasé sociétal ? La question à poser dans certaines rédactions de radios, de télés, de journaux numériques et papier… Et aussi à chacun et chacune de nous dans notre «  entre-soi » dit bobo. Le sociétal devenu le centre de nos préoccupations ? Je crains que oui. Au détriment d’une souffrance – invisibilisée - qui finit par imploser dans les urnes ?

          Peu importe au fond la terminologie. Toute détresse a son importance. D’où qu’elle vienne. Le point commun à toutes celles déclinées dans ce billet est la perte. Quelle que soit son intensité. Comment pouvoir approcher le ressenti de ces êtres dans la perte ? Sans aucun doute plusieurs portes. Avec un objectif souvent similaire sur le fond : tenter de comprendre la perte de l’exil sous toutes ses formes. Pour ma part, la porte que j’ouvre le plus souvent est la poésie. Les poètes et les poétesses sont de bons ambassadeurs de l’exil et sa perte. Même sans l’avoir vécu. C’est la force de la poésie. Sa capacité à se glisser sous toutes les peaux. Dans quel but ? Pour tenter d’en extraire les ombres et les lumières. Sans juger ni penser détenir la vérité unique. La poésie ne porte pas la robe de la justice. Ni la prétention d'apporter des réponses et des solutions concrètes. Quel est alors son rôle ? Tenter de traduire l’indicible de chaque corps.

           Plonger dans les abîmes de l'être. Passager unique et irremplaçable du temps qui passe. Pour essayer d’abord d’éclairer son intérieur. Avec l’impossibilité d’un éclairage total. Des zones restant inaccessibles à tout autre que soi. Puis après un tour d’horizon, remonter quelques pièces à la surface. Sans piller ni détruire les profondeurs d’une chair dévastée. Pour témoigner d’un être fuyant son pays et la mort. Où de la souffrance de celui qu’on ne voit plus à force de le voir sur le trottoir de sa boulangerie. Témoigner aussi de l'être dont le cœur blessé a mis un genou à terre. Sans laisser de côté les écrasés aux multifaciès. Si possible de ne négliger aucun exilé. Les visibles et les invisibles. Tenter de mettre des mots sur leur perte. Celle en réalité de toute l’humanité. Et de chaque solitude. D’abord expulsée d’un ventre. Condamnée à perdre sa présence. Pour une absence à perpétuité.

          Huit milliards de perdus dans la ruche en orbite ?

NB : La liste de ces pertes n'est pas exhaustive. Chaque internaute peut y rajouter la ou les siennes.

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