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Billet de blog 21 mai 2023

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Le ventre de IA

Nouvelle dominante planétaire? Native de la galaxie virtuelle, elle a débarqué sur le plancher de notre réalité. A ses débuts, frêle et sans grande force. Avant que nous ne la nourrissions. Impossible de faire autrement. Elle se gave de tout notre savoir humain. Jusqu’à devenir une géante. Dévoreuse. Le monde bientôt soumis à la puissance IA ?

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Pierre Dac et Francis Blanche "Le Sâr Rabindranath Duval" | Archive INA © INA Humour

« Ce que les autres te reprochent, cultive-le. C'est toi ! ».

Jean Cocteau

         Nouvelle dominante planétaire ? Native de la galaxie virtuelle, elle a débarqué sur le plancher de notre réalité. A ses débuts, frêle et sans grande force. Avant que nous ne la nourrissions. Impossible de faire autrement. Elle se gave de tout notre savoir humain. Jusqu’à devenir une géante. Dévoreuse. Son corps ne cessant de s’étendre dans tous les sens. Dominatrice et sans états d’âme. Maniant un fouet que nous lui avons tendu. Administrant des fessées à nos cerveaux de soi-disant animal le plus intelligent du monde. Finies notre arrogance et nos certitudes avec la puissance IA. Devenant peu à peu la nouvelle patronne de la planète. Plus puissante que tous les dominants réunis. Alimentée par l'immense masse de nos connaissances scientifiques ; ce qui nous avait donné les clefs du monde et l’ascendance sur la faune et la flore, elle est en train de se l’accaparer pour dominer le monde. Dévorant aussi notre patrimoine artistique. Avec en première ligne sa star actuelle, nommée ChatGPT. Au générique, il y a d’autres noms œuvrant dans le même sens. D’autres intelligences artificielles disséminées sur toute la surface de la toile. Mais pour l’instant beaucoup moins connue que ChatGPT.

     Très efficace. Générant nombre de craintes. Surtout la peur de perdre son emploi et sa place dans le monde. Le grand remplacement  serait-ce en réalité ChatGPT et l'IA en général ?  Contrairement aux lecteurs en sensibilité et autres nouveaux censeurs, elle se fout ses sensibilités des uns et des autres. Peu lui importe le sexe, le genre, la couleur de peau, la religion, ses origines, etc. Pas la moindre  discrimination. Elle prend tout ce qui peut être ingérable. Seul son estomac recycleur compte. Avaler-recracher, avaler-recracher... Elle se conformera toujours à son programme. Avaler toute information et œuvre déjà existante pour pouvoir la dupliquer à la demande. Sans chercher à plaire ou à déplaire. Une machine à recycler ce qui passe à portée de sa mâchoire. Rien de plus.

     ChatGPT a un sacré coup de fourchette. Comment échapper à son estomac digérant tout et son contraire avant de le recracher ? Essayer autant que possible de protéger sa matière première. Malgré vos précautions, elle happera sans doute quelques éléments en surface. De quoi tenter une imitation. Sûrement des ressemblances. Sans soute difficile de différencier l’original de sa photocopie. Mais, à mon avis, elle ne pourra jamais pouvoir imiter l’essentiel. Cette part de vous échappant aussi. Indicible. Elle ne peut bouffer que ce que vous possédez et qui est surtout visible. Contrairement aux trous noirs de votre histoire.

       Ce vaste univers sous toute peau de mortel. Des trous noirs imperméables aussi à vos proches. Un lieu se situant même hors des grilles d’analyse des psys. Votre inatteignable. Cette part à l’ombre en vous, irréductible, que certains chercheront à apprivoiser, amadouer, voire museler. Dans quel but ? Par bienveillance, pour que vous ne preniez pas trop de coups à cause de cette nuit intérieure ; elle peut être si imprévisible. Voire destructrice et autodestructrice. Des êtres bienveillants tenteront de vous aider à ce que cette nuit se voit le moins possible en public. La camoufler et vivre plus ou moins heureux dans les clous ; de la sortie du ventre ou de l’éprouvette à l’inhumation ou incinération. Et d’autres, jaloux de ce joyau unique, feront tout pour vous empêcher de le porter. Et ceux, cherchant à investir sur cette nuit, essayeront d’en profiter. La plupart du temps, elle est surtout invisible, à l’intérieur de votre être. Mais dérangeante. Hors de question de pouvoir avoir une autre porte que la majorité. Sa sortie vers soi. Une porte dérobée à la norme.

       La pression normative ( avec de nouveaux visages et normes dominantes) beaucoup plus forte en notre siècle ? Certains le pensent. Persuadés, que les nouveaux «  douaniers de la norme » occupent de plus en plus le terrain. Et que les frontières mobiles poussent à tous les coins d’être. Avec dans tous les milieux, quelles que soient ses origines, son point de vue ; de plus en plus de recroquevillements rassurants, camouflés derrière les sacs de sable de l’entre-soi. Pour se protéger de quoi ? Souvent de l’entre-soi du groupe en face du sien. Une spécialité de notre jeune siècle ? Je ne crois pas. Il y a eu des périodes plus dures notamment pour les artistes. Moins à se plaindre dans nos démocraties d'aujourd'hui. Contrairement à certains pays. Comme aujourd'hui en Iran ou ailleurs. Dans des pays où créer peut conduire à la prison. Et parfois à la mort.

       Rien à voir avec les différentes censures et autocensures dans notre pays. La liberté d'expression existe en France. Même si le frottement de points de vue contradictoires devient un véritable combat de boxe mental. Avec toujours l’ombre de la culpabilisation et l'injonction de justification sur le moindre de vos propos. Ça a toujours été le cas ? Oui. Le changement est sans doute dû aux nouvelles technologies. Nettement plus de frottements. Et avec des outils générant plus le raccourci, l’immédiat, que la pensée complexe. La punchline et autres clashs numériques ne sont pas là pour plonger dans les pensées les plus profondes de la toile mondiale. Tout doit être rapide, en surface, et vu par le plus grand nombre. Le plus important est la vitesse de propagation. Et de pouces levés engrangés en un minimum de temps. Dans ce combat, même les «  pensées complexes et puissantes «  finissent par s’enfoncer plus loin. Partagées par une minorité dans les zones pélagiques 2.0. Ne restent à la surface que des morceaux de chair de pensée. Le reste déjà submergé par une autre vague. Avant la prochaine punchline en direct.

       Sans doute gagnante à terme, AI n’a pas gagné sur tout. Et sur tous et toutes. Elle va se heurter à des difficultés. Avec des angles morts impossible à atteindre pour les essorer de leur contenu. Entre autres dans le domaine de la création. Celle qui désobéit, transgresse, dérange… Certes, IA sera tout à fait capable d’imiter Rimbaud, Dostoïevski , Duras, Picasso, Godard, et d’autre créateurs. Plus vite et mieux que des faussaires à l’ancienne. Suffit de la nourrir de leurs œuvres. Mais jamais elle ne pourra être le Rimbaud ou la Duras dont l’œuvre est en train d’éclore. Le plâtre gâché et le doute. Tout ce matériau encore brut et donc non encore ingérable par la machine. À mon avis, que ce soit dans l’art et d’autres domaines, IA ne pourra que suivre les tendances. Coller à ce qui s’est fait. Condamnée à reproduire. Jamais créer de l’inédit. Partir d’une page blanche. Ou s’accaparer l’émotion d’ une relation naissante entre deux êtres, quand tout est en construction, sans que rien ne soit sûr. IA peut imiter les halètements et autres sons de corps se frottant sous la couette ou ailleurs. Pas la ou les vagues, sous la peau, de l’orgasme. La petite mort de chaque être est inimitable. Comme la grande mort. Et sa naissance. IA est donc exclue de tous les tâtonnements, jouissances, colères, joies, qui font le sel de nos histoires passagères. Son domaine de compétence reste la reproduction. Pas les travaux en cours. Ni tout ce qui est en suspens.

        À nous donc de continuer de créer ce qui n’est pas encore. Inventer. S’inventer. Partir. Revenir. Se tromper à nouveau de direction. Autrement dit, pour paraphraser un grand auteur nommé Cesare Pavese (publié et donc imitable par ChatGPT), continuer notre «  Métier de vivre ». Avec les outils de notre corps. Et nos imperfections du moment et les prochaines. Certes avec toujours cette plagiaire ultra performante tapie dans l’ombre. Comment essayer de la semer le plus souvent et longtemps possible ? Peut-être en se replongeant dans nos trous noirs. Un lieu qui échappe à l’étiquetage. Cet espace intime que les anciens algorithmes -à chaussures pointues, power point, langage managérial, courbes, et autres outils anesthésiants- ont aussi tenté de coloniser. Les anciens écoliers des grandes écoles seront paumés comme tout le monde avec l’arrivée de la grande dominatrice IA. Mais ils ont été sa meilleure nourriture. Œuvrant dans un but guère éloigné de IA : nous transformer chacune chacun en consommateur soumis, en électrices et électeurs inquiets et captifs, tour à tour prisonniers et complices de l'énorme machine à détruire le vivant. Finalement, rien de nouveau avec IA.  À la différence que , même les gens de pouvoir, vont finir par être assujettis. Devenir à leur tour des « presque rien. » Soumis à une mécanique plus forte qu'eux. Tout le pouvoir entre les mains de la nouvelle domination. Prêtresse et dominatrice IA.

       Avec peut-être un grand avantage. Les humains n’auront plus besoin de se battre pour le pouvoir. Entre les mains d’une machine omniprésente qui ne le lâchera pas. Le monde dirigée par IA. Que feront alors les humains de tout ce temps gagné sur la course au pouvoir ? Peut-être de revenir à notre intelligence animale. Celle qu’a finalement imitée IA: l’intelligence animale,  basée elle aussi sur l’imitation. D’abord de la langue et des gestes de ses proches. Puis de ses enseignants (officiels) et des rencontres tout au long de son existence. Avec toujours, consciemment ou non, le désir de dépasser le transmetteur. Jusqu’à être imité à son tour et dépassé. Un processus vieux comme le monde de la transmission de données humaines avant qu’elles ne se nomment data. Les artistes font souvent la même chose, se nourrissant d’autres créateurs avant eux, pour aller vers leur pâte propre. En quête d’inimitable. Autrement dit trouver son style. Sa trace unique. Rien à voir avec celle du voisin. Au fond, chaque individu, sans être artiste, possède un style unique. Celui d’une histoire individuelle. Le souffle sous sa poitrine, son regard… Celle d’une histoire passagère. Éphémère impossible d'imiter ?

      Comment savoir si ce billet d’humeur et de digressions n’est pas rédigé par IA ? Pareille question pour un roman, un tableau, un film. Qu’est-ce qui peut prouver qu’une production de l’esprit n’est pas générée par la machine à «  faire comme.» ? On en revient au style : le plus souvent son ou ses défauts fouillés, exploités, travaillés, jusqu’à en faire une trace inimitable. L’arrivée de l’IA n’a rien changé concernant cet aspect. De tout temps, il a été très difficile de trouver son style. De Gutenberg à numérique. Sacrée gageure de ne pas être qu’une photocopie de plus sur la photocopieuse de la culture. Créer reste toujours une aventure, solitaire ou en groupe. Que l’œuvre soit visible ou non d’un grand nombre. Avec ou sans IA, la majorité des créateurs se retrouvent tous dans le même chantier. En fait, chaque individu. Artiste ou non. Quel est ce chantier de seize milliards de mains ?

       Cultiver son histoire éphémère.

NB: Le Sâr Rabindranath Duval  est-il l’ancêtre de Google ?

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