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Billet de blog 21 juillet 2015

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Le cadeau de Pépé la dent dure

 « Les vieillards savent que l’existence coule comme un glaçon sur une flamme.» Pierrot.

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 « Les vieillards savent que l’existence coule comme un glaçon sur une flamme.» Pierrot.

 Aujourd’hui, ma fille aînée débarque avec son mari à la maison. Au téléphone, elle était très gênée. Moi aussi. Le plus âgé de mes petits-enfants a déjà huit ans, le plus petit va vers sur ses cinq ans. J’ai plein de  photos  d’eux chez moi. Ils grandissent sur les murs de mon salon. Jamais vu son mari. Ni leur deux gosses.

Elle m’appelle tous les deux ou trois mois. Très souvent c'est le dimanche matin. Elle me souhaite chacun de mes anniversaires et toutes les nouvelles année. Ca va ? Ou, et toi ? Ca va. Mais plus de dix ans qu’elle a pas remis les pieds à la maison. Sans aucune explication. Et je suis pas du genre à poser des questions. C’est comme ça. Elle va me trouver sacrément changé, plus qu’un coup de vieux. Pas de GPS pour retrouver le temps perdu.

Pour être sincère, j’ai beau jouer celui qui s’en fout,  je lui en veux énormément de m’avoir privé si longtemps de mes petits-enfants. Son frère et sa p’tite sœur, eux, passent me voir. Ils viennent goûter avec leurs gosses. Je les sens pas très à l’aise mais ils font l’effort. Pourquoi elle m’a infligé ça ? Me faire payer quelque chose ?

A chaque coup de fil, elle me dit qu’elle est très occupée, toujours sur les routes pour son boulot. Paraît que son mari travaille aussi beaucoup. Je réagis pas mais je sais que tout ça c’est des prétextes. Au fond, elle a la trouille. Une trouille qu’elle voit peut-être pas. Et surtout une très grande honte.  Honte de là où elle vient.

Sur les photos, c’est flagrant que son mari est pas du même monde que nous. Ca se voit à son regard et sa manière de se tenir. Sur trois photos, il y a un couple d’environ mon âge ; l’homme ressemble beaucoup à son mari. En tout cas,  le père de mes petits-enfants a l’air très gentil. Et en plus un beau mec costaud. Une bonne tronche. Je suis content pour elle. Leur maison a l’air très grande. J’aime bien la photo où ils sont tous les quatre à manger dans le jardin.  Lui ou elle qui jardine ? Je sais pas mais les fleurs son super belles. Ils ont aussi un gros cerisier. Mes petits-enfants ont l’air d’avoir une belle vie. Ca fait plaisir de les savoir heureux. A quoi bon continuer d’en vouloir à leur mère. On peut pas ressusciter les instants jamais vécus. Alors autant profiter de ceux qui restent. Très impatient de les serrer dans mes bras !

Quand elle m’appelle, je mets toujours un temps avant de savoir que c’est elle. Sa voix a changé. Elle  parle plus tout à fait comme avant. Quand on change de région, à force on finit par prendre l’accent de là où on est. Pareil quand tu changes de milieu. Le fiston aussi est plus chez les ouvriers. Et tant mieux pour lui. Qui souhaiterait à ses gosses d’être ouvriers ? Lui travaille à la poste, sa sœur a ouvert une boutique d’esthéticienne. Ca marche bien pour tous les deux. Heureusement parce ce que c’est pas avec ma retraite minimum que j’aurais pu les aider. Souvent, ils veulent me filer un coup de mains. Jamais de la vie un de mes gosses m’aidera.

Les rares fois où mes p’tits enfants débarquent, y a toujours une babiole pour eux. Pareil quand je vais les voir à leur domicile. Quand j’ai pas le temps, je leur file en loucedé un p’tit billet. Pas grand-chose mais qu’ils aient dans leur souvenir une image sympa du grand-père. Moi, j’ai de belles images de mon pépé. Ses épaules carrées de paysan et son large sourire. Important une belle image de leur Pépé pour des gosses.

Pourquoi ma fille a décidé de venir à la maison ? Peut-être qu’elle est malade. Je me suis renseigné auprès du fiston qui la voit relativement souvent.  Aucune  inquiétude à me faire sur sa santé et celle de sa famille. Je tourne autour du pot parce que je veux pas voir la vérité en face. Elle a la trouille que je passe l’arme à gauche sans m’avoir revu. Pas envie d’être bouffée toute sa vie par le regret de m’avoir mis sur le bas-côté. Pas une priorité le daron. Pouvait-elle faire autrement que de couper avec son passé ?

 Même si c’est triste, je sais que c’est mieux pour elle. Ici, elle a pas eu un copain ou une copine d’enfance. Jamais dehors, même en été. Elle a détesté le collège du quartier. Faut dire qu’elle était pas comme eux et qu’elle a douillé. On aime pas les premiers de la classe chez les pauvres. Faut qu’ils payent pour vouloir péter plus haut que leur condition. Au lycée, ça allait mieux. Tout a changé  vraiment  pour elle  quand elle est partie dans son école de commerce. Là où elle a rencontré celui qui est devenu son mari.

Le carton d’invitation de leur mariage est jamais arrivé dans ma boîte aux lettres. Son frère et sa p’tite sœur l’avaient reçu. J’ai bien compris et j’en ai pas fait un fromage. En plus, les repas qui durent des plombes c’est pas mon truc. Sa p’tite sœur, folle de rage, voulait l’appeler pour lui demander des explications. J’ai piqué une gueulante en lui disant de pas s’en mêler. Seul mon fiston y est allé au mariage. Depuis, les deux sœurs s’adressent plus la parole. C’est ça qui me rend le plus triste. Je sais que leur mère, si elle était encore de ce monde, aurait pas du tout laissé faire ça. Elle les aurait rabibochées. En plus, pas attendu dix ans pour débarquer chez notre aînée ; des fleurs à la main et des cadeaux pour ses petits-fils. Rien lui faisait peur. Pas comme moi qui suis un vieux timide. Je veux jamais déranger. J’aime pas les conflits. Vivre sans  bruit.

Ils seront là dans deux heures. La maison a jamais été aussi nickel. Loin d'être un as du ménage. Plus envie de perdre mon temps à jouer le berger de moutons de moquette. Et puis y a pas souvent de gens qui viennent. Même mes deux autres gosses passent de moins en moins. Y voient bien que je m’enfonce dans la misère. Le frigo souvent vide, les billets aux petits enfants de plus en plus rares. Usés par mes coups de gueule d’orgueilleux, ils font plus rien pour m’aider. Et c’est le plus beau cadeau qu’ils puissent me faire. Pas besoin de leur aide. Je préfère qu’ils s’occupent d’eux et de leurs gosses. Pas du vieux 

Comme beaucoup, j’ai basculé quand l’€uro a pointé son nez.  Depuis j’arrive plus à remonter la pente. Bouffer ou se soigner correctement, payer son loyer ou partir en vacances… Le choix est vite fait. Heureusement que je suis pas picolo comme mes potes car je serai encore plus bas. Paraît qu’y a deux retraités qui on essayé de braquer la caisse d’un tabac. Jamais j’en arriverai à de telles extrémités.  Pourtant je me fais pas d’illusions ; je me vois dégringoler. Le miroir te fait pas de cadeaux. Pas une chute brutale, une descente inévitable. Après tout, on finit tous par descendre. Même les plus haut placés. Bientôt descendre la rejoindre.

Même avec tous les volets fermés, y fait une chaleur d’enfer. L’ombre est la meilleure amie des vieux. Avant on disait PPH, passera pas l’hiver. Aujourd’hui, c’est PPC, passera pas la canicule. C’est mes vannes avec mes potes de bistrot. Des vieux comme moi un peu au rencard. On a un toit sur la tête, les apparences de gens normaux parce qu’on continue de se raser et repasser nos chemises. Mais faut pas se leurrer, on est que des façades de citoyens. A l’intérieur, la lumière de la République est éteinte. Les retraités pauvres, tout le monde s'en fout. La misère c'est bon pour alimenter le cinéma et les promesses électorales. On croit plus aux conneries des politiques. Plus la niaque, ni le temps, pour espérer des jours meilleurs. T’as la dent trop dure Pépé ! C’est mon jeune voisin qui me dit ça quand je m’énerve. Si j’ai même plus ça, qu’est-ce qui me reste ? J’essaye de traîner ma vieille carcasse le plus dignement possible. Faire bonne figure face à mes gosses et mes potes. Pas que moi dans ce cas.

On est un tas d’épluchures du monde moderne à se foutre de leurs putains de discours. Les mots nourrissent que ces mecs et nanas qui viennent nous vendre leur camelote. En tout cas, moi je connais déjà l’adresse de mon compost privé. Proprio pour la première fois de ma vie : boulevard des allongés. «  Tu bosses toute ta vie pour payer ta pierre tombale ». Dire que j’engueulais mon fiston quand il mettait cette chanson à fond. Laisser une pierre tombale en héritage.

Faut que je vérifie que rien manque pour leur arrivée. Le p’tit goûter avec des bonbons et des gâteaux est prêt sur la table du salon. J’ai mis une roteuse au frigo, faut marquer le coup. L’épicier, qui me rend toujours des services, m’a fait encore crédit. Il sait bien que je paye toujours mes ardoises. De temps en temps, il m’efface une ardoise contre une réparation de sa bagnole ou de sa bécane. C’est comme la natation, la mécanique ça s’oublie pas. Tout est au point pour les recevoir. Fauché mais je sais toujours recevoir J’ai  sorti le costard et la cravate. Dernière fois qu’ils ont servi c’était pour ton départ… Pas envie du tout d’être le papy qui pique. Surtout pour les premières bises.

Planté derrière le volet, je les vois se garer. Avec ce qui gagne, je pensais qu’ils avaient une  grosse caisse. Elle sort la première, un gâteau à la main. Puis les deux gosses bondissent sur le trottoir. Quel plaisir de les voir. Une sacrée énergie les p’tits. Elle leur montre la maison. Son mari sort à son tour. Elle lui montre à lui aussi. Ils parlent quelques secondes avant de traverser et remonter le trottoir. Le plus jeune de mes petits fils sautillent devant eux. J’ai un pincement au cœur.

Elle sonne. Son mari tient la main des deux gosses. D’un seul coup, plus une mère de famille. C’est l'ado inquiète, comme quand elle oubliait ses clefs. Ça mettait sa mère en rogne. Tête en l’air, elle oubliait toujours quelque chose. Sans doute j’ai été aussi un long oubli. Du passé tout ça. Je les observe derrière les volets. Ils peuvent pas me voir.  J’ouvrirai pas.

C’est en me rasant que j’ai pris ma décision. Ils sont pas comme mes autres petits fils qui ont l’habitude de moi. Son mari est pas non plus comme mon autre gendre. D’un seul coup, je me suis pas senti assez costaud pour cette rencontre. Trop dur pour ma tête déjà bien chargée. L’appeler pour lui dire que je voulais plus les voir? Pas envie de parler. Je me sentais pas capable de baratiner, inventer un prétexte. En plus, trop tard ; il était déjà sur la route. Pourquoi y avoir pas pensé avant ? J’aurais dû refuser de les voir. Ça aurait évité qu’ils se déplacent. Trois cent bornes pour tomber sur une porte fermée.

La sonnette et le téléphone arrêtent pas. Elle a l’air hyper furieuse. Papa ! Papa ! Je me bouche les oreilles. Elle secoue le grillage. Son mari est immobile sur le trottoir. Les gosses, mains sur le grillage, matent l’intérieur de la courette. Je l’ai aussi nettoyée pour qu’ils se fassent pas mal en jouant. Elle a l’air très en colère. J’ai l’impression qu’elle se prend la tête avec son mari. Les gosses commencent aussi à s’énerver. Sûr qu’ils devaient se faire une joie de voir leur grand-père. Avec moi, ils auraient eu la pièce manquante du puzzle familial. Ma fille t’entête pas, rentre chez toi. Tu sais bien que je suis butée. Retourne à ta vie. Ici, c’est mort. Seuls les fantômes ont de l’avenir dans le quartier. Tire-toi. Je suis plus là pour personne. A part pour ta mère qui m’attend chez nous.

Pourquoi infliger ça  à mes petits-enfants ? Et à moi aussi. Je me faisais une telle joie de les rencontrer. Quel vieux con buté je fais. Planqué à quelques mètres de mes petits-enfants. Si tu crèves sans jamais les prendre dans tes bras? Tant pis. C’est comme ça, pas autrement. Plus que mon orgueil comme cache misère. Un cadeau pour mes petits-enfants.

Ils verront pas leur pépé « sans-dents ».

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