Agrandissement : Illustration 1
Sale temps pour les poètes. Mais pas la première fois depuis la nuit des temps poétiques. La fiction et d’autres arts ont toujours eu un statut des plus précaire. Nous avons nombre d’exemples. L’art et les artistes sont plus ou moins tolérés. Avec des censures visibles : officielles et souvent sous des états autoritaires. Les artistes (tous des fainéants et des fainéantes vivant aux crochets de la société) sont souvent les premiers dans la cible. Il y aussi des censures invisibles et moins violentes en apparence : ne mettre en avant que les créations rapportant un pognon de dingue et aimantant des électeurs-consommateurs. Rien de nouveau. Les poètes et les autres artistes le savent très bien. Mais ils persévèrent. Contre vent et censures.
Récemment, un poète a été censuré. Sans télé et de moins en moins sur les réseaux sociaux, je l’ai appris d’un vieux copain. Lors d'un déjeuner chez lui, dans un petit village de bord de rivière. Tous deux autour d'une viande-frites et une bouteille de rouge. À deviser de tout et de rien. Et inversement. Avant de regarder les résultats du quinté sur une immense télé. Avec l'espoir de le gagner dans l'ordre. Sur la droite de cet écran, une bibliothèque. Avec toute sorte de littérature. Du thriller à la poésie. En passant par un très grand auteur. Je me suis tourné vers ses couvertures. « Monsieur Beckett, que pensez-vous de notre époque ». Il a froncé ses sourcils d’aigle. « Je ne pense rien de votre époque. Ce n’est pas la mienne. Je me suis déjà tapé mon époque avec son pire et son meilleur. Pas envie de reprendre du service. Mais, à mon avis de l'au-delà, tout poète censuré reçoit un prix déguisé. Avec la preuve qu’il dérange. Et donc reste du côté de la poésie. ». J’ai reposé les yeux sur l’écran. Le 6 est arrivé premier. À 2 contre 1, il ne rapporte rien. Contrairement à un tocard à la même place.
Un poète ou une poétesse sûre de gagner a perdu. Ce qui ne l’empêche pas d’arriver en tête. Mais jamais en partant avec une très bonne côte et des certitudes. Au contraire partant avec des doutes et des interrogations. À chaque foulée, une découverte. Positive ou négative. Mais avec toujours cette part d’incertitude émerveillée qui ponctue toute trajectoire poétique. Loin des juges aux allures de tout bord. Juste la course des mots sur un clavier ou une feuille de papier. Rien à foutre des politiques, des psy, des dieux et religions, des journalistes, des pétitions, des associations, des luttes (même légitimes), de ce qui est bien ou non, de la morale… Pas un scoop de rappeler que la poésie est désobéissante. Rétive à toute parole dominante. La poésie devrait mordre toutes les mains, même celle qui la nourrit. Se méfier autant de la matraque que de la caresse dans le sens du vers.
Même si elle peut épouser telle ou telle cause. Avec un profond engagement. Les yeux dans les yeux de la réalité. S'engager est un verbe qui se dit encore mais toujours dans une sorte de murmure. Comme si l'engagement est une honte. Honteux René Char, Madeleine Riffaud, Paul Éluard, et d'autres ? Grand merci à tous ces artistes engagés. Certains parmi les poètes-résistants n’ont pas subi qu’un censure universitaire dont on peut se remettre. Même si c’est inadmissible. D’autres ont été censurés de leur chair. Comme un guitariste-chanteur-poète-metteur en scène qui en a perdu la vie. Et ses doigts d'homme libre coupés à la hache par l’extrême-droite au pouvoir; ce qui s'est passé hier peut se reproduire. Les poètes ne sont donc pas que des mots sans réalité. Ils peuvent aussi se battre. Sans pour autant céder à leur vitale indépendance. Quel que soit le régime.
Qui est ce poète censuré ? Inutile de donner son nom (en plus, ça emmerdera les algorithmes et les obligera à se gratter l’occiput dont ils sont dépourvus). Depuis des années, c’est un grand favori. Il est très coté dans la course des médias. Autant aimé que détesté. Pour ma part, j’apprécie certains de ses textes (nouvelles ). Et, petite anecdote sans intérêt; nous avons un point en commun avec une importante rencontre : la presqu’île de Crozon. Je partage avec lui ce choc innommable face à ce lieu. Pour le reste, nous sommes aux antipodes. Surtout sur nos positions politiques. Pas du même " Ni dieu, ni maître" ? Pour autant, jamais je ne militerai pour la fin de sa parole. Même si elle peut me déranger. Voire même m'emmerder.
Un poète pétitionnant contre un poète ne signe-t-il pas contre la poésie ? Une question à se poser. Qu’en pensez-vous Monsieur Beckett ? Il s’en fout complètement. À l’abri de ses couvertures, il regarde la télé. Avec un air tour à tour amusé et inquiet - pour nous les vivants. Sans doute à se dire que son absurde de fiction est devenu la réalité. Aussi absurde que confuse. Notre réalité dans laquelle nous essayons de ne pas nous noyer. De toute façon, l'immense Samuel B n’a plus rien à attendre du monde. Ni des humains. Juste une présence d'encre sous ses couvertures. En attendant quoi ? Plus Godot qui est déjà passé et repassé. En attendant la fin de l’éternité ?
La poésie à vu pire que nos petite polémiques du jour. Double exemple en se replongeant dans les textes de Paul Celan ou Joseph Brodski. L’un en prise avec le nazisme et l'autre avec le stalinisme; deux totalitarismes ayant un ennemi en commun : la liberté de penser et de créer. Loin d’être les seuls à avoir eu maille à partir avec une censure violente. Excepté, quelques pays (souvent les plus écraseurs de femmes), les poétesses et les poètes ne sont pas emprisonnés et torturés. Rares les artistes de France et pays dit démocratiques craignant pour leur existence à cause de leur travail. Toutefois, ils peuvent avoir un ennemi redoutable. Capable de détruire leur création. Sans mot ni rafales d’armes automatiques. Quel est cet ennemi ?
Soi. Quand on commence à se demander si sa poésie ou autres œuvres de création est raccord avec les idées de son époque. Qu’elles soient réactionnaires ou progressistes. Se poser la question de plaire ou non est le début de l’abdication. Sauf à vouloir être lu à tout prix, être joué à tout prix, être exposé à tout prix… Ce qui n’est pas une honte. Chaque créatrice et créateur fait comme il peut et veut. Qui suis-je pour donner des bons ou mauvais points ? Mais acceptons aussi que le « à tout prix » ne soit pas l’objectif de tous les artistes. Et que des artistes refusent de se soumettre à une quelconque morale ( assujetti au Dieu fric ou à aux nouvelles censures contemporaines ) ou courant de pensée dominant. Même proches de leur sensibilité citoyenne. La plupart du temps, des artistes en double peine. Pointés du doigt par le camp d’en face. Et accusés de trahison par leurs proches. Le cul entre deux index. Comment se sortir de ce merdier ?
Avec l’immunité poétique. Personne ne l’accordera. Excepté soi. En délimitant un espace protégé. Une protection contre qui ? D’abord contre tous les derniers dinosaures de la création recroquevillés sur leur rocher du vieux monde. Inquiets d’être balayés par une nouvelle vague. Artistes, mais pas enfant de cœur ( certains l'ont été et veulent revenir à leurs fondamentaux). Parmi eux, des adeptes d’un ordre nouveau gravé sur des plaques d’égout encore fécondes. Indéniable que l’extrême droite et ses thèses ( une vision de la poésie assujettie au drapeau tricolore : Blanc Blanc Blanc ? ) envahissent de plus en plus de têtes d’artistes. Après l'envahissement de plus de dix millions de crânes dans l'isoloir. Des écrivains affirment de plus en plus leur inclination à l'extrême-droite. Pas que des autrices et auteurs Blanc Blanc blanc. Même sans partager leurs idées, on peut dire que certains ont un grand talent littéraire. Des ennemis pour le moins visibles.
Contrairement à d'autres. En réalité, pas des ennemis. NI même des adversaires. Au contraire: de vieux copains et copines. Certains de nos proches voulant vous faire penser au pas de leur morale et vision du monde. La plupart du temps, ils le font dans une démarche bienveillante. Sincèrement persuadés de se trouver du bon côté de la pensée et que tous les autres ne peuvent que se tromper. Toutes et tous groupés, même si… Même si quoi ? On n'en parle pas. Pourquoi ? C’est un sujet qui peut nous ... Comment te dire ? C'est... En plus, me dis pas que penses ça, non pas toi. Tu me déçois. Et si j’ai envie de penser ça et d'en parler ? D'accord, mais... Mais quoi ? Tu peux me passer du pain, s’il te plaît. Vraiment super le concert de Nick Cave. Des amis mécontents quand on ne pense pas dans le sens de notre « entre soi ». Déstabilisés lorsqu’on émet ne serait qu’un bémol critique sur nos radios communes préférées et autres us et coutumes culturels. Une façon d’interdire toute pensée différente à l’intérieur du cercle de la famille au sens le plus large. Dérive dont je peux en parler en connaissance de cause.
Pas le dernier déstabilisé quand l'un de mes proches s’extrait soudain de nos habitudes de pensée de proximité. Extrêmement possessif en amitié ? La trouille de voir casser une très importante relation pour une polémique kleenex ? Culpabilité de sortir de la zone de pensée admise comme bonne ? Sûrement plusieurs raisons mêlées. Sans doute que des proches seront mécontents de ce billet. Et c’est tout à fait leur droit. Comme le mien de penser autrement. Et de m’élever contre tout censure. Même contre un adversaire. Encore me faire tancer par mes amis et amies (certains lecteurs et lectrices entre autres de Médiapart, Libé, le Monde, l'Obs, Télérama, auditrices et auditeurs de France-Culture, France-Inter, spectatrices et spectateurs du 20 minutes sur Arte...) ? D'aucuns nous qualifient de Bobos. L’anathème remplaçant le Intello ? En fait, rien de si grave une engueulade entre bons potes de tout sexe et genres. Au contraire: un signe de bonne santé. La polémique ça fait circuler le sens de l’amitié.
Cet auteur n'est pas ma tasse de café poétique. Et je serai d'ailleurs plus enclin à le critiquer. En tout cas une partie de sa production littéraire. Je n’aurais pas hésité à donner mon point de vue qui engage aussi ma mauvaise foi. En fait, j’aurais aimé surtout pouvoir le critiquer sur ses positions politiques. Pas le seul à avoir un très grand nombre de désaccords avec ses prises de positions. Lesquelles ? Pour rester dans le raccourci : des positions dites réac et vieux mondiste. Il ne s’en cache pas. Malgré mes désaccords, je ne peux que le défendre aujourd’hui. Pourquoi? Prendre la défense d’un poète censuré. Quel est l’objet de son délit poétique ?
Quelques mots d'accompagnement littéraire d'une série de photos exposées dans une fac parisienne. Un texte (celui auquel j'ai eu accès sur la toile) qu’on pourrait qualifier de très sage. Moins violent que du Rimbaud, Pasolini, Bukowski, Tarkos, Artaud, Despentes, Casey, C Debré, etc. Rien de sulfureux et provocateur. Même si on peut ne pas aimer ces quelques phrases. Ni les autres poèmes - ponctuant l’expo photos - que je n’ai pas lu. Pas interdit non plus de détester la poésie de ce poète. Mais de là à le censurer…
Ce poète censuré, prendrait-il la défense d’un poète-adversaire politique - censuré ? C’est son problème. Et celui de son miroir. Libre à lui de se hisser ou non à la hauteur d'un mot en sept lettres, si bien dit par Maria Casarès. Toutefois pas parce que ce poète ne le ferait pas qu'il ne faudrait pas le faire. Ce n’est pas donnant-donnant. Mais revenons à l’essentiel. Le meilleur de notre espèce. Ce qui survivra à notre pire et perdurera au-delà de nos histoires humaines. Une survie avec ou sans immunité. Avec ou sans succès. Avec ou sans argent. Bien plus puissant que nos polémiques passagères. Et largement au-dessus de notre mêlée quotidienne de huit milliards de mortels imparfaits. Revenir à quel essentiel ?
La poésie.
MANIFESTE
Je ne chante pas pour chanter
Ou parce que j'ai une belle voix,
Je chante parce que la guitare
A du sens et de la raison .
Elle a un cœur de terre
Et des ailes de colombe,
Elle est comme l'eau bénite,
Elle sanctifie les gloires et les peines.
Ici s'est mis mon chant,
Comme dirait Violeta,
Guitare travailleuse
Qui sent le printemps.
Ce n'est pas une guitare de riches
Et elle ne paye pas de mine.
Mon chant vient des échafaudages
Pour atteindre les étoiles.
Car le chant a du sens
Lorsqu'il palpite dans les veines
De celui qui mourra en chantant,
... Sortant les vraies vérités.
Non pas les flatteries fugaces
Ni les célébrités étrangères
Mais le chant des échafaudages
Jusqu'au fond de la terre.
Là où tout arrive
Et où tout commence,
Je chante ce qui a été courageux,
Il y aura toujours une nouvelle chanson,
Il y aura toujours une nouvelle chanson,
Il y aura toujours une nouvelle chanson...
Victor Jara