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Billet de blog 21 décembre 2024

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Fenêtres sur chaos

Le monde brûle en direct. Un incendie planétaire à nos fenêtres d’écran. Chaque aube naît avec de nouvelles flammes. Petites ou grandes. Aux antipodes ou à proximité. Les braises n’ont pas le temps de devenir cendres. Pas de répit pour la brûlure du monde. Ici et là, des bouches soufflent sur les braises. Pour obtenir tel ou tel gain. Une flamme sous le cœur glacé de notre vieille planète ?

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Illustration 1
© Marianne A

            Le monde brûle en direct. Un incendie planétaire à nos fenêtres d’écran. Chaque aube naît avec de nouvelles flammes. Petites ou grandes. Aux antipodes ou à proximité. Les braises n’ont pas le temps de devenir cendres. Pas de répit pour la brûlure du monde. Ici et là, des bouches soufflent sur les braises. Pour obtenir tel ou tel gain. Des retours sur incendies. Tant que la moindre flammèche peut rapporter, je brûle, tu brûles, vous brûlez, nous brûlons.... Une flamme sous le cœur glacé de notre vieille planète ?

           Finir dans les flammes de l’enfer. Déjà au collège, des gosses en parlaient. Même si Dieu savait à l’époque se faire très discret. Restant dans son domaine réservé. Sans qu'apparemment cela ne lui pose aucun problème. Ni à la majorité de ses ouailles. Avant que certains ne le sortent de son domaine pour vouloir l’imposer dans notre quotidien. Avec nombre d’injonctions, dont le fameux adage «  si tu mens, tu iras en enfer ». Déjà athée, je souriais intérieurement en entendant parler mes copains de collège. Les flammes de l’enfer, c’est comme le père Noël, Dieu ; ça n’existe pas. Des inventions pour nous faire penser et rêver dans les clous. Méfiance.

          C'était ma pensée-posture d'ado. Déjà athée de plus croire aux contes qui enferment. Avec des  barreaux plus ou moins visibles à chaque page du livre saint. Encore plus enfermant pour les femmes. Dans la bibliothèque municipale de mes premiers pas de lecteur, j'avais une attirance pour les rayonnages de fictions avec portes ouvertes sur le monde. Un collégien persuadé que l’enfer était une espèce d’ogre pour faire peur aux adultes. Avant d’avoir plongé un peu plus en détails dans l’histoire de l’humanité. Pas seul. Accompagné dans ma quête par des enseignants. Dont en particulier un instit de CM2: un ancien résistant évoquant beaucoup les événements historiques. Mais surtout éclairé dans mes questionnements par des bouquins - beaucoup de fictions et poésies. Pour un plongeon dans les entrailles de notre histoire où vivent les bêtes immondes avec, selon les époques, des visages différents. J’avais tort : l’enfer existe. Et c’est nous : les humains.

          Nous sommes nombreux à ne pas avoir de télé. Pour ma part, je fais « maigre cathodique » depuis plus d’un quart de siècle. Hier, le dire avait peut-être du sens. Aujourd’hui nettement moins puisque la télé est désormais sur nos bureaux et au fond de nos poches. Rien à voir, me dira-t-on. La télé et la toile ce n’est pas pareil. C’est vrai. Désormais une foule de chaînes – bientôt une par personne ? - accessibles sur son écran qui n’est plus un poste de télévision. Certes beaucoup plus de choix sur le Web qu’à la télé. Avec toute sorte de portes sur des univers fort différents. Dont beaucoup de liens qui nous enrichissent au quotidien. Indéniable que la toile ouvre plus sur l’autre et le monde. Néanmoins aussi un outil idéal pour les souffleurs sur braises. Faisant feu de toute technologie nouvelle.

         À ce propos : un nouvel écran depuis un récent déménagement. Jamais je n’en ai eu avec une telle particularité. Laquelle ? Une chaîne unique derrière la vitre. Nul besoin de télécommande ou hebdo avec les programmes. Et c’est le spectateur qui alimente les images. Avec bien sûr l’aide de bras œuvrant dans les forêts de la région. Parfois, cet écran se noircit. Plus accès à la chaîne unique. Juste des ombres jaunes dansant derrière un rideau obscur. Comment pouvoir avoir accès aux images ? Pour la réponse, changement d’écran. On sonne à la porte de la famille Tuto.

         Incroyable. Jamais je n’aurais imaginé une telle réponse. Certes pas la seule solution. Mais la plus proposée par les membres de la famille Tuto. Sans doute que beaucoup d’entre vous le savent. En tout cas, les internautes se servant aussi d’un poêle à bois. Cette machine à donner de la chaleur. Dans la maison. Et sous sa peau. Suffit d’observer les regards posés sur les flammes pour s’en rendre compte. Les visages changent souvent dans un dialogue muet avec un feu. La majorité des êtres fascinés par la plus vieille chaîne de télé. Assis face à la nuit des temps. Et les secondes qui se consument en rougeoyant. Sous le regard de mortels. Les yeux sur une horloge sans chiffres.

        Revenons à des considérations plus terre-à-terre. L’essuyage de la vitre. Suffit de se munir d’une bassine d’eau et d’un rouleau de Sopalin ou autre marque. Bien sûr ne pas opérer pendant que la «  bête à chaleur » est en pleine action. Commencer par caler la vitre pour qu’elle ne ferme pas, puis, accroupi ou assis su un siège, , tapoter la feuille de Sopalin dans les cendres froides, et attaquer le nettoyage. Nettoyer du sombre avec du sombre. N’importe quoi, me suis-je dit en écoutant les Tuto. Avant de me rendre compte qu’ils avaient raison. L’écran redevient transparent. Ne reste plus qu’à allumer le feu.

       D’un écran l’autre. Plus qu’une digression, un grand écart. Sans doute casse-gueule. En effet, ce texte ne serait pas né sans la parole d’une femme. Entendue et écoutée dans la nuit. Elle est journaliste et écrivain. Une femme née et vivant dans un pays toujours entre deux chaos. Elle répond aux questions d’un journaliste – avec qui je suis en désaccord sur certains points de vue - laissant sa parole se développer. Donner des détails sur l’entretien ? Guère doué déjà à l’école pour le résumé de texte. Et en plus, son propos est tellement dense, subtil, jamais sentencieux, souvent à fleur de poésie, que ce serait dommage de le réduire en quelques signes sur écran. Pour ma part, je retiens surtout « les victoires de nos défaites. ». Elle le dit évidemment avec d’autres mots : plus profonds que ceux d’un billet d’humeur passagère. Comment évoquer sa parole sans la réduire ? 

     C’est une invitation. Sans jamais la moindre injonction et certitude d’avoir raison. Dans les parages, traîne toujours une pensée contre sa propre pensée. Même si, au détour de son regard et de chacune de ses phrases, on sent une détermination sans faille. Avec chaque fois, une ligne de conduite permanente ; malgré la fêlure contemporaine, elle veut toujours privilégier l’humanité, sous toutes ses formes. Sans pour autant esquiver la réalité. Au contraire ; elle veut la regarder droit dans son pire : notre inhumanité. Pas venue d’une autre planète. Elle ne propose pas seulement de poser un regard-constat puis, après quelques belles phrases, de détourner les yeux et revenir à sa parcelle d’être. Plutôt un appel à la présence. Encore plus au cœur du chaos. Ses mots sont une invitation à investir le champ de nos défaites. Concrètement. Se servir des cendres du monde pour nettoyer nos écrans. Sortir le plus possible de nos «  obscurités climatisées ». Avant d’attaquer le chantier de l’aube. Et de questions à venir.

         Cette femme patronne du monde ? La proposition la ferait peut-être rire. Sûrement que le mot patronne l’agacerait. Parce qu’on ne la sent pas (à travers son enveloppe publique) du tout dans ce désir de briller au centre. Ni d’accumuler honneur, fric, et pouvoir. Sans doute est-elle plus ambitieuse que les coqs - de tout sexe, genre, couleur... - qui président aux destinées de notre jeune siècle. Préférant éclairer, tenter d’au moins de désobscurcir de ses mots, avant de s’effacer. Pour pouvoir sortir du cercle, observer à nouveau, le monde et son regard, voir ses propres erreurs, avant – si son retour a du sens - de revenir donner un nouvel éclairage - inspiré entre autres de ses erreurs fructifiés. C’est mon interprétation. Sans doute imparfaite. Tout ça pour dire que c’est rassurant de croiser ce genre de semblable. Mais aussi attristant. Pourquoi ? De constater qu’il pense dans une ombre relative. Tandis que d’autres dansent dans la lumière. Avec force éructations et certitudes bavantes aux commissures de leur ego. Si fiers de leur danse du vide. Au bord du gouffre mondialisé.

       Conclure un billet noir avec de la noirceur, c’est plus que téléphoné. En plus de rajouter de la noirceur au rideau sur l’écran. N'en jetez plus, la cour du monde est pleine de maux. Comment donc ne pas céder donc à nos facilités ? Jamais simple de sortir de la douceur d’une pensée dont on connaît par cœur le trajet. Pourtant, il me semble important de s’exfiltrer de son petit cocon mental. De quelle façon ? L’une des pistes est de nettoyer la vitre de son regard sur le monde. Puis de remettre une bûche dans sa machine à penser. Afin d’alimenter son feu sous le crâne et la poitrine. Puis privilégier le silence, loin du centre. Se taire. Pour entre autres écouter ou lire – des articles éclairants - cette grande femme. Quel est son nom ?

          Dominique Eddé.

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