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Billet de blog 22 avril 2020

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Big plaisir

Cinq semaines que j’attends ce moment. Quelle joie de pouvoir y aller. Marre de rester devant l’écran et la fenêtre. Avec les gosses qui arrêtent pas de s’engueuler. Pourtant on a un jardin et une piscine. Je me suis rendu compte que je les connaissais pas vraiment mon fils et ma fille. Juste en pointillé. Et pendant les vacances. Jamais j’ai passé autant de temps avec eux. Que leur dire ?

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Illustration 1
© Marianne A

           Cinq semaines que j’attends ce moment. J'en ai même rêvé une nuit. Comme redevenu un gosse. Quelle joie de pouvoir y aller. Marre de rester devant l’écran et la fenêtre. Avec les gosses qui arrêtent pas de s’engueuler. Des cris pour un rien. Pourtant on a un jardin et une piscine. Y ont vraiment pas à se plaindre.  Je me suis rendu compte que je les connaissais pas vraiment mon fils et ma fille. Juste en pointillé. Et pendant les vacances. Jamais j’ai passé autant de temps avec eux. Que leur dire ? Je sais pas quoi leur raconter. À part les trucs du genre passe moi le sel, essuie tes pieds avant de rentrer, range ta piaule, lâche la tablette de ta sœur… Rien d’autre à leur dire. Pareil pour ma femme. On s’est connus à 17 ans. Deux ans après on vivait ensemble dans ce lotissement. Elle était enceinte du grand qui a 13 ans. Et sa sœur en a 11. Moi je suis rentré mécano dans un garage pour vite grimper vendeur de bagnoles. Le big commercial comme m'a surnommé le patron. Faut dire que je rapporte un paquet de pognon à la concession.  Et ma femme est toujours comptable dans la même boîte d’informatique.

       Pour se retrouver tous collés 24 sur 24. Heureusement que c’est pas dans un appart. Sinon j’aurais pété un câble. Ma femme bosse en télé-travail. Mais moi je peux pas. Faut que je vois le client en face à face pour le renifler. Pas possible avec ce putain de virus. Alors que le printemps est une bonne période pour vendre des bagnoles. Dès qu’il fait beau, les gens aiment bien claquer leur thunes. Comme s’ils se vengeaient du sorte de confinement de l’hiver. Chacun chez soi ou derrière de gros pulls. Aux premier rayons du soleil, tout se découvre; des décolletés aux comptes bancaires. La période que je préfère. Pareil quand j’étais gosse. Chez mes grands-parents qui m’élevaient. Dans un petit village. Mes parents pouvaient pas s’occuper de moi. Maman trop plongée dans la bouteille. Et Papa dans le le lit des femmes. Fort heureusement j’ai pas hérité ça d’eux. Mais j’ai d’autres vices. Comme de mater des films pornos. Et fumer des pétards au km en jouant aux jeux vidéo. Mais ça fait de mal à personne. Et ça me fait du bien.

      Tout le monde a eu la même idée ou quoi ? Moi je l’ai appris par le texto d’un pote. Lui il y va en famille. Hors de question pour moi de les emmener. Je vais profiter de ce petit moment en solo. Un peu comme avant. Qu’est-ce que ça fait plaisir du fumer son pétard à la fenêtre de sa bagnole. Jamais j’aurais pu penser que la ville m’aurait autant manqué. Alors que chaque matin je me lève en faisant la gueule. Jamais envie d’aller bosser. Toujours à me dire que je serais mieux à pêcher dans la maison de Papy et Mamie. Mais pas des truites qui vont régler toutes les traites. Baraque, deux bagnoles, école privée des gosses… Chaque mois je vais à la pêche aux thunes. Pris aux piège. Comme la plupart des gens. Comment faire autrement ?En plus j’aime tout ce que j’ai. Si demain tu viens me prendre tout ça je deviens fou. Mais c’est aussi tout ça qui me prend la tête du lever au coucher. Même la nuit je fais les comptes. Comme si le banquier dormait dans mon lit et me suivait partout. Des années que je suis confiné avec lui.

    Fais chier ce con avec sa bagnole de plouc ! Je lui balance un coup de klaxon. Y me niquera pas ma place. Un p’tit doigt au passage pour lui apprendre la politesse à ce connard avec sa face de premier de la classe. Y fera la queue comme tout le monde. Moi je suis là depuis presque deux heures. Ça avance vraiment pas vite. J’ai éteint la radio. Y parle que du Covid. Sûr qu’on nous mène en bateau. C’est sûr que ce virus tue des gens mais ça mérite pas un confinement. Y en a qui savent plus que nous. En tout cas toujours les mêmes qui vont s’en prendre plein la gueule. Là-haut y sont immunisés de naissance contre le malheur et les galères de la vie. L’assurance tous risques déjà dans le ventre de leur mère.Qu’est-ce qu’ils vont perdre ? Pas grand-chose. Le seul truc au moins de bien c’est qu’on a été tous égaux à poil face à la mort. Même les carnets d’adresses et les mots à rallonges protègent pas du virus.

     Le virus en a rien à foutre de ta carte de visite. S’il doit aller chercher un mec tout en haut du panier y va aller le chercher. Même les acteurs et les gens de la télé y passent aussi. Mais quand on fera les calculs je suis sûr qu’y aura plus de morts en bas. Toujours comme ça. Les infirmières, les aides-soignantes, les caissières, les livreurs, les éboueurs…. Y viennent pas beaucoup des beaux quartiers. Plus du 93 qui est le département le plus touché de France. Pas un hasard. Je suis bien content de pas y habiter. Avec tous ces… On peut dire qu’eux l’ont fréquentés de très le coronavore de mes deux. Et pas en apérozoom. Je le sais de ma sœur qui est aide-soignante en Ehpad. Elle habite dans le 93 et y bosse aussi. Je l’appelle souvent. Elle arrête pas de chialer. Pourtant une dure la frangine. Même son mec qui la dérouillait a pas réussi à la détruire. Je l’ai jamais vu comme ça la frangine. Pourvu que ce putain de Covid la bouffe pas.

    Bientôt fini tout ça. Plus que vingt jours avant de reprendre le boulot. Pas la joie de vendre des bagnoles avec un masque. Ça va me rappeler quand je bossais à peindre et retaper les bagnoles. Obligé pour pas avaler les odeurs de produits chimiques. Mais je préfère être dehors masqué que dedans confiné. Vivement qu’on trouve un vaccin. On est allés sur la lune, y a des avions et des satellites dans le ciel, y a des Smartphones, le Web… Quand même pas la mer à boire que de découvrir un vaccin ou un antivirus. Comment y ont fait les Pasteur et les autres dans le temps ? Eux y avaient pas tout ce qu’on a de nos jours. La planète tout entière va pas se laisser niquer par un animal à écailles. C’est à mon tour. Pas trop tôt. J’en rêvais. Le mec se penche vers moi. On dirait que ses yeux vont sortir de ses orbites. Sûr que lui y préférerait être confiné sur son canape. Je lui montre mon Smartphone. La commande est dessus.

  « C’est bien quatre menus Maxi Best Of ?

   Je lève le pouce.

NB : Une fiction inspirée de cet article. Juger ces gens faisant des heures de queue pour un Macdo ? D'autres se précipiteront en librairie, à la piscine, chez le coiffeur,etc. Chacun ses petits plaisirs déconfinés. Pour ma part ce sera un demi bien frais et un journal papier en terrasse. Avec si possible mon premier horoscope de déconfinement. Rester assis jusqu’à avoir épuisé mon regard sur les passants et passantes. Avant de rentrer me reconfiner devant un écran.

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