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Billet de blog 22 mai 2017

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Lâcher la proie

Ne pas lâcher la proie pour l’ombre. Une expression qui m’intriguait quand j’étais gosse. Imaginant un félin abandonnant le produit de sa chasse pour bondir sur le néant. Quelle était cette ombre?

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Ne pas lâcher la proie pour l’ombre. Une expression qui m’intriguait quand j’étais gosse. Imaginant un félin abandonnant le produit de sa chasse pour bondir sur le néant. Quelle était cette ombre? Sans doute dangereuse car il est recommandé de ne pas s’en approcher. Se méfier d'elle car fort capable de vous entraîner dans l’inconnu. Plus tard, j’ai compris la signification de la formule. Employée notamment par plusieurs profs lors de ma scolarité. Et une fois par un formateur en télémarketing voulant mobiliser ses troupes. Plus judicieux peut-être de nous conseiller de lâcher notre proie, après avoir signé le bon de commande, pour sauter sur une autre proie. L’ombre, comme dans l’enfance, m’avait encore mis le grappin dessus. Plus qu’une seule envie: lâcher mon téléphone et «script d’appel» pour la rejoindre. Ce que je ne tardais pas à faire. L’ombre nettement plus sexy qu’une enfilade de cabine vitrée avec des téléacteurs fliqués par un superviseur écoutant leurs appels. Lâcher ma proie, des CDI à la semaine payés une misère. Retour à ma chère ombre.

Les dernières élections m’ont rappelé tour à tour la proie et l’ombre. Notamment en constatant le retour de dinosaures déjà dans les livres d’Histoire. Trop vieux pour exercer le pouvoir? Quelques-uns parmi eux, très vifs physiquement et mentalement, sont encore capables de tenir le gouvernail d’un ministère ou autres navires à coque dorée de la flotte républicaine. Même si je trouve que la politique, si elle est exercée que comme un métier, devrait être soumise à une retraite comme les autres corps de métier. La question se pose pour celles et ceux la vivant plus comme une conviction que juste une bonne place. Mais l’âge était quand même une donnée importante dans l’impression ressentie à la vue et à l’écoute de certains d’entre eux. Une course quasi fébrile de radio en télé. Un besoin pathétique d’être toujours dans la lumière. Etre dans le coup. Sinon pourquoi un tel désir d’être bien visibles dans ce nouveau gouvernement. Bénéficier des égards collatéraux de leur participation ostentatoire à l’arrivée du nouvel hôte de l’Elysée. Le fric ne me semble pas être leur motivation, excepté peut-être pour quelques-uns. Vu ici, vu là, entendu là-bas… Avoir encore son rond de serviette dans les cantines médiatique. Surtout ne pas rester dans la peau d’un conseiller de l’ombre. Ni d’un aîné expérimenté pouvant distiller des conseils sans se mettre en avant. Incapables de s’effacer pour un autre centre. Le centre hors caméra.

Comme celui occupé par Edgar Morin. Une occupation très subtile et poétique. Un twitto de plus de 95 ans nettement plus moderne que nombre de trentenaires à barbe permanente de trois jours et Smartphone avec réponse à tout. Souvent, je me sens ringard, coincé dans des postures paradoxalement confortables, en lisant ses tweets d’une grande modernité. Modernes parce qu’ils ne sont pas assujettis à une mode passagère. Un homme lui aussi dans une course;  plus près des étoiles et de l’humain que de la quête de pouvoir. Sans doute pas- ou plus – besoin de briller pour être. Son regard intéressé, intéressant, et amusé, continue de se poser sur le monde. Inlassé malgré la noirceur actuelle. Les yeux d’un vieux gosse amusé et vivant observant son époque. Nous écrira-t-il «lettre à jeune twitto»?

Pourquoi d’autres anciens, ayant déjà goûté la saveur (chacun ses goûts) du pouvoir, veulent replonger à tout prix le nez dans la gamelle républicaine? N’ont-ils aucun autre intérêt dans l’existence? Des mémoires à écrire? Un arbre à planter? Des petits-enfants à emmener au Macdo en cachette des parents Vegan? Un jardin à cultiver? Une compagne ou un compagnon à aimer avant que le temps ne vienne leur kidnapper ? Boire du bon pinard? Apprendre à traduire le silence en toutes les langues? Mater des films pornos? Lire ou relire de la poésie? Fumer comme un pompier sans peur des reproches et du crabe? Promener le chien? Faire la cuisine? Voyager sur toute la planète? Étrange tout ce qu’ils perdent en voulant gagner une éternelle jeunesse médiatique. Le visage fondant de maquillage devant une caméra plutôt que sur une plage déserte. Après tout peut-être qu’ils et elles jouissent plus sur un plateau télé que dans la solitude dorée de la retraite. Qui suis-je pour les juger? Rien ne prouve, si j’avais tâté du pouvoir, que j’accepterais de le lâcher pour l’ombre. La mort commence-t-elle pour certain(e)s quand ils ne sont plus conviés au bal des égos vus à la télé. Alors que d’autres, parfois encore plus égocentrés, n’ont pas besoin de maquilleuse pour se sentir vivants. Notamment certains artistes. Créer n’est-ce pas aussi résister à l’usure du temps? Être plus fort que lui? Mais pas que certains artistes à ne pas avoir besoin de faire du bruit pour entendre leur voix. En fait, la majorité des citoyennes et citoyens n’ont pas une grande soif de pouvoir. Tant mieux pour celles et ceux très assoiffés. Ils ont moins de concurrence. Finalement peu à vouloir être élus pour occuper un poste de pouvoir.

Le spectacle récent du vieux monde politico-médiatique courant après sa jeunesse perdue était éclairant. De grands gosses scotchés à la vitrine du pouvoir occupé de plus en plus par une autre génération. Difficile d’accepter que les codes atomiques soient confiés à leur petit-fils. Alors qu’eux essayèrent de semer le vieux monde. Même si, espérons que c’est une mauvaise projection, je crois qu’un monde encore plus vieux, prêt à effacer de nombreuses avancées conquises de haute lutte, a pris les rênes du pays et de la planète. La bourse, qui a toujours fait la pluie et le -rare- beau temps républicain, restait au moins symboliquement loin des instances démocratiques; les bureaux du Palais Brongniard bientôt déménagés réellement à l’Elysée? Quelques sexagénaires et septuagénaires, déjouant la vigilance des huissiers à l’entrée, ont pu pénétrer dans la boutique. Ils courent dans tous les sens. Je veux ça. Celui-là aussi. Non, le gros là-bas. Je veux tout. Comme aux courses avec Papa et Maman. Certains êtres, personnages publics ou pas,  à tous les étages de la société, traverseront l’existence comme dans un supermarché. Ils vont souvent aux mêmes rayons. Détestant quand des nouveaux gérants changeant la disposition des lieux. Leur caddie rempli à ras bord pour ne pas se sentir vide. Poussés par la trouille de manquer de soi?

Qui a raison? Qui a tort? Je n’ai pas la réponse. Chacune et chacun fait comme il veut et peut avec sa vieillesse et la trouille de disparaître. Dans tous les cas de figure, personne ne lit en direct son éloge funèbre. Sa page Wikipedia ou du Who's Who ne rend pas immortel. Au contraire puisque, comme sur une tombe virtuelle, elle attend la deuxième date pour refermer le dossier. Puis un RIP, des hommages et une nécro papier ou sur toile. Le numérique a-t-il, en plus de modifier notre quotidien, changer notre rapport à la mort? Nos vêtements, meubles, films, cahiers, livres, maison… Tous les objets portant notre marque de fabrique ou reliés d’une quelconque manière à notre passage terrestre peuvent être détruits. Alors que, si je ne me trompe pas, toutes nos traces virtuelles sur la toile peuvent nous survivre à perpétuité. Comme tous ces éphémères, moments gravés sur un regard ou un souffle, constituant notre histoire sans fin. Aucun copyright sur la poussière. Rien de nouveau sous le soleil. Un soleil trop souvent couleur sang en ce début de siècle. Tout disparaîtra.

La proie et son ombre.    

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.